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Revue Cahiers de Géopoétique
Kenneth White : Géopoétique de la Provence


Tous les « habitués » de la Côte des XIXe et XXe siècles n’avaient pas la sensibilité ni l’intelligence de Stevenson ou de Nietzsche, loin de là. Aux malades qui traînaient leur misère allaient succéder les nantis qui traînaient leur ennui et qu’il fallait distraire, en créant, par exemple, des casinos. À ceux-là allaient se joindre toutes sortes de « gens du spectacle », pour la plupart bruyants et ostentatoires, qui allaient ajouter aux accumulations pseudo-culturelles déjà existantes leurs propres manifestations frelatées. Pour compléter la congestion allait arriver le tourisme estival de masse, la Côte se transformant de plus en plus en un ruban sururbanisé, saturé et pollué. Ce qui restait de l’originalité culturelle provençale était réduit à des caricatures et des fêtes folkloriques, la mentalité ambiante n’étant plus que mercantile.

Je me contente de dresser là un tableau très rapide, car tout le monde est au courant. Il faut seulement garder vive l’analyse, préserver un sens des vraies valeurs, maintenir des perspectives.

Mais revenons aux convalescents.

Ne sommes-nous pas tous, au fond, des convalescents, sortis du cauchemar de l’histoire et de la longue maladie de l’humanité, cherchant à renouer contact avec la terre, à retrouver les éléments d’une culture pro­fonde ?



*



C’est dans la Provence cévenole ou alpine, en Ardèche (« le pays des hauteurs brûlantes »), cette région que l’on a appelée « le désert français » ou « la France du vide » au cours des années soixante du siècle dernier, que je me suis initié à la culture provençale.

Précisons tout de suite qu’à l’instar des troubadours, qui appliquaient le terme de Provence à toute l’aire linguistique que l’on allait appeler par la suite l’Occitanie, je donne à ce terme une acception géographique et cul­turelle large. À l’origine, ce fut la partie la plus précocement romanisée de la Gaule. Sur le plan ethnique, ce fut une fusion de races : Gaulois, Celto-ibériens, Liguriens, Grecs, Romains, Juifs et Arabes. La Provence n’a jamais constitué une nation – l’idéologie nationaliste ne faisait pas partie de sa culture. Sur le plan politique, elle a connu plusieurs juridictions : celle du Saint Empire romain germanique, celle du comté de Toulouse, celle du duché d’Aquitaine, celle du Royaume d’Aragon. Elle s’en contentait, sa ten­dance profonde allant vers une sorte de fédéralisme anarchiste. Quand, en 1481, elle s’unit à la France, il ne s’agissait en principe, ni d’une annexion ni d’une absorption, mais d’une union paritaire. Dans le domaine linguistique, sur la base du latin vulgaire, le roman, elle développa surtout le provençal proprement dit, la langue d’oc, le gascon et le catalan, le koine étant un occitan classique utilisé par la plupart des poètes.

Ces poètes étaient des troubadours. Le mot trobador viendrait du latin médiéval tropator, du verbe tropare, qui signifiait composer des tropes, des paroles pour accompagner l’alléluia. Mais la simple notion de « trouver » n’est sans doute pas à négliger. Ils étaient amoureux de trouvailles, de jeux subtils, de rythmes complexes. Cela pouvait aller du limpide au compliqué, du trobar leu, plutôt simple, au trobar clus, très ramassé et synthétique, en passant par le trobar ric, aux sonorités éclatantes. Ils avaient pour noms Guillaume, duc d’Aquitaine, Bernart de Ventadour, Arnaut Daniel, Peire Vidal, Jaufré Rudel, Raimbaut d’Orange, Arnaud de Mareuil, Guillaume de Capestany, Pierre d’Auvergne, Raimbaut de Vaqueyras, Bertrand de Born. Ils circulaient beaucoup, comme l’indiquent les noms de deux d’entre eux, Cercamon et Marcabru, qui étaient gascons.

Ils pratiquaient le chant d’aurore, l’alba, ils chantaient l’amour « distillé », la fin’amor, l’amour lointain, l’amor lontana, la joi, qui est à la fois « joie » et « jeu », la cortesia, qui est beaucoup plus que la courtoisie ou le fait de « faire la cour » ou de « faire sa cour », mais une relation libre entre personnes évoluées, ils mettaient en avant la larguesa, la générosité, l’ouverture d’esprit.

On trouve chez eux un culte du plaisir – plaisir aux choses de la nature, plaisir à employer librement le langage, plaisir de vivre tout simplement – opposé à la fois aux lourdeurs du régime féodal et aux contraintes, ainsi qu’à la spiritualité un peu épaisse de l’église. Il y eut rarement dans l’histoire de la culture humaine une combinaison aussi complète d’eros, de logos et de cosmos, une fusion aussi parfaite d’affectivité et d’intellectualité.

Voici Guillaume d’Aquitaine :



Faraï chançoneta nueva

ans que vent ni gel ni plueva



Je ferai chansonette nouvelle

avant qu’il vente, pleuve ou gèle



Voici Bernart de Ventadour :



Lo cors a fresc, sotil e gai

et anc non vi tan avinen



Son corps est frais, subtil et gai

je n’en ai jamais vu d’aussi plaisant



Voici Arnaut de Mareuil :



Si cum li peis an en l’aiga lor vida

l’ai eu en joi e totz temps la i aurai



Tout comme les poissons ont leur vie dans l’eau

j’ai la mienne dans la joie, et toujours l’aurai



Voici Raimbaut d’Orange :



Cars bruns e teinz motz entrebesc

pensius pensanz enquier e serc



Je tisse des mots colorés, sombres et rares

pensivement pensif je cherche et m’enquiers



Et voici pour terminer cette petite anthologie du Midi, ceci, de Peire Vidal, qui embrasse avec délectation le territoire tout entier :

Je hume, en respirant, la brise qui m’arrive de Provence. La plus douce terre du monde, c’est celle qui s’étend du Rhône à Vence, de la mer à la Durance. Nulle part n’éclate une joie plus parfaite.

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Ce sont nos efforts pour saisir tous les aspects de la vie qui la rendent si passionnément intéressante. » Virginia WOOLF III

Par la suite, forte de cette expérience traumatisante, chaque fois qu’elle voulut dévoiler des souvenirs pénibles, elle le fit avec humour, dans une retenue délibérée de sentiments. Que ce soit dans 22 Hyde Park Gate, Le vieux Bloomsbury et Suis-je une snob ?, elle transforme sa vie en récits « élégants », spirituels, susceptibles de plaire aux membres du Memoir Club. Il fallait être brillant et Virginia l’avait bien compris :

« Le Memoir Club se révéla terriblement brillant – autrement dit, je l’ai été, moi ; et Léonard beaucoup plus remarquable encore, tout en se donnant beaucoup moins de peine ; et Morgan fut très professionnel » [25].

C’est seulement dans son Esquisse du passé, écrite vers la fin des années 1930 (et clairement destiné à la publication) qu’elle commença à parler « ouvertement » de certains moments difficiles de sa vie mais avec encore une certaine retenue. Dans les premières pages, elle décrit comme l’un de ses plus puissants souvenirs (resté caché jusqu’ici) le sentiment de honte et de culpabilité qu’elle éprouvait, enfant, devant le miroir du vestibule ; sentiment qu’elle explique en partie par son ascendance puritaine, mais surtout parce que cet événement du miroir est lié à un épisode traumatique de son enfance :

« Je décèle encore un autre élément dans ma honte à l’idée d’être surprise à me regarder dans le miroir du hall, je devais avoir honte et peur de mon corps. Un autre souvenir, toujours dans le hall, peut contribuer à expliquer cela. Il y avait près de la porte de la salle à manger une sorte de console où poser les plats. Une fois, alors que j’étais encore toute petite, Gerald Duckworth me hissa dessus, et pendant que j’étais assise là il se mit à explorer ma personne. Je me rappelle encore la sensation de sa main s’insinuant sous mes vêtements, descendant sans hésiter, régulièrement de plus en plus bas. Je me rappelle que j’espérais qu’il cesserait (…). Mais il ne s’arrêta pas. Sa main explora mes parties intimes aussi. Je me rappelle que je me suis sentie offusquée, rebutée – quel mot conviendrait pour un sentiment aussi vague et mélangé ? Il devait être très violent puisque je m’en souviens encore » [26].

Quelques semaines avant son suicide, elle écrit à son amie Ethel Smyth pour la féliciter de la liberté avec laquelle elle évoque le sexe par écrit (et tout spécialement dans son autobiographie), liberté dont elle-même se sent bien incapable :

« Mais dans la mesure où la sexualité gouverne une grande partie de notre vie – c’est du moins ce qu’on dit – l’autobiographie risque d’être fortement tronquée si cet aspect-là est passé sous silence. Et, pour ce qui est des femmes il risque à mon sens de l’être pendant encore des générations : c’est une opération délicate – un peu comme de rompre l’hymen – si c’est bien là le nom de cette membrane – liée sans doute à toutes sortes d’instincts enfouis au plus profond. Aujourd’hui encore, je frémis de honte chaque fois que je pense à mon demi-frère et à la manière dont, après m’avoir hissée sur le rebord d’une fenêtre, il caressait mes parties les plus intimes ; je devais avoir 6 ans à l’époque. Pourquoi éprouvai-je de la honte alors ? » [27]

Ce serait faire une lecture grossière de la lettre de Virginia à Ethel que de supposer que Gerald Duckworth « avait brisé sa membrane, (…) lui avait ravi sa virginité » [28], et faire fi de la pudeur de Virginia. Dans cette lettre, la rupture de l’hymen est « une métaphore pour désigner la perte de virginité en tant qu’écrivain, la fin de l’autocensure » [29]. La honte sexuelle ressentie par Virginia dans son enfance est une chose dont elle n’avait jamais pu parler.
D’ailleurs, ce fragment inachevé qu’est cette Esquisse du passé est tout entier marqué par de nombreuses ellipses et de brusques arrêts dans la narration :

« Là, j’en viens à une des difficultés de l’auteur de biographies – une des raisons pour lesquelles sur les nombreuses que je lis, nombreuses sont celles qui tombent à plat. Elles laissent de côté la personne à qui les choses sont arrivées. Cela, parce qu’il est très difficile de décrire un être humain. Alors on dit : « Voilà ce qui est arrivé » ; mais sans dire à quoi ressemblait la personne à qui c’est arrivé. Et les événements n’ont pas grand sens à moins qu’on sache d’abord à qui ils sont arrivés. Qui étais-je alors ? » [30].

