Bien sûr, des hommes continuent de m’expliquer la vie. Et aucun d’eux ne s’est jamais excusé de m’avoir (mal) expliqué des choses que je connaissais mieux qu’eux.
Lorsque dans les années 1970 un journaliste demandait au Premier ministre de la république populaire de Chine, Zhou Enlai, son opinion sur la Révolution française, sa réponse fût : "Il est bien trop tôt pour le dire !"
(page xviii).
Les universités n'ont aucune bonne raison (mais beaucoup de mauvaises) de passer plus de temps à dire aux femmes comment survivre aux prédateurs plutôt que d'expliquer à l'autre moitié de leurs étudiants comment ne pas se comporter en prédateurs.
Mais les livres, eux, m'appartenaient bien. Fermé, un livre est un rectangle, fin comment une lettre ou épais et solide comme une boîte ou une brique. Ouvert, ce sont deux arches de papier qui, vues du dessus ou du dessous, rappellent le grand V des oiseaux en plein vol. Je pense à ça, puis aux femmes qui se transforment en oiseaux dans la mythologie grecque, notamment à Philomèle qui est métamorphosée en rossignol après avoir été violée par son beau-frère qui lui coupe ensuite la langue.
Avancer sur ses deux pieds rend semble-t-il plus facile le déplacement dans le temps ; l'esprit passe aisément des projets aux souvenirs, de la mémoire à l'observation.
Arpenter à pied le cadre gracieux et onéreux du jardin, c'est associer la marche avec une nature aménagée pour les classes oisives et avec l'ordre garant de leur oisiveté. Arpenter le monde à pied revenait en revanche à associer l'excursion à pied avec une nature travaillée par les classes laborieuses et avec les efforts révolutionnaires de tout bord pour défendre les droits et les intérêts des "travailleurs".
Marcher permet de se prémunir contre ces atteintes à l'intelligence, au corps, au paysage, fût-il urbain. Tout marcheur est un gardien qui veille pour protéger l'ineffable.
"La pensée critique sans espoir relève du cynisme, mais l'espoir sans pensée critique de la naïveté !"
Maria Popova (1985- ).
(page xii).
L'histoire des droits des femmes et du féminisme est souvent racontée comme s'il s'agissait d'une personne qui aurait déjà dû atteindre son objectif ou qui est trop en retard sur lui pour l'atteindre jamais.
(...) marcher encourage cet état de conscience particulier entre vigilance et flânerie, où l'espace parcouru n'est pas toujours présent à l'esprit.