À l’agonie » voulait tout dire et ne rien dire – en général, dans l’attente d’une mise en examen ; à l’hôpital, l’agonie physique était en général appelée « inconfort ». « Problème » et « tragédie personnelle » voulaient dire crimes. « Serein » et « déconnecté de la réalité » signifiaient que le locuteur essayait de se dédouaner en suggérant que son patron était fou. « Il a suffisamment souffert » voulait dire que, si l’on continue l’enquête, on va finir par découvrir que nos amis sont mouillés dans l’affaire. Une quantité suffisante de souffrance, dans la vie publique, consistait sans doute à perdre la face, ou son poste, ou, avant cela, à se faire prendre, ou à avoir vécu dans la peur de se faire prendre, ou à commettre des crimes ou à avoir voulu en commettre.
Tous les entraîneurs font des scènes – comme si ces fractures, ces cicatrices, ces grognements, ces coups, ces claudications et ces nez cassés en valaient vraiment la peine. Ils croient peut-être que le hockey sur gazon pour les filles, le football pour les garçons les aideront à mieux appréhender leur vie d’adulte. Ces entraîneurs, hommes ou femmes, ont toujours eu des disciples. En fait, de tous ceux qui ont été en pension dans une grande école progressiste ces années-là, je ne connais personne qui, sur ces terrains de sport, n’ait pas souffert d’une blessure ou d’une défiguration sans gravité mais à jamais handicapante.
Le problème avec les mots croisés du journal du dimanche est que, arrivé à la moitié, vous pouvez vous retrouver à suivre la trace d’un esprit que vous abhorrez. Je commence, comme la plupart des gens, par les définitions à trous, « 53 vertical…-lyre » et je continue avec les mots dont je suis sûre. Je m’aperçois que si j’arrive à remplir rapidement le coin supérieur gauche, je suis incapable de finir la grille. Je ne sais pas pourquoi. Il faut attaquer en premier le centre de la grille ou bien ça ne marche pas.
Je connaissais quelqu’un qui s’endormait en comptant, non pas des moutons, mais les gens contre qui il avait une dent – certains petits tyrans de son enfance, des assistantes de l’école maternelle, et même des nounous, des patrons, des employés, toutes les personnes malveillantes rencontrées jusque-là. Une fois rassemblés dans son esprit, il les passait au fusil-mitrailleur. S’il avait oublié quelqu’un, il devait recommencer depuis le début. Les rassembler une fois de plus. Les fusiller. Il dormait plutôt bien
Les hommes pouvaient discuter de royalties, d’herbe, de sexe, de scénarios et de politique. Les filles, abandonnées à leur sort, fille, espace, fille, espace, fille, espace – quatre jeunes femmes et quatre chaises vides à la plupart des tables –, avaient plutôt l’air absent, effrayé. La gent masculine semblait réticente à aller se coucher. L’addition posait toujours problème. Certains habitués faisaient comme si elle n’existait pas.
Il y a des crampes d’un ordre bien différent contre lesquelles même des médecins endurcis – sachant que ce n’est pas important, temporaire, juste une question d’heures – attrapent du Demerol et une seringue. Il doit en aller ainsi pour chaque événement solitaire et dégradant dont on se sort en n’ayant strictement rien appris. Pas de conclusion à en tirer. Les solitaires voient un double sens à tout.
Le vrai bégaiement, qui pèse tellement sur le langage qu’il semble absolu, est une façon d’occuper les voies aériennes jusqu’à ce que le locuteur ait à peu près formulé son message. J’ai remarqué que ces bègues-là parlent beaucoup. Le meilleur interprète que j’aie jamais rencontré souffrait d’un grave problème d’élocution dans sa langue maternelle.
Les meurtres, en général, étaient qualifiés de sauvages et les massacres d’insensés afin de les distinguer de tous les autres crimes ; les substantifs se retrouvaient collés aux adjectifs, en série, comme si on voulait les consolider. Toutefois l’idée salon laquelle « les carottes sont cuites » n’avait plus de place que dans les thrillers.
...ce sont des écrivains qui n’écrivent pas. Que les « écrivains écrivent » est censé aller de soi. Les gens aiment le dire. Je sais que c’est rarement vrai. Les écrivains boivent. Les écrivains rouspètent. Les écrivains téléphonent. Les écrivains dorment. Je connais très peu d’écrivains qui écrivent pour de bon.
Provocation, déduction, ces thrillers que tout le monde lisait étaient obsolètes. Les carottes n’étaient plus cuites dans aucune affaire. Au même moment, les thérapeutes gagnaient leur vie en disant : « Vous êtes trop dur avec vous-même. »