C’est alors ce côté insaisissable du moi qui devient le sujet même de cette Esquisse du passé. Le sujet de toute la vie de Virginia Woolf et sur lequel, quatre mois avant de se suicider, elle peut enfin écrire. Elle a beaucoup réfléchi sur le fonctionnement de la mémoire et sur l’attrait du passé :

« (…) je dois me contenter de noter que le passé est magnifique parce que l’on ne ressent jamais une émotion dans toute sa réalité sur le moment. Elle se développe par la suite, si bien que nous n’avons pas d’émotion complète dans le présent, mais seulement dans le passé. Cela m’a frappée sur le quai de la gare de Reading, alors que je regardais, mais non sans une certaine émotion déjà, Nessa et Quentin qui s’embrassaient, lui s’avançant timidement. Cela je m’en souviendrai et je devais l’approfondir une fois libérée de la nécessité de traverser le quai, de trouver notre autobus, etc. C’est pour cela même que nous nous attardons sur le passé, je crois » [31].

Pourquoi est-ce donc si important de se remémorer le passé ? Parce qu’il permet de saisir une certaine continuité du moi. Le Journal de Virginia est rempli de ces passages où elle cherche désespérément à faire revivre le passé, afin de sentir qu’elle a existé et continue d’exister :

« Pour réveiller mes souvenirs de la guerre, j’ai lu quelques vieux cahiers de mon journal. Les larmes me sont encore et encore montées aux yeux en lisant ce que j’écrivais sur L. à Richmond : nos disputes, et comment il s’est glissé dans mon lit avec une petite bourse, et tout (…). Le sentiment de tout ce qui est emporté à jamais par le courant, inconnu pour toujours ; l’étrange impression que le passé engloutit une trop grande part de nous-même » [32].

Grâce à son Esquisse du passé, Virginia Woolf entend bien échapper « à la bouche dévorante du temps » [33]. Elle va donc se lancer dans un processus de réitération. Maintes et maintes fois, elle va marquer le passé en revenant sur les mêmes scènes, les mêmes paysages, les mêmes personnes, les mêmes chambres, parce qu’elle est persuadée que ce que nous avons ressenti avec une forte intensité continue d’exister quelque part :

« Je le vois – le passé – comme une avenue qui s’étend derrière moi ; un long ruban de scènes et d’émotions. (…) Au lieu de me rappeler une scène par-ci, un bruit par-là, je brancherais une prise dans le mur ; et j’écouterais le passé. (…). Je sens qu’une vive émotion doit laisser sa trace ; et qu’ il s’agit simplement de découvrir comment nous pourrions la suivre, de manière à revivre notre vie depuis son commencement » [34].

Ce processus de réitération, il est déjà à l’œuvre dans le Journal. Virginia Woolf, diariste, se répète continuellement. D’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, les problèmes et les préoccupations restent les mêmes. Le journal devient « une preuve éclatante (…) de la constance du tempérament et du ‘moi’ » [35].
Peut-on raisonnablement penser, à ce stade de notre réflexion, que l’écriture d’un journal ait pu aider Virginia Woolf à saisir, non pas l’unité de son moi, mais une certaine continuité de ce moi ? Le journal nait-il d’un problème d’identité et peut-il devenir un élément de stabilité, même relative, chez ceux qui ont du mal à saisir les fluctuations de leur moi ? Nous répondrons par l’affirmative, ne serait-ce qu’en considérant l’aspect formel du journal, car « inscrire le lieu et le temps, c’est prendre appui sur un réel, relativement solide, pour s’élancer vers les zones beaucoup plus fuyantes du moi » [36]. Le temps que marque le journal, c’est celui de la réalité, ce n’est pas celui de la fiction. C’est pourquoi « un écrivain aussi pur que Virginia Woolf (s’est) sentie comme obligée de revenir auprès d’elle-même dans un journal de bavardage où le Je s’épanche et se console » [37]. De plus, le journal joue aussi le rôle d’un garde-fou contre les dangers de l’écriture : « Le journal est l’ancre qui racle contre le fond du quotidien et s’accroche aux aspérités de la vanité » [38].

On ne peut pas réfléchir sur le rôle du journal intime chez Virginia Woolf sans parler de sa correspondance. Pour faire un bref rappel de l’ensemble de cette correspondance, soulignons qu’elle est publiée en six volumes et comprend quatre noyaux épistolaires principaux se partageant près de deux mille lettres : à Violet Dickinson jusqu’en 1922, puis plus brièvement dans les années trente, à Vita Sackville-West dans les années vingt et trente, à Ethel Smyth dans les années trente, et enfin à Vanessa Bell depuis son mariage en 1907 jusqu’en mars 1941. Autour de ces quatre blocs de lettres se greffe une somme d’autres destinataires, masculins et féminins, personnages célèbres ou simples anonymes.

Alors, pourquoi Virginia Woolf a-t-elle écrit un nombre aussi impressionnant de lettres ? Outre le plaisir d’écrire, qui est une évidence, il semble que la romancière anglaise ait su très vite tirer parti de la lettre. Elle a développé deux idées : celle de la lettre comme miroir et celle de la lettre comme scène. Ces deux pôles sont intrinsèquement articulés. Ainsi, « le champ de la « spécularité » rend compte de la construction d’une image de soi pour un destinataire » [39] puisque Virginia souhaite atteindre une transparence idéale de la lettre, comme elle l’écrit à Violet Dickinson : « a letter should be flawless as a germ, continuous as an eggshell, and lucid as a glass » [40] ; et « le registre de la « théâtralisation » (…) traduit l’espace de la représentation qu’est la lettre »
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Dans deux textes, il en fait même très précisément la généalogie. Le premier s’intitule Histoire de la contemplation physique de l’univers, le deuxième Descriptions poétiques de la nature.

Au premier abord, l’Histoire de la contemplation physique de l’univers pourrait ne sembler qu’une histoire abrégée de la science, des sciences. Mais les sciences séparées ne peuvent fournir que des matériaux pour le fondement de ce que Humboldt appelle «la science du cosmos», ou encore «le développement de l’idée de cosmos», ou bien encore, en citant Otfried Müller, l’élaboration de l’«idée poétique de la terre».

Pour le propos général, il cite son frère, Wilhelm von Humboldt: «Il peut paraître étrange de vouloir allier la poésie, qui se plait dans la variété, la forme et la couleur, aux idées les plus simples et les plus abstruses. Mais cela se justifie pleinement. La poésie, la science, la philosophie et l’histoire ne sont pas essentiellement séparées les unes des autres. Elles sont unies, ou bien quand une certaine étape du progrès humain situe l’homme dans un état unitaire, ou bien quand une inspiration authentiquement poétique projette l’individu dans un tel état.» Humboldt se lance alors dans son historique, en prenant le soin de préciser qu’il va aller vite, qu’il ne s’agit pas de se perdre dans les détails, mais de voir des lignes de crête, de dessiner une configuration (certaines époques, certaines œuvres peuvent n’avoir qu’une ligne intéressante, c’est celle-là qu’il s’agit de dégager, en la combinant avec d’autres dégagées d’autres contextes).

Dans l’Histoire de la contemplation physique de l’univers, Humboldt distingue, en Occident, sept époques, sept aires: 1º la Méditerranée; 2º la Macédoine sous Alexandre le Grand; 3º l’Egypte des Ptolémée; 4º l’Empire romain; 5º l’Arabie; 6º les grandes découvertes océaniques; 7º les découvertes célestes. Grâce à l’esprit «vivant et mobile» des Grecs, la Méditerranée avait connu «un élargissement rapide du cercle des idées». Mais il n’y avait pas que les Grecs, il y avait les Phéniciens, avec leurs voyages et leur alphabet, les Etrusques, avec leur «penchant à cultiver des rapports intimes avec les phénomènes naturels». S’alliaient donc une expansion vers le monde extérieur et une augmentation de la vision contemplative... Avec Alexandre, «le nouveau champ à considérer» prenait d’autres proportions encore: de nouveaux matériaux exigeaient de nouvelles coordinations, une nouvelle compréhension intellectuelle - recherche empirique rencontrant haute spéculation, le tout essayant de trouver son langage. Si, en Egypte, l’école d’Alexandrie tenait à s’enfermer dans la pure érudition, manquant d’«esprit animé», il y eut pourtant Eratosthène, qui avait un «œil intellectuel». A Rome aussi, pour ce qui est de la «formation de conceptions supérieures», il y a un manque, mais Strabon, celui qui, après avoir écrit quarante-trois livres d’histoire, se mit à son ouvrage géographique à l’âge de quatre-vingt-trois ans, avait une bonne connaissance de l’Empire, depuis l’Arménie jusqu’à la côte tyrrhénienne, depuis la mer Noire jusqu’aux bords de l’Afrique, et Pline (Plinius Secundus) sentait qu’il marchait sur des sentiers jamais foulés avant lui («non trita autoribus via»). Dommage qu’il se soit perdu dans des détails de spécialiste, au lieu de garder dans l’esprit une «image unique» potentielle. Chez les Arabes, l’intérêt de Humboldt se porte sur les tribus nomades, qui connaissent «le visage ouvert de la nature» et qui ont «une sensation plus fraîche des choses» qu’il ne fut possible dans les cités grecques et romaines. Chez les voyageurs et géographes arabes, il constate une sensation et une connaissance de l’espace plus grandes encore que, chez Marco Polo ou les moines bouddhistes. Il évoque El-Istachri et son Livre des régions du monde, Ibn Sinâ (Avicenne), le botaniste Ibn Baithar et Ibn Ruschd (Averroes), qui surent suivre «les chemins solitaires du développement des idées». Il se penche ensuite sur les grandes cosmographies qui, en agrandissant la vision des choses, ont ouvert la voie aux découvertes océaniques: le Liber cosmophicus de natura locorum d’Albertus Magnus, le Fenix de las maravillas del Orbe de Raymond Lulle, l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly, beaucoup lu par Colomb, sans oublier l’Opus Maius de Roger Bacon. Défilent alors devant nos yeux Plan Carpin, Sir John Mandeville, Balduccio Pegolotti, Ruy Gonzalez de Clavijo, et Colomb lui-même, toujours lui, muni du livre de Pierre d’Ailly ainsi que de la carta de marear que lui avait envoyée Toscanelli de Florence, suivi de Magellan, de Balboa, de Cortez, de Léonard de Vinci, dont les idées les plus intéressantes sont restées longtemps dans ses manuscrits (e.g. le Codex Atlanticus), et Dante, qui avait vu des cartes célestes arabes et parlé avec des voyageurs en Orient, et qui savait allier érudition, errance intellectuelle et inspiration... Et on en arrive à la septième époque, celle de l’ouverture de l’espace astronomique grâce au télescope, où nous rencontrons les figures de Léonard Euler, de Copernic (De revolutionibus orbium caelestium), de Kepler, de Huygens, de Herschel et de Galilée.

