Tante Victoire sortit avec elle et l'accompagna jusqu'au petit routin, où la mère Devaud reprit seule le chemin du retour à travers champs. Lorsqu'elle y fut arrivée, elle entendit le vent mener grand train dans les haies. Sous les rafales redoublées, les branches des châtaigniers pliaient, brusquement rejetées les unes contre les autres, et les châtaignes tombaient lourdement dans l'herbe mouillée où désormais elles demeureraient perdues. Le vent avait bien, depuis le matin, chevauché follement cette maigre journée, mais il semblait accélérer encore son allure, à présent que de sombres coursiers approchaient sur leurs longues pattes fragiles.(...).Le ciel, plus noir encore que la nuit, était mouvant et touchait presque terre.
Aujourd'hui, pour la première fois cette année, les choses avaient l'éloquence qu'elles retrouvent toujours quand renaît l'émouvant pressentiment du renouveau. Rien ne bouge nulle part encore, mais pourtant l'hiver se meurt, et à mesure qu,'il faiblit, tout ce qui attend sous la terre triomphe secrètement. A travers la dentelle raide de la forêt nue, à l'instant où le jour tombe, le ciel se couvre de rose, des nuages violets traînent en lambeaux, très bas vers le couchant.
Maintenant, tout était calme à nouveau, les marronniers secouaient leurs larges feuilles chargées d'eau; toutes les choses du jardin frémissaient comme un cygne au sortir de l'eau et la cour délavée peu à peu s'égouttait. Le soleil ne se montrait point encore mais on le devinait qui déchirait lentement la blancheur uniforme du ciel très doux. Les hirondelles volaient haut.
Ainsi, deux heures par jour, en été, la campagne est rendue à elle-même, et c'est l'instant de sa vraie grandeur. Elle évoque alors, par des vestiges, des restes magnifiques, l'infinie splendeurs des étés anciens.