En écrivant ces lignes, je vois d'ici quelques sourires sceptiques effleurer certaines lèvres de gens "comme il faut", pour qui le marin est cet être insupportable, fantaisiste, violent, brutal, grossier, révolté, incroyant, que sais-je encore ? Tout ceci est faux et vrai à la fois. Le marin, j'entends celui de la vraie marine, celui qui, hier encore, grimpait dans les enfléchures et crochait à pleine poignée dans la toile rigide, celui qui, à la barre, savait domestiquer le grand corps sauvage de bois ou d'acier du navire et jouer au plus fort et au plus malin avec les vents, les courants, les cailloux, ce marin-là est bien autre chose que cela. Le marin, c'est aussi ce tendre qui adore les enfants, qui aime tant tout ce qui peut l'émouvoir : musique, chants, poésies. Rien de plus naïf, de plus crédule, de plus disposé à accepter le surnaturel que l'homme de mer !
Voici trois jours que nous naviguons et la barque avance rapidement sur la mer paisible. Mais là-bas elle se gonfle, se tort en vagues monstrueuses et, au milieu de ces eaux tumultueuses, apparaissent la tête hideuse et le corps ondulant d'un immense serpent qui vient vers nous, hurlant plus fort que quinze taureaux en furie. Sa gueule aux mâchoires bordées d'énormes crocs jette des torrents de flammes comme si toutes les bouches de l'Enfer s'étaient dressées à la surface de la mer.