Humboldt insiste sur le fait que cette étude, écrite d’une manière «fragmentaire et générale» ne vise ni à être parfaite ni à être complète. C’est très précisément une esquisse. Mais il aurait été prêt à reconnaître que même en tant qu’esquisse, elle peut laisser à désirer, d’un point de vue qui ne soit ni celui de la perfection, ni celui de l’exhaustivité. Par exemple, il n’arrive pas à se maintenir sur, la ligne de crête qu’il s’était proposée - il va parler de la polarisation de la lumière étudiée par Arago, alors que cela appartient à la «science spéciale», et non pas à la «science du cosmos». Et il a des problèmes de composition. En fait, comme on le verra, une des questions que se pose, de plus en plus, Humboldt, est celle d’une poétique - non pas une poétique de la perfection, mais une poétique de la pérégrination: informée, intelligente, animée, réjouissante, éclairante et inspirante. L’essentiel, c’est que, dans son étude fragmentaire sur la «contemplation physique de l’univers», se trouvent quelques-unes de ces pistes qu’il a voulu dessiner, ces pistes de la pensée qui, un jour, mèneront à une «image», c’est-à-dire à une grande vision poétique du monde. L’accent est sur l’ouverture, sur l’avancée. «Les esprits faibles, écrit-il, sont toujours prêts, à toutes les époques, à déclarer avec complaisance que l’humanité a atteint le sommet du progrès intellectuel» - ou, ajouterons-nous, en pensant à l’époque actuelle, à déclarer que tout est terminé. Mais en fait, le champ à explorer devient de plus en plus vaste, l’horizon recule toujours: «il existe des forces, opérant encore silencieusement dans la nature élémentaire, comme dans les délicates cellules des tissus organiques, dont nous ne sommes pas encore conscients mais qui, un jour, entreront dans le champ de la connaissance». Il faudra encore beaucoup de temps, beaucoup d’observations, beaucoup de combinaisons, et beaucoup de communication. Bref, pour ceux qui sont conscients, le champ s’élargit et s’approfondit tous les jours. Voilà le dernier mot de Humboldt sur la «contemplation physique».

Reste la question de l’expression, qui n’est pas une question secondaire, mais une question primordiale, car l’être de l’homme a besoin de s’exprimer - mais quel homme, quel être, quelle expression? C’est à la «généalogie de l’expression poétique» satisfaisante, éclairante, que s’attache Humboldt dans l’autre étude fondatrice, Descriptions poétiques de la nature. Et de même que dans l’étude sur la «contemplation physique», il n’écrivait pas l’histoire des sciences, de même ici Humboldt n’écrit pas l’histoire de la littérature, mais élabore, grâce à quelques incursions perspicaces et perspectivistes dans le corpus de la littérature mondiale, la géographie de la puissance poétique, c’est-à-dire du rapport le plus profond entre l’homme et... la nature (aucun mot, ici, n’est satisfaisant). Les mots d’Humboldt, comme on a déjà pu le constater, sont ceux de son époque. Humboldt est un scientifique, un intellectuel, qui a une «vision», une «prémonition» de la poésie dont sont incapables la plupart de ceux qui sont appelés ou qui s’appellent «poètes». On est dans le paradoxe, le paradoxe excitant - c’est ce qui remplace avantageusement le paradis. Humboldt va donc utiliser les mots «sentimental» (qui lui vient de Schiller, dont le texte l’Education esthétique de l’humanité n’est pas étranger à tout ce contexte), «romantique», «pittoresque» - mais sa lancée dépasse son langage. Son exploration de la littérature poétique depuis les Grecs et les Romains jusqu’aux «voyageurs modernes» veut ouvrir un espace de possibilités inouïes - encore une fois, il s’agit de repérer, de comparer, de combiner, de composer: géographie multi-dimensionnelle du verbe...

Pour Humboldt, dans la littérature grecque classique, l’accent est mis exclusivement sur l’humain: passion et politique, la nature ne servant que de toile de fond, ou comme répertoire de comparaisons. Même quand on traite plus spécifiquement de la nature, l’approche est descriptive, didactique, il y a peu de «contemplation inspirée». Mais il existe quelques exceptions à cette règle, parmi elles les Dionysiaca de Nonnos de Panopolis. Quant aux Romains, leur esprit est légiste, militaire ou domestique, et leur langue a moins de «mobilité idéale» que le grec, mais Lucrèce se distingue par son «génie fertile», et on trouve une présence de la nature chez Virgile, Horace, Tibulle, Ovide, sans oublier «la belle description d’une forêt druidique» chez Lucain, ce qui fait noter à Humboldt, en passant, que chez les anciennes tribus germaniques et celtiques on constate une véritable «vénération de la nature», exprimée par «de rudes symboles».
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Lettre sur les origines de la géopoétique [1]


1.

Si une grande partie du travail que j’ai effectué concerne le littoral (rivage, côte, grève, plage…) – à tel point qu’il m’est arrivé de parler de littoralité (ce qui, dans mon esprit, donnait un espace physique à la littérature, et une force orale au langage écrit) – c’est, je pense, pour plusieurs raisons.

D’abord, nous y sommes près des origines biologiques, et on ne peut y ignorer les rythmes primordiaux. Dans cet espace-là, nous avons un pied dans la société humaine (espace habité, inscrit), et l’autre dans le cosmos, le chaos-cosmos, le chaosmos, non-humain. C’est sans doute pour cela qu’un vieux texte appartenant à la tradition que je porte, peut-être, dans la moelle de mes os, texte qui s’intitule Imacallam in da thuarad («Le dialogue des deux lettrés») dit ceci: «Le rivage a toujours été le lieu de prédilection des poètes.»

Ensuite, né et élevé sur le rivage atlantique de l’Europe, très précisément sur la côte ouest de l’Écosse, sa topographie est inscrite dans mon cerveau. Je suis loin de croire que le paysage originel d’un individu dicte nécessairement son paysage mental: avec une intelligence énergique et un esprit de découverte, il peut en venir à penser, à l’encontre de toute fixation localiste et de toute idéologie identitaire, que d’autres paysages physiques sont plus intéressants. Mais c’est un fait que la côte ouest de l’Écosse a de quoi attirer et inspirer l’esprit. On se souviendra de l’idée proposée par Humboldt dans Cosmos selon laquelle la topographie même de la côte d’Hellas, cette multiplicité de promontoires et d’îles, de criques et de baies, a joué un grand rôle dans la genèse du «miracle» intellectuel grec. Or, la côte ouest de l’Écosse, avec son contour hautement irrégulier et ses centaines d’îles, possède une topographie semblable.

En troisième lieu, maintenant que nous recommençons à entendre parler du concept d’«Europe» je pense qu’il serait bon pour le continent de jeter un coup d’œil vers l’Ouest, de prendre en considération son ouverture atlantique, assez négligée, du moins en France. Se voulant un pays «latin», la France s’est tournée trop exclusivement peut-être vers la Méditerranée. Elle y cherche une identité. À une époque d’instabilité cosmopolitique, de standardisation universelle, on peut comprendre ce repli sur des havres de culture ancienne, tout en se disant que l’on a affaire à un blocage. Que l’on com-mence dans la Méditerranée, soit – c’est un espace fascinant. Mais celui-ci montre depuis des siècles des signes d’épuisement, et même aux premiers siècles, on en sortait: Phéniciens, Pythéas, moines errants… Au-delà du discours identitaire, au-delà des cultures-clôtures, où l’on étouffe, il peut y avoir un espace de respiration, un lieu de mouvements oubliés, voire inédits, peut-être, qui sait, un nouveau sens de la culture.

C’est avec de tels nuages d’idées en tête (météorologie mentale) que j’arpente depuis de longues années (cet arpentage s’accompagnant d’art et de pensée) le littoral atlantique.

2.

