Citations de René Char (1421)
Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder ils s'habitueront.
Le thor
Dans le sentier aux herbes engourdies où nous nous étonnions, enfants, que la nuit se risquât à passer, les guêpes n'allaient plus aux ronces et les oiseaux aux branches. L'air ouvrait aux hôtes de la matinée sa turbulante immensité. Ce n'était que filaments d'ailes, tentation de crier, voltige entre lumière et transparence. Le Thor s'exaltait sur la lyre de ses pierres. Le mont Ventoux, miroirs des aigles, était en vue.
Dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère d'un âge perdu souriait à nos jeunes larmes.
Faction du muet
Les pierres se serrèrent dans le rempart et les hommes vécurent de la mousse des pierres. La pleine nuit portait fusil et les femmes n’accouchaient plus. L’ignominie avait l’aspect d’un verre d’eau.
Je me suis uni au courage de quelques êtres, j’ai vécu violemment, sans vieillir, mon mystère au milieu d’eux, j’ai frissonné de l’existence de tous les autres, comme une barque incontinente au-dessus des fonds cloisonnés.
(p. 429)
Les ans passèrent. Les orages moururent. Le monde s'en alla. J'avais mal de sentir que ton cœur justement ne m’apercevait plus. Je t'aimais. En mon absence de visage et mon vide de bonheur. Je t'aimais, changeant en tout, fidèle à toi.
"J’ai toujours le cœur content de m’arrêter à Forcalquier, de prendre un repas chez les Bardouin, de serrer les mains de Marius l’imprimeur et de Figuière. Ce rocher de braves gens est la citadelle de l’amitié. Tout ce qui entrave la lucidité et ralentit la confiance est banni d’ici. Nous nous sommes épousés une fois pour toutes devant l’essentiel."
Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière.
La poésie vit d’insomnie perpétuelle.
Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, qui tient éveillés le courage et le silence
On ne peut guère s'attacher à plusieurs choses à la fois, mais il faut être soi tout entier pour une ou deux de ces choses essentielles. Hors de cela on est broyé sans espoir et notre conscience se détourne de nous.
(Extrait de "Trois coups sous les arbres")
Nous tombons. Je vous écris en cours de chute. C'est ainsi que j'éprouve l'état d'être au monde.
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience.
L'instant est une particule concédée par le temps et enflammée par nous.
Je ne puis être et ne veux vivre que dans l'espace et dans la liberté de mon amour. Nous ne sommes pas ensemble le produit d'une capitulation, ni le motif d'une servitude plus déprimante encore. Aussi menons-nous malicieusement l'un contre l'autre une guérilla sans reproche.
La faveur des étoiles est de nous inviter à parler, de nous montrer que nous ne sommes pas seuls, que l'aurore a un toit et mon feu tes deux mains.
(IV. Ligne de foi, extrait de Quatre-de-chiffre, p. 398)
Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance unique.
Les mots savent de nous des choses que nous ignorons d'eux.
LE DEUIL DES NEVONS
Un pas de jeune fille
A caressé l'allée,
A traversé la grille.
Dans le parc des Névons
Les sauterelles dorment.
Gelée blanche et grêlons
Introduisent l'automne.
C'est le vent qui décide
Si les feuilles seront
A terre avant les nids.
QU'IL VIVE !
Ce pays n'est qu'un voeu de l'esprit, un contre-sépulcre.
Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts
lointains.
La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif.
Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.
Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.
Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.
On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits.
On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.
Dans mon pays, on remercie.
Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie,
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
(début du poème "Commune présence")
Souvent je ne parle que pour toi, afin que la terre m'oublie.