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Citation de BaudelaireViolette


Paul accompagna jusqu’à la Bastille François qui prenait le dernier train pour Champigny. On appelle ce train le train des théâtres. Il ne s’emplit qu’à la dernière minute, et de singuliers voyageurs. Ce sont des acteurs et des actrices, pour la plupart demeurant à La Varenne, et plus ou moins mal dégrimés selon la distance qui sépare leur théâtre de la gare. Il ne faudrait pas juger par ce train de la prospérité des théâtres à Paris, car on y rencontre plus de comédiens que de spectateurs. François de Séryeuse était en avance. Il monta dans un compartiment occupé par une famille de braves gens, qui venaient du spectacle. Elle sentait la naphtaline. Le petit garçon, très fier qu’on lui eût confié la garde des billets, pour imiter un geste paternel, les laissait dépasser au revers de sa manche. Le chef de la famille tenait d’une main et caressait de l’autre comme un animal, un chapeau claque d’une forme ancienne. Il faisait avec ce chapeau mille pitreries pour tenir les enfants éveillés. Il accompagnait ces farces d’un boniment débité avec l’accent des clowns, qui les faisait rire aux larmes. Ensuite, le frappant de sa main droite, il présentait une galette noire. – Tu n’as pas perdu les billets, Toto ? s’inquiétait-il de temps en temps. Ce ne serait pas la peine d’avoir pris des premières ! La dame et sa grande fille, honteuses du brave homme à cause de la présence de François, se plongeaient dans le programme du spectacle dont elles venaient et, lorsque les enfants trépignaient de joie, secouaient leur tête enveloppée d’une mantille. Elles souriaient, du sourire qui désavoue. François était gêné par la complicité féminine de la mère et de la fille. Alors que l’homme était heureux, que ce jour était pour lui un jour de fête, l’exceptionnel de ce même jour faisait souffrir les deux femmes. Elles pensaient qu’elles pourraient vivre ainsi chaque jour. Au moins leur plaisir eût-il été de faire croire, à un inconnu comme François, qu’elles étaient habituées à ces robes, au théâtre, aux premières classes. Mais l’attitude de leur bête d’homme était un aveu. François ne détestait rien tant que cette honte qu’éprouvent certaines femmes des classes médiocres pour l’homme à qui elles doivent tout. La mère et la fille, furieuses, ne se contentaient plus maintenant de sourire, elles tenaient tête. Alors que l’homme s’extasiait en bloc sur l’intérêt de la pièce, l’excellence des acteurs, du dîner au restaurant, le moelleux des coussins du wagon, elles opposaient de l’humeur à son enthousiasme : « Le wagon était sale, un acteur ne savait pas son rôle... » Des connaisseuses doivent se plaindre, pensaient elles. Et c’est, hélas ! ce que de bas en haut pense tout le monde. Le manège de ces femmes venait de ce qu’elles sentaient que François était d’une classe supérieure. Elles ne pouvaient deviner qu’il préférât à leur sottise la simplicité de leur trouble-fête. Le trouble-fête ne comprenait rien à cette scène. Il se consolait avec les enfants que n’avait point encore déformés le sentiment de l’inégalité. Aussi étaient-ils heureux comme des rois. Alors que le père en caressant ce chapeau haut de forme, qui l’amusait plus qu’il ne le flattait, était heureux de penser que son travail lui permettrait bientôt une autre sortie, leur robe gênait mère et fille, qui, l’une, pensait au tablier qu’elle mettrait le lendemain, l’autre à sa blouse de vendeuse...
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