En termes de civilisation, cet Ouest atlantique de l’Europe a été marqué par deux facteurs: une destinée négative (j’emprunte la notion au géographe Le Lannou : «Il n’y a entre nos finistères atlantiques d’autre unité qu’une communauté de destins somme toute négatifs») et une révolution industrielle. Ces deux facteurs: d’un côté, l’isolement d’une région finistérienne économiquement archaïque, de l’autre, une explosion industrieuse économiquement violente, peuvent sembler totalement antinomiques, mais il existe entre eux, me semble-t-il, des liens profonds En drainant la population active vers les grands centres, la révolution industrielle a contribué à l’isolement, qui n’est pas nécessairement négatif en soi: l’isolement peut être un atout. C’est quand il devient esseulement qu’il devient réellement négatif. Quant aux origines profondes de la révolution industrielle, je proposerais cette idée-ci: divorcés d’avec toute sensation de la terre par une idéologie ou une religion (le puritanisme, par exemple), des esprits actifs vont se mettre à imaginer et à inventer. C’est un fait assez connu, par exemple, que les Britanniques (Écossais souvent en tête) furent aux avant-postes de la révolution industrielle. Passons rapidement sur les problèmes d’identité provoqués par l’arrachement et l’esseulement, et sur les tentatives (romantiques) pour faire revivre d’antiques traditions (tout un folklore, souvent fantaisiste). Il a été dit, par exemple, à propos de l’Irlande, et en Irlande même, que si la perte du gaélique était une tragédie, la tentative faite pour le préserver était une farce. Tragédie et farce, isolement et violence, silences et explosions – ce portrait géo-psychologique s’applique, à des degrés divers et avec des manifestations diverses selon les micro-régions, à toute la périphérie du Grand Ouest européen. Autrement dit, cette région n’a pas encore trouvé sa cohérence, sa composition, sa poétique (tout en maintenant une sorte de poéticité floue et, bien sûr, toutes sortes de petites poésies localistes).

Or, l’autre jour, je me tenais sur les bords d’Atlantic Quay, à Glasgow, d’où il est facile de voir combien la situation civilisationnelle a changé: il y a nettement moins d’usines crachant une fumée jaune ou noire, et les grues des chantiers navals se dressent dans le décor comme des squelettes dans un musée d’histoire naturelle – ou comme des œuvres d’art. Il est évident que nous sommes en train de quitter la phase industrielle de la civilisation pour aller vers autre chose : une ère «post-industrielle», marquée par deux activités considérées comme essentielles: l’information et la culture. Mais «culture», il faut toujours se le rappeler, ne signifie pas production de plus de livres, ou création d’un orchestre supplémentaire, et si l’information doit être facteur de culture, il faut qu’elle devienne «enformation».

Dans Le Destin des civilisations, Léo Frobenius avance une hypothèse intéressante. Selon lui, après la «conquête mécanique» du globe, à la suite de la civilisation techno-économiste, devrait avoir lieu un grand tournant. Et, toujours selon lui, puisque les peuples du littoral atlantique furent en grande partie responsables de cette phase techno-économiste de la civilisation, puisque c’est sur le littoral atlantique que celle-ci avait pris son essor, c’est là aussi qu’on verrait non seulement les premiers signes de sa fin, mais, peut-être, les commencements d’autre chose – autre chose que de simples réactions à la phase techno-économiste de la part de ceux qui se sentaient lésés par elle, atteints dans leur «identité», etc. (je prolonge un peu son argumentation). Ce qui «devrait», ce qui pourrait commencer, serait une culture mondiale (Weltkultur) qui correspondrait à l’économie mondiale déjà plus ou moins en place. Cette culture aurait trois caractéristiques principales:

1) Elle serait fondée sur un type de pensée libérée à la fois du rationalisme français, du réalisme anglais et du matérialisme nord-américain.
2) Elle saurait opérer une orchestration de toutes les cultures.
3) Cette pensée elle-même serait ouverte à l’intuition directe, à des «saisissement» du dehors, ce qui exigerait une «attitude orientale».

Je pense qu’il serait relativement facile d’obtenir un accord général sur la nécessité de sortir du rationalisme, du réalisme et du matérialisme (tout un mouvement s’y efforce depuis un siècle) – sans tomber dans l’irrationnel, l’irréel ou la «spiritualité» (tout un pan de notre civilisation s’y vautre)… Quant à une «attitude orientale», qui ne signifie ni conversion à des croyances, ni importation pure et simple de systèmes codifiés, mais sûrement l’étude de principes et de voies autres que ceux de l’Occident, c’est une chose à laquelle je m’intéresse depuis longtemps. Dans un essai de La Figure du dehors («Le zen et les oiseaux de Kentigern») j’ai même tenté de démontrer comment cette «attitude orientale» peut trouver sur le littoral de l’Ouest un terrain d’élection. C’est sur la notion d’«orchestration des cultures», et sur le mouvement vers une culture mondiale, que l’on risque d’achopper, car d’aucuns voudront n’y voir qu’une sorte de melting-pot uniforme. Une telle orchestration est un travail poétique, ce qui explique d’abord pourquoi ses réalisations sont rares (quelques œuvres de la modernité finissante allant dans ce sens en musique, en arts plastiques, et en littérature existent pourtant), ensuite, pourquoi ces manifestations, quand elles existent, sont difficilement intégrables à la société, qui vit, normalement, soit sur des modèles classiques, soit sur des futilités. Ces œuvres que j’évoque sont comme les îles d’un archipel qui n’existe pas encore. Elles existent dans un no man’s land. En attendant, chaque nation, chaque «communauté culturelle» établie, essaie, en produisant «de la culture», de se persuader qu’elle a encore «une culture», en se disant, peut-être, intimement, dans des moments fugitifs de lucidité, que si tout cela n’a rien de très important, c’est du moins respectable… Il en va autrement si l’on veut qu’il y ait un monde, et non seulement un commerce pseudo-culturel. Si, pour commencer, la mondialisation, qui me semble pourtant l’horizon souhaitable, est un trop gros morceau, on peut d’ores et déjà considérer quelques aires de culture. En prenant la Méditerranée comme grande aire culturelle, et non seulement comme réservoir de culture classique, il faudrait considérer non seulement les apports grecs, romains, juifs et arabes, mais aussi ceux des Perses et des Phéniciens (de Tyr et de Carthage), ainsi que de tous ces peuples obscurs des côtes et des îles qui ont laissé des traces (à Malte, en Sardaigne, dans l’Espagne méridionale, dans les Baléares) qui ne s’insèrent aucunement dans le cadre de la culture classique.
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« Ce sont nos efforts pour saisir tous les aspects de la vie qui la rendent si passionnément intéressante. » Virginia WOOLF



Noter, consigner, écrire sans cesse car déjà la lumière a changé, car déjà la saison a basculé et la mémoire est si défaillante. Le détail s’est évanoui, les chatoiements de la vie s’estompent, comment faire pour garder tout cela ? Ecrire un journal intime. C’est d’abord un journal, il faut donc qu’il soit inséré dans le temps, qu’il ait été tenu, sinon au jour le jour – nulla dies sine linea – du moins de manière régulière. Il doit respecter le calendrier, c’est là le pacte que signe celui qui écrit un journal :

« Le calendrier est son démon, l’inspirateur, le conspirateur, le provocateur et le gardien. Ecrire son journal intime, c’est se mettre momentanément sous la protection des jours communs, mettre l’écriture sous cette protection, et c’est aussi se protéger de l’écriture en la soumettant à cette régularité heureuse qu’on s’engage à ne pas menacer. Ce qui s’écrit s’enracine alors, bon gré mal gré, dans le quotidien et dans la perspective que le quotidien délimite » [1].

C’est de plus un journal intime : « Il doit (donc) nous faire pénétrer dans l’intimité de son auteur qui l’écrit pour lui-même et qui livre ainsi sa personnalité, révèle les tendances, les réactions, les sentiments qui lui sont propres » [2]. Pour résumer, il s’agit d’un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité » [3]. Mais pourquoi éprouve-t-on le besoin de rédiger un journal ? Pour quelles raisons s’astreint-on à un tel labeur ? Philippe Lejeune, dans Le pacte autobiographique, propose plusieurs hypothèses.
La première relève, tout simplement pourrait-on dire, de la fonction de communication. On est dans une relative solitude, sans interlocuteur susceptible de nous convenir, et l’on éprouve le besoin de se fabriquer un confident de papier. La deuxième met en avant l’idée de la valeur de l’unique, de l’irremplaçable. Et là, Philippe Lejeune voit deux aspects : le premier insiste sur le soi, sur le fait qu’on est différent de tous les autres ; le second insiste sur le fait que le moment présent du moi est différent de tous les autres. La troisième est centrée sur le plaisir de se voir, de constituer un objet qui est soi. La quatrième s’interroge sur un besoin d’auto-édification, en mettant en avant la fonction essentielle de la relecture. La cinquième avance l’idée que grâce à l’écriture d’un journal on peut maintenir une certaine continuité du moi. Quant à la sixième, elle évoque le plaisir d’écrire.

Et bien, il semble que ce soit, entre autres, pour toutes ces raisons que Virginia Woolf ait écrit son journal, désormais partie intégrante de son œuvre. Au contraire de bien des écrivains léguant avec leurs journaux intimes un mode d’emploi du monument littéraire qu’ils pensent avoir édifié, elle s’en servit toujours comme d’un lieu de l’intime, et du dialogue intérieur, donc sans aucune forme de précaution. Elle ne pensait pas à se protéger des regards malveillants, cherchant d’abord et avant tout à aiguiser le sien, à chercher des mots plus précis, plus effilés, pour rendre ce qu’elle voyait, ce qu’elle éprouvait, ce qu’elle voulait imaginer aussi.

