Peut-être qu'il prendra ma main
Et qu'il me conduira dans son sombre royaume
Et qu'il me fermera les yeux et qu'il étouffera mon souffle...
J'ai rendez-vous avec la mort...
Alan Seeger
Rendez-vous
Le soldat moyen, armé d'un fusil et d'une baïonnette, va automatiquement enfoncer l'arme aussi loin qu'elle pourra aller. En fait, il transpercera son ennemi.
Cela, on doit lui enseigner à ne pas le faire. La peau et les muscles collent à la lame et il devient difficile de l'extraire. La bonne méthode, telle qu'on l'enseigne dans l'Armée, c'est un coup de baïonnette bref, suivi d'un demi-tour pour supprimer la friction au moment où l'on retire l'arme.
Après cela, il avait laissé son instinct guider ses actions et c’était un de ces élans irréfléchis qui l’avait fait revenir à Highfield quinze jours seulement après s’être introduit à Melling Lodge. Il avait éprouvé une violente envie d’y retourner et seule une certaine hésitation l’avait poussé à passer toute la nuit à côté de sa motocyclette et à attendre l’aube pour s’assurer que la police ne fouillait plus les bois.
Toutefois cette expérience dans les bois l’avait incité à davantage de prudence. Il avait modifié son aspect physique en se rasant la moustache et il avait repeint la carrosserie du side-car. Ces changements lui avaient inspiré un sentiment de plus grande sécurité.
Malgré cela, l’idée ne lui vint jamais de s’arrêter. Il en était incapable. Le besoin qu’il ressentait en était arrivé à régenter sa vie, à emplir ses pensées et à constituer le seul but de son existence. C’était un besoin qui mourrait avec lui, mais pas avant.
Il y avait peu de risque qu’on lui demandât jamais d’expliquer pourquoi il avait creusé les tranchées et d’ailleurs il aurait été dans l’impossibilité de donner une réponse cohérente. A l’origine, dans les bois qui dominaient Highfield, il avait simplement décidé de se construire une sorte d’abri. La tranchée avait pris forme sans presque qu’il en eût l’intention. Mais une fois qu’elle fut terminée, il vit que c’était bien. Assis dans les ténèbres comme dans le ventre de sa mère, il avait connu des moments de paix et de satisfaction si étrangers à sa nature qu’il s’était demandé tout d’abord s’il ne fallait pas y voir les symptômes d’une maladie.
La découverte par la suite que deux hommes le poursuivaient – l’un, il l’avait reconnu, c’était le policier du village – avait provoqué chez lui un moment d’affolement. Jusqu’alors il avait eu l’impression d’être invulnérable, presque invisible, vaquant à ses occupations sans être vu, ni soupçonné. Il savait maintenant que ce n’était pas le cas.
As-tu déjà oublié ?...
Regarde, et jure par le vert du printemps
que tu n'oublieras jamais.
Siegfried Sassoon
Après
Le soldat moyen, armé d'un fusil et d'une baïonnette, va automatiquement enfoncer l'arme aussi loin qu'elle pourra aller. En fait, il transpercera son ennemi.
Cela, on doit lui enseigner à ne pas le faire. La peau et les muscles collent à la lame et il devient difficile de l'extraire. La bonne méthode, telle qu'on l'enseigne dans l'Armée, c'est un coup de baïonnette bref, suivi d'un demi-tour pour supprimer la friction au moment où l'on retire l'arme.
C'était de notoriété publique au Yard. Un des sergents lui avait raconté que le bataillon de Madden avait été au feu dès le premier jour. Sur sept cents hommes, racontait le sergent, moins de quatre-vingts avaient survécu pour répondre à l'appel du soir.