Citations de Raymond Chandler (440)
D’un autre côté, j’avais envie de me défiler pour ne pas revenir mais ça, c’était la voix que je n’écoutais jamais. Parce que si c’avait été le cas, je n’aurais pas bougé de la ville où j’étais né, j’y aurais travaillé à la quincaillerie, aurais épousé la fille du patron, fait cinq gosses, aurais lu les bandes dessinées du journal du dimanche matin, calotté les mômes s’ils faisaient des bêtises, discuté avec mon épouse du montant de leur argent de poche et des programmes qu’ils pouvaient écouter ou regarder à la radio et à la télé. Je serais peut-être même devenu riche – riche pour un trou en province -, avec une maison de huit pièces, deux voitures au garage, du poulet tous les dimanches, le Reader’s Digest sur la table du salon, la femme avec une permanente en fonte et moi avec une cervelle comme un sac de ciment. Allez-y, les amis. Moi, je choisis la grande ville, sordide, sale, pourrie.
- Je pensais qu'on avait nettoyé cette ville, dis-je. Et qu'un homme honnête pouvait se promener la nuit dans les rues sans porter une veste pare-balles.
- On l'a nettoyée un peu, la ville, dit-il, mais ils n'ont pas envie qu'elle soit trop propre. Faut pas effrayer le moindre dollar, même s'il n'est pas propre non plus.
C’est très difficile à une femme, même une jolie femme, de se rendre compte que son corps n’est pas irrésistible.
Je vis une vague de cheveux blonds qui, pendant un bref instant, se déroula dans l'eau, s'allongea avec une lenteur calculée, puis s'enroula de nouveau sur elle-même. La chose roula sur elle-même encore une fois ; un bras vint écorcher la surface de l'eau et ce bras se terminait par une main boursouflée qui était celle d'un fantôme.
La bouteille de whisky n'était qu'à moitié vide. Je la secouai affectueusement, la fourrai dans ma poche de pardessus, posai mon chapeau quelque part sur ma tête et sortis. J'atteignis l'ascenseur sans me heurter aux murs ni d'un côté ni de l'autre du corridor, me laissai flotter jusqu'au rez-de-chaussée et me retrouvai dans le hall.
Finlayson me regarda attentivement. Rien de ce que j'avais dit n'avait pénétré son cuir. Il avait son idée, et il veillait dessus comme sur un bébé malade.
Une main au creux de laquelle j'aurais pu m'asseoir me saisit violemment par l'épaule, me fit franchir le seuil sans toucher terre et gravir trois marches.
Le grand sommeil (Raymond Chandler)
Quelques boucles sèches de cheveux blancs s’accrochaient à son crâne, comme des fleurs sauvages qui luttent pour la vie sur un rocher nu.
Le téléphone est un objet tyrannique, envahissant. Le gadgetomane de notre époque l’adore, l’abhorre, le craint. Mais il le traite toujours avec respect, même quand il a bu. Le téléphone est un fétiche.
Mme Sutton Cornish fixait sur lui son regard froid, par dessus la théière, dans sa douillette brodée. Ses yeux noisette, des noisettes séchées, pas des noisettes fraîches, étaient chargés de mépris.
- Il sera chez vous dans vingt minutes.
- Parfait, ça me laisse le temps de boire mon dîner.
J'avalai deux rasades de whisky. Des petites, pour changer.
Les armes à feu, ça n'arrange jamais rien. Ce n'est que le coup de rideau avant un mauvais acte deux.
- Ainsi, vous aimez la roulette. Ca vous ressemble.
Elle croisa les jambes et alluma une cigarette.
- Oui, j'aime la roulette. Tous les Sternwood aiment les jeux où l'on perd, comme la roulette, ou épouser des gens qui se moquent d'eux, ou courir des steeple-chase à cinquante-huit ans, se faire vider par un cheval vicieux et rester paralysé pour la vie. Les Sternwood ont de l'argent. Tout ce que ça leur a rapporté, c'est des espérances.
Delaguerra abattit à nouveau son pistolet sur le crâne de la grosse brute, qui se contenta de secouer la tête en grommelant :
- Si t'as du temps à perdre, t'as qu'à continuer à me filer des beignes. Moi, ça me gêne pas.
il s’en alla tranquillement dans l’ombre et devint une ombre lui-même.
La Californie, l'Etat des centres commerciaux. On y trouve tout, et surtout le meilleur du pire.
Est-ce que vous buvez, Mr. Marlowe ?
- Ma foi, s’il faut tout vous avouer…
- C’est que… il m’est impossible d’employer un détective qui s’adonne à la boisson. Je suis même contre le tabac.
- Manger un fruit, c'est permis ?
Je perçus le brève suffocation à l’autre bout du fil.
Tu as été flic, tu sais comment ça se passe. Résumons-nous. Si c'est un crime, qui voulait sa mort ? Sa femme ? Elle n'était pas là. Toi ? Tu réunis toutes les conditions, sauf une, le mobile. D'ailleurs, je suppose que si tu voulais descendre un type, tu t'y prendrais un peu mieux.
- Merci, Bernie, je suis bien de ton avis.
Je nous versai à boire et lui tendis son verre. Puis je me laissai tomber dans le fauteuil.
- Excusez-moi, dis-je, je suis un peu fatigué. Tous les deux ou trois jours, je suis obligé de m'asseoir. J'ai beau essayer de me corriger de cette sale habitude, rien à faire, je vieillis.
- Je n'aime pas vos façons, me répondit Kingsley d'une voix à casser des noix de coco dessus.
- C'est parfait, je ne les vends pas, vous savez !