Il faut avant toutes choses bien comprendre que Virginia Woolf est une « autobiographe » qui jamais ne publia une véritable autobiographie, une égotiste qui haïssait l’égotisme. Nous en voulons pour preuve que c’est un mot qu’elle utilisait très souvent, que ce soit pour les autres ou pour elle-même. Dans de nombreuses lettres, elle présente ses excuses « insincères » à ses correspondants pour leur caractère égocentrique. Dans ce cas, pourquoi écrire un journal ? Peut-être parce que le journal oblige à une certaine cohérence, et que le fait d’en écrire un est un signe de la continuité du moi.

« Comme je m’intéresse à moi-même ! » [4] s’exclame-t-elle. Elle cherche toujours à savoir ce qui arrive à son moi, lorsqu’il est seul, en compagnie, heureux, inquiet, déprimé, lorsqu’il dort, mange, se promène, et aussi lorsqu’il écrit : « Que Sydney vienne, je suis Virginia ; que j’écrive, je ne suis plus qu’une sensibilité. J’aime être Virginia parfois, mais seulement lorsque je suis dispersée, multiple et sociable » [5]. Il faut bien l’admettre, l’égotisme est souvent le sujet favori de son journal. Ce qu’elle recherchait, c’était à expliquer la relation entre le soi et le moi qui écrit. Elle en a vite déduit que le soi est à la fois la matière et l’instrument qui permet de la traiter. Est-ce un hasard si Freud, lors de leur unique rencontre, lui offrit un narcisse ?

Mais son journal remplissait d’autres fonctions : c’était le baromètre de ses sentiments, une réserve de souvenirs, un registre des événements et des rencontres, un baume appliqué sur ses maux, et surtout l’antichambre de son œuvre fictionnel, le laboratoire de ses créations.

Vers le milieu des années vingt, elle se livre à un grand débat personnel pour déterminer si ce qu’elle écrit c’est le journal des faits ou le journal de l’âme. De toute évidence, elle voulait tenir le journal des faits, c’est-à-dire de la vie, mais elle s’est vite laisser déborder par cet égotisme qu’elle voulait garder à distance :

« Comme cela m’intéresserait que ce journal puisse devenir un vrai journal intime : m’offrir la possibilité de constater les changements, de suivre le développement des humeurs. Mais pour cela il faudrait que j’y parle de l’âme ; et n’en ai-je pas banni l’âme quand je l’ai commencé ? Ce qui se passe, c’est que toujours, lorsque je m’apprête à écrire ce qui concerne l’âme, la vie s’interpose » [6].

Pendant des années, elle revint à l’idée de ce moi instable et elle se mit à essayer différentes méthodes pour le saisir. Dans son journal, elle donnait des titres au développement de sa vie intérieure : « Art et Pensée », « Mon propre cerveau » [7] ; elle se livrait à diverses expériences : « Je lâchai la bride à mon esprit pour voir ce qu’il allait faire » [8]. Elle avait aussi l’habitude d’y noter des changements quasi imperceptibles, par exemple dans sa manière de se comporter avec ses amis, afin de saisir toutes les fluctuations de son moi. Ainsi, nous pouvons dire avec Béatrice Didier : « la fin du journal et sa raison d’être à la fois, son aboutissement et son hypothèse de départ, c’est la création ou le déploiement de cette entité que les écrivains, suivant leurs convictions philosophiques appellent ‘moi’ ou ‘âme’ » [9].

Décidément, son journal devait être égotiste. En 1917, elle décidait déjà de tenter de porter un regard objectif sur elle-même. Pour commencer, elle entreprit de rédiger des notes rapides et simples sur la nature à Asheham. Le journal intime devait lui servir, avant tout, à « voir la vie » :

« Je me souviens qu’allongée au bord d’un creux j’attendais que L. vint aux champignons, lorsque apercevant un lièvre qui bondissait sur la pente je me dis tout à coup : « Voilà la vie sur terre ». Je crus percevoir combien tout était bien du domaine de la terre, et me voir moi-même, avec les yeux d’un visiteur venu de la lune, comme une sorte de lièvre évolué. La vie est bonne à de tels instants. Mais je ne puis retrouver cette étrange impression que j’ai eue, que c’était la vie sur Terre vue de la Lune » [10].

Sa querelle interne au sujet de l’usage du journal intime avait coutume de s’intensifier dans les moments de crises politiques. Les quelques jours de grève générale, en mai 1926, la rendirent plus consciente qu’à l’ordinaire des relations existant entre sa vie intérieure et le monde dans lequel elle vivait, les événements dont elle était le témoin. A cette époque, elle était immergée dans les événements quotidiens de la grève (qu’elle suivait de très près), et elle consignait tout ce qu’elle voyait, caressant même le projet d’écrire le journal de la grève. Mais elle tenait à maintenir, toujours grâce à l’écriture de son journal, une partie d’elle-même hors de ce conflit, celle qui écrivait La promenade au phare. Elle se demande, un rien amusée, à quel point tous ces détails extérieurs seront intéressants lorsqu’elle les relira par la suite et se moque décidément de la réalité :

« Lorsque je relirai ce cahier j’imagine que je sauterais toutes les pages consacrées à la grève. Ah, quel chapitre ennuyeux ! me dirai-je. Les emballements concernant ce qu’on appelle les « choses réelles » sont toujours indiciblement transitoires » [11].

Et pourtant, juste après avoir noté cela, elle continue à écrire sur la grève. Journal de l’âme ou journal des faits, il lui est impossible de trancher et elle vit dans ce constant dédoublement.
Certes, elle est égotiste, mais en fait elle passe énormément de temps à étudier, parfois jusqu’à la caricature, les autres. Ceux qu’elle côtoie, c’est-à-dire sa famille, ses amis, ou encore de simples rencontres. Elle déclare souvent qu’elle voudrait transcrire au plus près ce que les gens disent, ainsi que leur façon de le dire, tout comme le faisait Boswell, premier grand biographe de langue anglaise :

« Il y a une heure que Lytton est parti, et je suis encore assise ici, incapable de lire ou de me ressaisir – tant quatre jours de conversation m’ont réduite à une épave. (…).
J’ai dit à Lytton que j’essaierais de noter ses propos – ceux qu’avaient déclenchés une conversation sur Boswell » [12].

Très souvent, elle rapporte de larges pans de conversation, tout en se plaignant de ne pas y parvenir. Mais si elle se livre à cet exercice réputé difficile, c’est peut-être aussi pour se libérer d’elle-même. D’ailleurs, elle dit, en parlant de Gibbon, qu’il est sans doute vrai que l’on choisit ses amis en partie pour vivre des vies que nous ne pouvons vivre nous-même.
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Chez les poètes hébreux, la nature est l’expression vivante de l’omniprésence de Dieu, et leur intérêt se porte moins sur des phénomènes isolés que sur des «grandes masses». Comment nier la grandeur du Psaume 104: «Les arbres du Seigneur sont pleins de sève, les cèdres du Liban qu’il a plantés...», ou bien encore le livre de Job: «Le Seigneur marche sur les hauteurs de la mer, sur la crête des vagues amoncelées par la tempête» - tout en se disant, peut-être, que dans ce spectacle divin, Dieu occupe un peu trop la scène. Pour Humboldt, le christianisme avait libéré l’œil contemplatif en le détournant des dieux, de sorte que la nature prend toute sa valeur - création et expression de Dieu, certes, comme dans la poésie hébraïque, mais d’une manière moins théocratiquement imposante. Il cite comme un de ses textes préférés une lettre de Basile, un Grec de Cappadoce, ermite chrétien sur les rives de l’Iris en Arménie: «Te parlerai-je du beau chant des oiseaux, et de la profusion de fleurs ? Ce qui me charme le plus, c’est la tranquillité absolue de la région...» Il y a dans cette lettre, dit Humboldt, des sentiments et des sensations plus proches de ceux de l’époque moderne que tout ce que l’on peut trouver chez les Grecs ou chez les Romains. Mais le christianisme allait se détourner de plus en plus de la nature, y voyant le diable, et de toute étude de la nature, y voyant de la sorcellerie... En Asie, l’aube et le soleil resplendissent dans le Rig-Veda, symboles d’une religion cosmique dont on retrouve des éléments dans la mythologie populaire, par exemple la vie de Râma dans la forêt, ou bien encore dans la poésie de Kâlidâsa qui, dans le Meghaduta, décrit le passage d’un nuage ainsi que les paysages qu’il traverse. Chez les Perses (Firdûsî, Hâfiz, Saadi, AI Rûmî) la grande nature est moins présente, leur intérêt se portant sur des paysages aménagés (jardins, fontaines...) et sur des artifices de forme.

