Dans les pas de Raymond Maufrais.
Et de quoi pouvions nous parler, sinon de de départ vers les terres demeurées vierges de l'intérieur brésilien :
- Mille cruseiros que tu ne pars pas, insistait Tad Schultz, rédacteur au Brazil Herald de Rio
- Mille cruseiros que je pars soutenais-je.
Ce grand garçon aux joues creuses m'ennuyait considérablement et pour rien au monde je lui aurais donné raison.
J'ai horreur de la vie dite civilisée, horreur des gens qu'on y rencontre et des habitudes qu'on y prend. Je vais essayer de comprendre des hommes primitifs, je vais vivre avec eux. Je vais retrouver les vieux instincts oubliés. J'ai mis ma persévérance à partir comme d'autres la mettent à rester bourgeois.
Avant de partir, j'extirpe quelques chiques qui commencent à se développer dans mes doigts de pied.
-Je suis blessé à la tête, dit-il.
-Comment?
-Une flèche sans doute. .. J'étais couché dans mon hamac et soudain j'ai senti un grand choc...
On regarde. Une grosse branche épineuse gît au creux de l'étoffe. Là où reposait la tête de l'homme. Un grand éclat de rire nous délivre de l'anxiété. Les hommes se retournent, croyant à une crise de folie. On leur explique, ils rient à leur tour à grands éclats, se moquant du blessé qui, penaud, cherche à éviter les quolibets.
-Un singe, un singe lui a lancé une branche sur la tête pour le punir d'être aussi laid et il a cru que c'était une flèche.... Ouhouhouhouh, le froussard!
Déjà les Boschs ont installé un boucan et mettent poissons et lézards sur la claie de rondins. Je crois que quitter mes nouveaux amis sera pénible. Déjà, nous avons nos habitudes, nous formons une famille perdue dans la grande nature et cet isolement nous rapproche tellement que parfois j'en arrive à trouver étrange la couleur de ma peau.
p. 178
Nous sommes au cœur du territoire interdit, au lieu du campement établi par Pimentel Barbosa. Cet homme avait une devise: Morrer si necessario for, matar...nunca. "Mourir s'il le faut. Tuer jamais."
C'était un apôtre de la colonisation. Il a dû mourir sans se défendre. Voulant espérer jusqu'au dernier instant.
La vie n'est pas de roses ici, étranger, dit-il en s'adressant à moi. Vous écrivez, moi, si je savais écrire, j'aurais beaucoup de choses à raconter. J'aime cette terre pourtant. on y crève facilement et sans remède...c'est un moyen de sélection comme un autre, seuls les forts ont le droit de vivre...
Mon cafard se dissipe avec les premiers rayons qui illuminent la verrière immense de l'aérodrome. Je suis heureux, car c'est le départ, et qu'y a-t-il de plus beau au monde qu'une arrivée ou un départ? Que la fièvre qui les précède ou qui les suit?
Allons garçon, supporte les mauvais moments dans l'attente des bons. Tu vis là la plus belle aventure de ta vie, celle que tu pourras raconter à tes petits-enfants, si un jour tu en as, en guise de conte de fées. Marche pieds nus, vêtu du simple calimbé, tanne ta peau au chaud soleil, durcis tes mains, tes pieds, allume ta pipe à la braise. Empiffre-toi quand tu le peux. Couche-toi quand tu as faim et tâche de dormir, Écoute le cri du crapaud-buffle, l'appel des singes rouges ; songe que tu es en brousse et que tu cours les bois pour vivre librement et t'instruire encore.

Le départ est encore renvoyé à demain. Plus un sou en caisse et je dois six mille francs de restaurant. Je suis ennuyé car arrivé à Sophie, pour joindre Maripasoula et ne pas perdre de temps, je devrai payer un guide porteur durant 5 jours à cinq grammes d’or par jour et acheter un canot pour naviguer sur la crique Petit Inini : de trois à cinq mille francs.
Je pourrais partir seul mais je perdrais un temps précieux dans une région ne présentant aucun intérêt pour l’exploration. Or, je veux aller vite car je suis terriblement en retard sur mon programme. Je devrais être aux Tumuc-Humac orientales ou aux sources du Kouc suivant l’itinéraire dressé à Paris. Il est vrai que les itinéraires en brousse !… Je prends à peine le départ et quel départ ! la saison sèche est sérieusement entamée.
J’ai demandé à plusieurs personnes un prêt remboursable par « Sciences et Voyages ». – Excuses habituelles et je me retrouve gros-Jean comme devant.
Retourner ? tout lâcher ?… Pas question !
Il me faut trouver de l’argent ; je réussirai, j’en suis sûr, seulement la saison sèche m’effraie car je serai certainement bloqué par les pluies très bientôt, quelque part dans la région inexplorée.