Trop d'informations souvent contradictoires attisaient notre peur. l'entretenaient. L'Algérie se déchirait en une sorte de guerre civile. Des êtres humains ? des barbares aussi nuisibles que les SS allemands ! En France, je n'ai jamais osé le dire à quiconque. On m'aurait prise pour une affabulatrice. La seule vérité, c'est le sang des victimes, les larmes des enfants, l'air hagard des femmes, l'épouvante imprimée pour toujours dans les yeux, les cœurs, les corps. Oui j'avais peur. En permanence. Je ne le disais pas toujours. A quoi non ? Je n’étais ;pas la seule, c'était le lot commun. Nous étions tous frères dans la peur: Algériens et Européens.
-On a construit des routes, des barrages, des hopitaux, des écoles....destinés à tout le monde non ?
En oubliant l'essentiel : l'amour, le respect de celui qu'on a nommé avec un certain mépris, l'indigène. Vivre ensemble était possible ! maintenant au nom du droit du sol, du droit du sang, du droit des vainqueurs, on va tout casser ? Prétendre que les revendications de part et d'autres justifient des morts ! ou est le devoir d'humanité dans tout ça ?
-Qui va nous tirer de là ?
-Mendès France peut être...
Alors que j'entre dans l'église, je l'aperçois sur le trottoir d'en face. Il est là, il est de mon sang et je l'aime. Je n'ai pas le courage de l'appeler de le serrer dans mes bras. Il est le symbole vivant de ma déchirure. Écartelée entre deux cultures, deux familles, je me plie au choix déjà imposé depuis longtemps. Zineb Karmous est devenue Ginette Lejeune et dans quelques instants, elle sera Ginette Pelo.