Les Arabes, eux, aiment chanter la guerre et l’amour, mais il y a aussi la vie du désert, telle qu’on la trouve dans la romance bédouine Antar. Après ce tour du monde antique, Humboldt, toujours à la recherche d’éléments d’une «poésie de la nature» satisfaisante, se tourne vers le monde moderne, à commencer par Dante Alighieri, «le fondateur inspiré du nouveau monde», dont la puissance référentielle et intellectuelle n’a d’égale que sa sensibilité à des impressions immédiates, telle «il tremolar della marina». Signe des temps aussi, l’ascension du mont Ventoux par Pétrarque, qui, malheureusement, reste empêtré dans l’allégorie et dans la morale. Bembo, par contre, dans son Aetnae Dialogus, donne un tableau animé de la géographie des plantes sur le volcan, depuis les champs de blé de la Sicile jusqu’aux marges enneigées du cratère. Et puis, encore et toujours, Colomb, décrivant la terre nouvelle avec ses arbres et ses fruits et ses lindas aguas, sentant que «mille langues ne suffiraient pas à la dire: "Para hacer relacion a los Reyes de las cosas que vian, no bastaran mil lenguas a referillo, ni la mano para la escribir, que le parecia questaba encantado. "» Et Camoens à Macao, emporté par la mer, le vent et les nuages, marin de l’âme, chantre de la gloire portugaise, qui pourtant parle beaucoup plus des épices, à valeur commerciale, que d’autres plantes tropicales... On passe alors par Shakespeare, sensible à «l’expression individuelle de la nature», et par Milton, sublime, mais dont les descriptions sont plus magnifiques que graphiques, pour arriver au XVIIIe siècle, à l’époque des Buffon, Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, à toute une nouvelle série de tentatives pour s’approcher de la nature et pour dire ce terrain de rencontre d’une manière à la fois exacte et inspirante. Buffon accumule les faits exacts, mais ses phrases sont construites trop artificiellement et on ne sent pas chez lui cette «analogie mystérieuse entre les mouvements de l’esprit et les phénomènes perçus par les sens» qui est l’objet des recherches de Humboldt à ce stade ultime de ses pérégrinations. Chez Rousseau, le moi est souvent trop présent; chez Chateaubriand, pourrait-on dire, aussi, lui dont les passages à travers la terre s’accompagnent toujours de souvenirs historiques. Quant à Bernardin de Saint-Pierre, Humboldt l’a beaucoup lu, et avec délices, mais ses théories sont trop souvent saugrenues. Au fond, dès qu’il est question de nature à l’époque moderne, il est difficile de sortir du pastoral, de l’élégiaque, de l’idyllique, du didactique, de l’excessivement sentimental, etc. On a beau écrire d’une manière élevée, la pauvreté des matériaux et de l’information de base est par trop évidente -d’où, d’ailleurs, des tentatives de compensation par le style. Dans le passé, dans les anciens livres de voyages, par exemple, la pauvreté des matériaux était compensée par la naïveté, par une faculté d’émerveillement enfantine, ou encore par la dramatisation, une coloration épique. Mais rien de tout cela n’est possible aujourd’hui, c’est autre chose qu’il faut trouver. Nous avons affaire à une masse d’informations qu’il s’agit non seulement d’ordonner, mais à laquelle il faut aussi donner une aura, une lumière. Il serait possible d’atteindre à «une espèce de délice intellectuel» que les Anciens ne pouvaient connaître - mais quelle littérature est vraiment à la hauteur? On peut recueillir des éléments par-ci, par-là, mais on attend toujours «un élargissement du champ de l’art», on attend toujours une poétique qui sache «présenter à la contemplation de l’intellect et de l’imagination la riche matière du savoir moderne». Il ne peut être question de vagues analogies, de métaphores creuses, de mythes symbolistes, il s’agit de définition et de respiration, d’exactitude et d’extase, de sensorialité et d’intelligence, et d’une écriture qui soit autre chose que «du style», ou je ne sais quelle «prose poétique» maniérée.

Tout au long de son œuvre, depuis les premières notes prises dans les llanos, ou dans la forêt tropicale humide, ou sur les rives de l’Orénoque, jusqu’aux rédactions et aux compositions de Paris et de Berlin, Humboldt a essayé lui-même de s’approcher de cette littérature plus que «de la littérature» qu’il voyait poindre à l’horizon. On peut dire que cette œuvre consiste en relations, en études et en essais poétiques. Ces «essais poétiques» peuvent se trouver dans les relations et dans les études dont j’ai déjà cité quelques exemples, mais Humboldt y a consacré un livre spécifique, les Ansichten der Natur, traduit en français par Vues de la nature et en anglais par Views of Nature. Il n’y a rien à reprocher à ces deux traductions. Cela vaut cependant la peine de faire remarquer que dans une lettre adressée à son éditeur londonien, Humboldt lui-même écrit «views into nature». On peut imputer cela à l’insuffisance de son anglais, on peut aussi y voir une nuance intéressante.

Il s’agit dans les Ansichten de tentatives de «tableaux intégrés», où se lirait «la coopération des forces» de la nature, dans une prose qui se veut à la fois vigoureuse et flexible, le tout voulant à la fois engager l’imagination, augmenter la connaissance des choses (configurations cachées, relations plastiques profondes), et enrichir la vie par la présentation de nouvelles idées. Avec une petite fable, «La force vitale, ou le génie rhodien», qui n’y a sans doute pas véritablement sa place (mais Humboldt a du mal à «caser» tout ce qui lui vient à l’esprit), il y a dans ce livre six essais en tout: «Les steppes et les déserts», «La vie nocturne des animaux dans la forêt primitive», «Idées pour une physionomie des plantes», «Sur la structure et le mode d’action des volcans», «Le plateau de Caxamarca». Dire que ces essais répondaient complètement à ses vœux serait exagéré, disons simplement que c’est le livre auquel, en fin de compte, il tenait le plus, c’est là qu’il a mis le plus de lui-même, c’est là qu’il a consigné le plus de ses aperçus, c’est là qu’il offre le plus d’indications.

Le voici de nouveau sur les llanos, ces «steppes» du Venezuela:

«C’est dans la Mesa de Paja, par les 9° de latitude, que nous entrâmes dans le bassin des llanos. Le soleil était presque au zénith; la terre partout où elle se montrait stérile et dépouillée de végétation, avait jusqu’à 48° et 50° de température. Aucun souffle de vent ne se faisait sentir à la hauteur à laquelle nous nous trouvions sur nos mulets; cependant, au milieu de ce calme apparent, des tourbillons de poussière s’élevaient sans cesse chassés par ces petits courants d’air qui ne rasent que la surface du sol et qui naissent des différences de température qu’acquièrent le sable nu et les endroits couverts d’herbe. Ces vents de sable augmentent la chaleur suffocante de l’air. Chaque grain de quartz, plus chaud que l’air qui l’entoure, rayonne dans tous les sens, et il est difficile d’observer la température de l’atmosphère sans que des molécules de sable ne viennent frapper contre la boule du thermomètre. Tout autour de nous, les plaines semblaient monter vers le ciel, et cette, vaste et profonde solitude se présentait à nos yeux comme une mer couverte de varech ou d’algues pélagiques. Selon la masse inégale des vapeurs répandues dans l’atmosphère, et selon le décroissement variable de la température des couches d’air superposées, l’horizon, dans quelques parties, était clair et nettement séparé; dans d’autres, il était ondoyant, sinueux et comme strié. La terre s’y confondait avec le ciel. A travers la brume sèche et des bancs de vapeurs on voyait au loin des troncs de palmiers. Dépourvus de leur feuillage et de leurs sommets verdoyants, ces troncs paraissaient comme des mâts de navires qu’on découvre à l’horizon.
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DIRE LE MONDE
«... une tentative pour lire les lignes du monde.»

K. WHITE, Texte inaugural de l’Institut de Géopoétique

1. Poétique de la géopoétique
Si la poétique du surréalisme est essentiellement caractérisée par l’écriture automatique, celle de la géopoétique l’est peut-être par la lecture du monde.

Mais il faut réinventer la notion de lecture, pervertie, appauvrie par celle d’information (les surréalistes avaient compris cela, ils ont substitué au lire un délire, mais se sont arrêtés là...

Lire, ce n’est pas d’abord déchiffrer un message écrit par des hommes pour des hommes. On dit souvent que l’origine de l’écriture fut la nécessité de garder trace de transactions commerciales, ou que l’origine du langage est dans le «mot d’ordre», c’est-à-dire dans les impératifs de l’organisation sociale. Sans avoir les moyens de le prouver, je conjecture que cette conception est fausse (en fait tout dépend de ce que l’on appelle origine). La lecture précède l’écriture. L’écriture suppose une «lisibilité». Lisibilité du monde. A tout prendre je préfère la légende chinoise qui voit l’origine de l’écriture (picto-idéographique) dans l’observation des craquelures dans les carapaces de tortues... (on a déjà souligné le caractère foncièrement morphologique de la pensée chinoise).

Cosmos - logos

Lire le monde: désir de connaître. «Si tu veux connaître le pin, approche-toi du pin» (Connaissance commençante, mue par le désir)[8].

La poésie n’est ni expression de soi ni description du monde, elle est le moment de la connaissance naissante. Les premiers mots de la (re)connaissance, encore tout embués de désir, sont naturellement poétiques.

Nous ne savons plus lire le monde parce que nous ne savons plus lire, parce que nous croyons que lire c’est déchiffrer un message.

Le notion de «lois de la nature», par exemple, tend à nous faire penser que la nature recèle un message caché (censé écrit par Dieu), qu’elle serait elle-même une sorte de texte qu’il appartient à la science de déchiffrer.

Mais lire, c’est comme nager ou danser. Du bon pêcheur on dit qu’il «lit la rivière»[9] Les Esquimaux savent lire la neige et les nomades le sable du désert[10]

Lire avec son corps et non avec son ordinateur mental. Thoreau disait qu’il diagnostiquait son état de santé à son aptitude à entendre le chant de la grive.

Entendre avant de chercher à «comprendre». Entendre.

Voir sans assigner.

Voir la lumière sur les choses avant de leur assigner des fonctions, des significations, des symboles. Voir la lumière sur les choses, c’est ce qu’on appelle «peindre». Voir la lumière une sur le monde multiple, posée telle un baiser sur la surface des choses. (Considérer les choses plus largement qu’en fonction de leur stricte utilité connue (matérielle ou symbolique). Entrer dans un rapport d’être à être, et non seulement de prédateur à proie (ou l’inverse).

Lire l’espace réel. Sortons une bonne fois pour toutes de cette oscillation pseudo -philosophique (Fâne de maître Picotin) entre une conception «froide» du réel comme donné objectif existant en dehors de toute perception, et la conception symétrique qui le tient pour un pur «construit» social ou subjectif. Dans la lecture d’une chose réelle se mêlent indissociablement la reconnaissance de ce que cette chose est, et l’émotion liée au fait qu’elle nous dit quelque chose, d’elle-même, du monde, de nous-mêmes.

Seules les choses «réelles» ont la propriété d’être lisibles (expressives). Réel, cela veut dire: aussi réel que nous. La réalité n’est ni un état ni une qualité objective mais une «classe d’équivalence» (ou de réciprocité): m’est réel ce qui est aussi réel que moi.

