La société totale ne sait rien voir d'autre que sa préhistoire dans les sociétés qui l'ont précédée.
Le sort de l’humanité est donc scientifiquement scellé : il ne lui reste plus qu’à optimiser la maintenance de son fragile biotope terrestre. C’était le programme de l’écologie scientifique, c’est en train de devenir celui de tous les États.
Les « contraintes du présent » que se plaît à seriner le réalisme des experts sont exclusivement celles qu’imposent le maintien et la généralisation planétaire d’un mode de vie industriel
condamné.
L’essentiel va maintenant se jouer sur la capacité à ressaisir les fils, et d’abord par la parole maîtrisée ou par l’écrit. J’essaie de faire ce que je peux dans un certain isolement, donc plutôt de façon souterraine, avec les limites que ça comporte. Tout va reposer sur toi à ta sortie. Prépare-toi bien, ça va être lourd. Mais l’occasion est trop belle de parler clair, sur les liens véritables entre les actions menées, sur l’actions directe, sur les OGM et les empoisonneurs eugénistes, contre les illusions réformistes Tobin, et sur l’État évidemment ! Toi seul, au point où en sont les choses, peux casser la bovémania qui cache la forêt.
La science et la technologie modernes s’apparentent à un mouvement de masse totalitaire ; et pas seulement (comme l’avait révélé Theodore Kaczynski) parce que les individus qui y participent ou s’y identifient en retirent un sentiment de puissance, mais aussi parce qu’une fois admis le but profondément délirant qu’est celui d’un contrôle total des conditions de vie, une fois abdiqué tout sens commun, aucun désastre ne suffira jamais à ramener à la raison le progressiste fanatisé. Il y verra au contraire un motif supplémentaire de renforcer le système technologique, d’améliorer la sécurisation, la traçabilité, etc. C’est ainsi qu’il devient catastrophiste sans cesser d’être progressiste.
Il s’agit, ni plus ni moins, d’une tentative de supplanter définitivement la nature (extérieure et intérieure à l’homme), d’éliminer cette dernière résistance à la domination du rationalisme technologique. Une « raison » qui veut ignorer – et ici supprimer pratiquement – tout ce qui n’est pas elle, c’est, je crois, la définition minimum du délire.
Quiconque observe de bonne foi l’évolution de cette société n’échappe pas à la conclusion qu’une de ses forces est de savoir répondre, par anticipation s’il le faut, aux nouveaux problèmes de gestion, de régulation et de contrôle sociaux que lui pose son incontestable victoire historique : elle est, pour l’essentiel, venue à bout de toutes ses formes connues de résistance à son empire. Elle n’a plus d’opposition révolutionnaire, fût-elle justifiée ou spectaculaire, et ne peut donc plus avoir d’opposition réformiste. Elle a appris qu’il sera toujours avantageux de mettre en scène les conflits fictifs où elle laisse aux adversaires factices qu’elle se choisit le soin de rédiger leur cahier de doléances et la liste des ménagements qu’elle a besoin de mettre en oeuvre.
L’État qui rassure gouverne par la crainte et généralise l’inquiétude plus efficacement qu’il ne l’apaise ; mais il n’est pas du tout certain que de cette inquiétude sorte autre chose qu’un syndrome de Stockholm généralisé, où les hommes résignés à l’incarcération industrielle, fraternisent avec les contraintes imposées par la rationalité techniciste et finissent par ne même plus imaginer pouvoir un jour sortir de cet enfermement.
Le catastrophisme exprime bien sûr avant tout les peurs et les tristes espoirs de tout ceux qui attendent leur salut d'une sécurisation par le renforcement des contraintes.
En achevant de saper toutes les bases matérielles, et pas seulement matérielles, sur lesquelles elle reposait, la société industrielle crée des conditions d'insécurité, de précarité de tout, telles que seul un surcroît d'organisation, c'est-à-dire d'asservissement à la machine sociale, peut encore faire passer cet agrégat de terrifiantes incertitudes pour un monde vivable.