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Critiques de Reinhold Ziegler (1)
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Version 5.12

Le monde parfait n’existe pas. Ce roman utopiste de Reinhold Ziegler nous dévoile l’agencement d’un monde futur – par rapport au moment de l’écriture, en 1997 – dans lequel la technologie, entité prétendument objective, aurait usurpé le pouvoir de l’homme, de nature subjective. Tubor Both – d’emblée, le nom connote une dualité sinon se rapproche de bot, robot –, le protagoniste mis en scène par Ziegler, vit dans ce monde du début du 21e siècle, à Wohnwiesen, une ville allemande fictive, décrite comme utopique, idyllique, avant-gardiste, considérée comme le berceau de la jeunesse et de la technologie sociologique expérimentale. Ce personnage nous livre, lors d’un interrogatoire – qui s’étire du début jusqu’à la fin de l’œuvre –, son passé qui trop souvent l’a déçu. En mal de son siècle – à l’instar des romantiques en perte de repères, au lendemain de l’épisode de 1789 –, habité par une mélancolie qu’il tentera de refouler, il doute progressivement de l’existence du bonheur dans cette mégapole, sinon de la nature de celui-ci, puisque le bonheur est bien plus complexe qu’il n’y parait, il n’est pas quelque chose qui se laisse caser dans une chemise en carton 1. Il y commettra l’irréparable en souhaitant mettre fin à toute cette manigance des machines. Aidé par son oncle, Roman, et une nouvelle rencontre, Chris, tous deux hackers expérimentés, il s’embarque dans une sédition contre l’ordre établi.



S’il décide de s’y opposer, c’est parce qu’il découvre que tous les faits et gestes, l’intimité, les habitudes, et les comportements des habitants sont observés, scrupuleusement sauvegardés dans une base de données – dont on estime à vingt-sept le nombre moyen de données ponctuelles par habitant – et astucieusement retournés contre eux entre autres à des fins commerciales (publicités ciblées, dont on connait déjà l’existence aujourd’hui) ou professionnelles (métier choisi selon les affinités) ; ceci inscrit clairement ce roman dans la lignée orwellienne 2 qui tentera de définir un monde régi par le contrôle mutuel et la répression intellectuelle des individus, y dénonçant là un progrès technologique plus que malsain car placé entre de mauvaises mains. L’authenticité même des liens entre êtres humains sont détournés au profit d’une individualité, résultat d’un nombrilisme narcissique – le pléonasme ne suffirait pas à lui seul pour qualifier ce détachement extrême du monde – propre à l’homme. Le thème du détachement du monde dû à la pression de la technologie nous fera penser aux télécrans muraux de Bradbury 3 qui esseulent les hommes – pris alors pour cibles d’une agression d’informations pour la plupart erronées et embarqués dans une illusion vraisemblable et rassurante – ou au White Noise de Don DeLillo 4 qui dépeint la vie de personnages bombardés par un « bruit de fond » de télévision, de noms de marque et de clichés – notons que les fiction cyberpunk de William Gibson 5 ou de Neal Stephenson 6 décrivent, grâce à des procédés narratifs identiques – l’ironie du réel –, ou presque, cet afflux incontrôlable d’informations en tous genres.

Au-delà de la technocratie, apparaissent dans l’univers de Ziegler une organisation de la société, non pas en strates si l’on s’en réfère au monde parfait d’Huxley 7, mais en agencements méthodiques. Ainsi, à Wohnwiesen, ne se côtoient que de jeunes personnes qui toutes sont affectées à un poste de travail selon leur personnalité. Cette recherche d’une harmonie par le biais d'un classement de la population selon différents facteurs est sociologiquement semblable au concept de Fourier 8, ce visionnaire utopiste qui classa hommes et femmes en 810 catégories composées de 1620 critères. Dans Version 5.12, on cherchera toutefois davantage la standardisation, tandis que Fourier convoitait une multiplicité enrichissante qui offrirait tout autant sa place à chacun.



Reinhold Ziegler, lui-même ingénieur spécialisé en informatique, est bien placé pour parler des nouvelles technologies. Son récit se veut donc vraisemblable car basé sur des connaissances approuvées. Témoin du « capitalisme tardif » 9, il y perçoit les dérives de l’homme qui entretient une confiance aveugle à l’égard des technologies. Version 5.12, dont on note les maladresses de traductions commises par Gisèle Godde – que je m’économiserai de recenser ici –, n’altérant heureusement en rien le fond de l’histoire, nous offre un roman d’anticipation à court terme dont certains détails se montrent étonnamment proches de ceux que n’aurait pu vivre l’auteur, il y a quinze ans, à savoir le crash boursier qu’il situe peu avant 2010, l’hameçonnage utilisé par certains médias pour cibler plus efficacement les individus et ainsi fructifier ou encore l’évolution significative de nos comportement quotidiens aux dépens de la technologie. Ziegler adresse à son lecteur une mise en garde attestant de la nécessité de conserver son esprit critique quant à tout progrès de la science. Ce roman marque son lecteur quant à l’imminence du danger, danger auquel nous ne sommes pas tout à fait voués mais du moins exposés.



Une technique narrative originale sous forme d’un interrogatoire, ce qui a le don de former l’intrigue, une thématique à propos de laquelle tous, surtout nos jeunes, sont concernés, une traduction certes maladroite mais non dérangeante, une histoire bien ficelée et poussant son lecteur à la réflexion, … S’il est vrai que ce qui fait peur, c’est la réalité, il ne suffit pourtant que d’entamer cette lecture pour se demander si l’équivalant de la version 5.12 n’existait pas aujourd’hui, et puis, au passage, si vous n’y contribuiez pas déjà.





Notes de bas de page :



1 : ZIEGLER (R.), Version 5.12, L’École des Loisirs, coll. « Médium », trad. GODDE (G.), 2002 [1997], Paris [Allemagne], p. 245.

2 : 1984, Georges Orwell, paru en 1948. Les personnes ne sont plus libres car le totalitarisme sévit.

3 : Fahrenheit 451, Ray Bradbury, paru en 1953. Il y décrit de grandes télévisions qui abrutissent et isolent les individus.

4 : White Noise [Bruits de fond], Don DeLillo, paru en 1985. Il y critique la société de la médiatisation ininterrompue de l’information (en Amérique).

5 : William Gibson, un des leaders de la littérature cyberpunk, écrit ceci sur son site (williamgibsonbooks.com) : “I suspect I have spent just about exactly as much time actually writing as the average person my age has spent watching television, and that, as much as anything, may be the real secret here.”. L’envergure que prend la technologie sur nos vies est inouïe.

6 : Neal Stephenson, souvent comparé à Thomas Pynchon, est un auteur de science-fiction qui touche à beaucoup de sous-genres. Il met également le lecteur en garde contre les nouvelles technologies.

7 : Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley, publié en 1932. Il y décrit un monde dont une des nombreuses particularités est la scission du spectre social en cinq castes.

8 : Charles Fourier est un philosophe français apparenté au « socialisme utopique », doctrine visant à atteindre plusieurs communautés idéales selon des modèles divers.

9 : Selon l’acception de Fredric Jameson qui désigne par là, en 1984, le passage de l’ère industrielle à l’ère de l’information.





Corpus de base :

ZIEGLER (R.), Version 5.12, L’École des Loisirs, coll. « Médium », trad. GODDE (G.), 2002 [1997], Paris [Allemagne], 252 p., ISBN : 2 211 049 04 4.


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