La Terre, «la Terre», c’est précisément la classe de commune réalité des êtres terrestres. Être terrestre: c’est ce que nous avons de commun, c’est ce par quoi nous sommes (réciproquement) réels.

La poéticité est liée à l’essence du réel en tant qu’il est réciproque.

Nous ne savons plus nommer les êtres, les choses, les paysages, car nommer c’est lire leur nom sur le visage des choses. Au lieu de cela nous croyons que nommer c’est repérer, assigner à une place déterminée dans un système formel prédéterminé: tableau de Mendéléièv, lignées patronymiques, codage par genres et espèces (Linné), étymologies... mais tout cela ne fournit que des étiquettes. Nous ne savons plus localiser, nous contentant de calculer latitudes et longitudes sur une carte. Nous ne savons plus former, car nous ne savons plus que la forme est l’apparence essentielle d’une chose son apparition, sa venue au monde, à la lumière. Nous croyons que former c’est attribuer un code graphique (bientôt les «codes barres» auront remplacé le nom et la forme des choses, puis leur couleur et leur saveur!...).

2. La relation poétique à la terre
Ne pas faire trop d’hypo-thèses (ni l’Hypothèse Dieu ni d’autres).
Demeurer à fleur de réalité.
Que la réalité telle quelle est merveille.
Sentir cela. Exprimer cela.
Le sens premier est celui de l’intérêt.

Avant toute perception sensorielle définie, avant toute pensée articulée, il y a cet affect im-médiat: quelque chose, autre-que-moi, m’intéresse.

Qu’est-ce qu’un objet intéressant?
Ce vers quoi l’on se tourne. Ce qui nous mobilise.
Qu’est-ce qui nous inter-esse?

C’est une question vitale, une ligne de partage entre les objets qui viendront en lumière et ceux qui deviendront invisibles, impensés, négligés.

L’enjeu de la géopoétique est de rendre à nouveau la terre intéressante. Que la terre, la terre elle-même, les êtres-de-la-terre, les moments de la terre, hors de tout surcodage symbolique comme de toute réduction fonctionnaliste, deviennent la chose intéressante, passionnante, merveilleuse.

Il ne faut pas seulement considérer la géopoétique comme une poétique particulière, qui s’occuperait de la Terre (ou de la Nature), parmi d’autres poétiques consacrées, elles, à d’autres domaines (imaginaire, social, linguistique...). La géopoétique se présente bien plutôt comme la redécouverte d’une «poétique fondamentale» (Kenneth White), et ce, non pas parce qu’elle reviendrait à des choses «naturelles», ou à un supposé état originel (il n’est pas question de fondamentalisme), mais parce qu’elle propose du poétique la conception la plus riche et la plus intéressante. La poétique la plus riche et la plus intéressante est liée à la Terre. Qu’est-ce que cela veut dire exactement? Que la Terre est ce qui nous offre la plus riche panoplie de formes, de types d’êtres, de couleurs, de sensations, de trouvailles, de «formules» (le lieu et la formule de Rimbaud). Que la terre, parce qu’elle conserve toute son extériorité. (I’«exotisme» de Segalen, le «dehors» d’Olson et de White), son irréductibilité à la pensée et à la société humaines, est finalement un plus riche réservoir de nouveauté et de surprise que tout l’imaginaire que l’on voudra. Mais ce n’est pas tout, ce n’est même pas l’essentiel. L’essentiel est que le lien entre Poétique et Terre n’est pas une relation de sujet-artiste (le poète) à objet-matière (la Terre). Il ne s’agit pas de décrire ni même (encore moins) de «s’inspirer» de la Terre, mais de comprendre et d’expérimenter que c’est notre «terrestreté», la sensation-de-monde en nous, notre connaissance désirante et sensible de la Terre qui est la source de la poétique la plus fertile. Cela est fondé sur le fait que toute sensation réelle, c’est-à-dire «terrestre», est simultanément expressive.

Voir et dire sont une même chose[11], dès lors que ce voir-et-dire est situé dans une «relation essentielle» (inter-essement), relation entre une «partie» (un moi) et un «tout» (un monde) qui suppose distinction mais non séparation[12].

Il y a poésie lorsque le mot n’est pas mur de séparation, mais éclair de reconnaissance entre le moi et le monde. «Poétique» signifie émotion active, émotion devenue créative et cognitive; connaissance et création fondées dans notre émotion vitale; émotion qui ne nous enferme pas en nous-mêmes mais qui au contraire nous ouvre et nous fait connaître. «Poétique» signifie fondamentalement une relation, relation intense et vraie entre moi et ce qui m’est à la fois le plus proche et le plus exotique, distinct et commun: La Terre.

Lire géopoétiquement les choses, c’est y lire le monde.
Éthique géopoétique: rendre les choses «riches en monde».
Un acte géopoétique augmente la teneur en monde de la réalité.

3. Le langage du monde
L’un des fondements de la géopoétique est la prise de conscience que le langage lui-même est une sorte d’être réel, et qu’en tant que tel il est doué d’«étendue»: non seulement dans ses aspects matériel (sonore) et temporel (rythmique), mais également au niveau sémantique: il y a une «musique des significations», comme il y a une logique (spatiale) des sensations (Deleuze, Cézanne). Il y a un espace, des couleurs et des chaleurs, des qualités et des forces... dans les significations elles-mêmes, les images, les idées... Une vraie idée est une force, a une température, une texture, c’est un être plein de «sève» et non un signe diaphane auquel on pourrait croire ou ne pas croire, un instrument servile et neutre dont on pourrait se servir à loisir.

En fait la division de la linguistique entre phonétique et sémantique a reproduit dans le langage la séparation désastreuse de l’esprit et du corps (distinction avec séparation). La géopoétique est au contraire l’horizon de leurs retrouvailles.

Relisons encore cette section du Grand Rivage[13] qui enseigne que le poème est toujours, avant tout:

langage exemplaire
subtil comme la fleur
fluide comme la vague

souple comme le rameau
puissant comme le vent
dense comme le roc
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LE POÈME DANS L’ESPACE
A bien des égards, l’expérience géopoétique type est le voyage.

On n’ose presque plus utiliser ce mot à une époque aussi peu géopoétique que la nôtre, qui est pourtant championne toutes catégories en termes de «voyageurs-kilomètres» (unité de mesure utilisée par les compagnies de transport). Quelle est la valeur de tous ces déplacements? Quelle est leur teneur en sensation-de-monde? On devrait parler, pour ce qui nous intéresse (ce que White nomme pérégrination géopoétique), de «voyage paradoxal», par analogie avec l’expression de «sommeil paradoxal» employée en neurologie pour définir l’état du rêveur: extérieurement passif ou inerte, son électro-encéphalogramme montre une activité comparable à celle d’un individu éveillé. Ainsi, le voyage peut ressembler à du tourisme, mais extérieurement seulement. Cette analogie n’est pas fortuite: dans la perspective du parallélisme que nous avons esquissé, on pourrait dire que le voyage est à la géopoétique ce que le rêve est au surréalisme. La symétrie va plus loin: le rêve est pour le surréalisme un voyage, voyage au pays de l’inconscient, exploration et expérimentation (le «trip» de la drogue par exemple), dont l’écriture automatique est le journal de bord. A l’inverse, le voyage est pour la géopoétique, bien loin d’un quelconque tourisme, une sorte de rêve-du-réel. Je ne dis pas cela pour le seul plaisir de la symétrie: l’expérience poétique de la Terre a la caractéristique («paradoxale») de se dégager des interprétations mythologiques ou sentimentales de la nature, tout en faisant puissamment appel à une faculté d’imagination[18]. Sans doute un mot tel que celui d’imagination est-il d’un emploi aujourd’hui difficile, tant il est associé à des notions de monde intérieur opposé à l’extérieur, à un principe de libre subjectivité opposé à une scientificité supposée intégralement «objective».

Imaginer une chose c’est avant tout la faire exister en nous, l’accueillir, lui ménager un espace dans notre monde, la reconnaître - quelle que soit la nature de cette chose. La question du rapport entre le réel et l’imaginaire se pose, bien sûr, mais pas de la manière dont on la conçoit habituellement. Le déficit de contact avec le réel, dans nos existences, est dû la plupart du temps non pas à un excès mais à un manque d’imagination. Nous pouvons fort bien, par exemple, faire un voyage bien réel dans une contrée magnifique, et ne rien voir - ce qui s’appelle voir - si notre désir n’entre pas en résonance avec le paysage. Voir est une création, ou une re-création, pas un enregistrement. D’une certaine façon reconnaître précède connaître. Les choses qui n’ont pas de nom sont tout simplement invisibles. Ce qui ne préexiste pas n’existe pas. Bien que nous ne nous en rendions presque jamais compte, notre désir est extrêmement «programmé». Notre société, notre culture, notre langue nous disent, nous dictent ce qui est «réel» ou pas, ce qui est désirable ou pas. L’«équipement» le plus important que reçoit un individu dès les premières périodes de sa vie, est cette programmation de son désir. Il ne faut d’ailleurs pas considérer cela uniquement comme un fait négatif, comme on s’en rend bien compte dans les périodes de «trouble» individuel ou collectif. L’une des pires angoisses que peut connaître un individu ou un groupe, c’est de ne plus savoir quoi désirer, quoi faire de son désir, où l’affecter. Si l’on veut donner une certaine définition de l’«artiste», ce serait précisément celle d’un individu qui a appris à désaffecter, au moins partiellement, son désir des objets socialement et culturellement déterminés pour le garder libre de se porter sur de nouveaux objets. L’imagination est cette affectation (plus ou moins prédéterminée donc) du désir. L’imagination est la boussole du désir. Une culture se caractérise par son imagination, c’est-à-dire par les objets sur lesquels porte son désir. Que l’argent, l’objet le plus pauvre de tous (il n’a pas d’odeur...), soit devenu l’un des principaux objets de désir de notre civilisation en dit long sur son niveau de culture.

En ce sens, l’imagination la plus haute peut être définie comme imagination-du-réel. Parce que le réel - qu’il faudrait concevoir comme une tendance plutôt que comme un état - est, par définition en quelque sorte, un anti-réductionnisme. Le degré de réalité d’une chose se mesure à la «richesse» de cette chose (Spinoza dit: au nombre d’«attributs» qu’elle possède). Encore faut-il que nous percevions cette richesse, malgré l’irrépressible tendance de notre imagination (culturellement conditionnée) à limiter notre perception des choses au très petit nombre de traits ou d’aspects correspondant à ce que nous croyons être nos intérêts (matériels ou symboliques).

Imaginer le réel c’est le voir. Mais qu’est-ce que voir? (il y a toujours des arbres qui cachent la forêt). Aller au-delà des formes ou des qualités conventionnellement associées aux choses; mais ce n’est pas non plus «voir la chose telle qu’elle est» - formule qui ne veut pas dire grand-chose. Ce serait plutôt une perception constituée d’une série de «premières impressions» et qui en garde la fraîcheur, l’immédiate vérité. Une sorte de dialogue, dialogue avec un inconnu et dans une langue inconnue.

Henry Miller raconte quelque part qu’à une période de sa vie (à Big Sur je crois) il rencontrait fréquemment un vieux Chinois qui ne connaissait pas un mot d’anglais et qu’ils avaient ensemble d’extraordinaires conversations, chacun parlant une langue complètement incompréhensible à l’autre, ou même une langue «imaginaire» faite de sons dépourvus de significations; et non seulement ils se comprenaient parfaitement, mais ils retiraient de leurs échanges infiniment de joie et d’amitié. Ça, c’est ne pas manquer d’imagination!

Retrouver un rapport profond entre imagination et réalité demande d’aller au-delà des coïncidences ou anticipations «stupéfiantes», dont la formule s’inspire des vieilles pratiques divinatoires ou magiques (voire spiritistes, astrologiques ou tarotomaniaques, dans lesquelles Breton a quelque peu sombré dans les derniers temps du surréalisme) réduites le plus souvent à leurs aspects spectaculaires. Car la réalité avec laquelle il s’agit, par l’imagination, d’entrer en rapport intime, n’est pas seulement la réalité humaine (événements sociaux, rencontres amoureuses, chance ou malchance, réussites ou échecs, etc.), mais la réalité «exotique»: la Terre.

La Terre, ce n’est pas seulement le concept global de planète (auquel Michel Serres semble se limiter dans son Contrat Naturel qui suggère de personnifier la terre alors qu’il faudrait plutôt terrestrer» les personnes). La Terre ce n’est pas seulement ce que voient les astronautes à leur lucarne, c’est ceci, ici. Ce n’est pas pour rien que le poète «cosmique» Walt Whitman intitule son œuvre Feuilles d’herbe. Avant d’être un objet global, «la Terre» est le nom d’un affect, le «sens de la Terre», que chaque être est capable d’éprouver du fait même qu’il vit, localement, son existence terrestre. Si la Terre n’est pas présente à chaque être, dans son ici maintenant, elle n’est nulle part. On aura beau plaider avec tous les arguments possibles la «cause de la Terre», tant que celle-ci demeure une abstraction cela aura peu d’effets[19] (sinon des effets idéologiques).

C’est pourquoi l’expérience géopoétique, qu’on la nomme voyage ou habitation, est d’abord un rapport au lieu. Chine de Segalen, ou Walden de Thoreau. On pourrait parler de topognosie (ou de topophilie), mais toute expression de ce genre est inadéquate dans la mesure où elle désigne une approche qui prend les lieux, la terre, pour «objet» - ce qui n’est pas suffisant. C’est pourquoi je leur préfère la formule, assez curieuse, d’Antonin Artaud qui parle quant à lui de «culture dans l’espace». Cette expression évoque des formes culturelles (qu’elles soient scientifiques, imaginatives, ou les deux à la fois) qui n’ont pas seulement l’espace pour référent, mais qui seraient elles-mêmes des formes «spatiales», qui vivraient et respireraient dans et de l’espace réel. Artaud pensait particulièrement au théâtre (ce qu’il nommait le «théâtre de la cruauté», non par goût morbide mais pour indiquer le plus grand écart avec le «civilisé»), mais son indication va bien au-delà.

Culture dans l’espace, expérience du lieu... il y aurait beaucoup de précisions à apporter. Ne pas se limiter à une conception de l’espace comme pur schéma tridimensionnel homogène[20] et à une notion de lieu comme localisation formelle dans un système de coordonnées. Plutôt revenir à Aristote et à sa conception du «lieu naturel» propre à chaque corps, espace occupé par sa forme. Car il ne faut pas nécessairement penser à des hauts-lieux (Saint-Pierre de Rome ou le Tibet). Le lieu[21] est d’abord la conscience intense d’un ici. Kierkegaard disait que la plus haute nostalgie, c’est la nostalgie du chez-soi alors même qu’on y est! Il faudrait à l’inverse parler d’un exotisme du chez-soi. Une fois encore il s’agit d’abord d’un affect, d’une sensation de lieu, sensation d’être ici, cet ici et que cet ici est «sur terre».

Je pense à deux autres expressions qui éclairent à leur manière cette question du rapport de l’esprit et du corps. La première, la conscience du corps, est le titre d’un livre de Moshé Feldenkrais, ce physicien (assistant de Joliot-Curie) devenu yogin puis initiateur des «nouvelles» gymnastiques. Elle évoque non seulement la (prise de) conscience que l’on peut avoir de son propre corps, mais encore que le corps lui-même est susceptible d’avoir une conscience, d’être conscient, de lui-même et du monde.
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Ce sont nos efforts pour saisir tous les aspects de la vie qui la rendent si passionnément intéressante. » Virginia WOOLF II


Très souvent, elle rapporte de larges pans de conversation, tout en se plaignant de ne pas y parvenir. Mais si elle se livre à cet exercice réputé difficile, c’est peut-être aussi pour se libérer d’elle-même. D’ailleurs, elle dit, en parlant de Gibbon, qu’il est sans doute vrai que l’on choisit ses amis en partie pour vivre des vies que nous ne pouvons vivre nous-même. Parfois, cet exercice auquel elle se donne avec assiduité ne parvient pas à la libérer d’elle, bien au contraire, puisqu’il suscite des comparaisons mélancoliques ou envieuses :

« Et moi, je sens que comparés à Aldous et Maria nous ne réussissons pas. Ils se sont mis en route aujourd’hui pour faire le tour des mines, des usines… du pays noir ; ont inspecté les docks pendant leur séjour ici. On doit visiter l’Angleterre. Ils vont se rendre à Moscou pour le congrès sur la sexualité, sont allés aux Indes, iront en Amérique, parlent français, vont voir des gens célèbres, tandis que je vis ici comme un charençon sur un biscuit » [13].

Ainsi, on se rend bien compte que l’égotisme et l’observation sont toujours très étroitement liés. Parler avec ses amis, retranscrire leurs propos, lire des biographies, des autobiographies, tout cela la ramène forcément à elle-même et elle le sait. D’ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, Virginia Woolf nourrissait le projet d’écrire son autobiographie. Lorsque l’on sait qu’elle abolissait, par exemple dans son journal, les frontières entre la vie et la fiction, qu’elle inventait et changeait à sa guise bon nombre d’événements (ses lettres sont pleines d’inventions), on s’interroge sur le degré de sincérité auquel on pouvait s’attendre dans une autobiographie de Virginia Woolf. La folie et le suicide l’empêchèrent de mener à bien cette entreprise, et son journal ne sera donc jamais le tremplin d’une autobiographie, comme elle l’avait toujours souhaité.

Naturellement, le problème de la sincérité dans le journal intime se pose aussi. On sait que Virginia n’avait pas très bonne réputation auprès de ses amis. On la disait malveillante, bavarde et très encline à se laisser emporter par son imagination. Alors, peut-on croire que son journal dise vrai ? Son neveu, Quentin Bell, qui prépara l’édition du Journal de sa tante affirme : « l’on trouvera dans ces pages une image fidèle de Virginia Woolf, en même temps qu’une description exacte et, à bien des égards, extraordinairement pénétrante de ses amis et de sa famille, de sa vie et de son époque » [14].

Mais une telle confiance ne règnait pas chez tous ceux qui l’avaient côtoyée et qui, par conséquent, figuraient entre ces pages. Ainsi, Clive Bell, ayant prévu que le journal de Virginia serait un jour publié, prit soin de mettre le public en garde, lui enjoignant de ne pas croire tout ce qu’elle avait bien pu y raconter :

« Tôt ou tard on publiera les cahiers et les lettres de Virginia Woolf. Cela donnera un bon nombre de volumes fascinants ; des livres qui seront, comme la correspondance de Byron, à lire et à relire rien que pour le plaisir. Mais qu’au milieu de son plaisir le lecteur se souvienne, surtout s’il a des démangeaisons d’écrire des commentaires ou des biographies, que les propos de l’auteur sur les gens et leurs faits et gestes peuvent n’être parfois que des envolées d’une imagination aérienne » [15].

Nous nous contenterons de remercier monsieur Bell pour sa mise en garde (qui d’ailleurs peut s’appliquer à n’importe quelle production intime), tant la querelle sur la sincérité du journal intime nous semble vaine et très inadéquate. Rappelons que le diariste « se crée (…) doublement un personnage : en tant qu’écrivain, et en tant que matière de son écriture » [16] : le moi est en même temps sujet et objet.

Cependant, nous pouvons considérer que cette envie autobiographique existait depuis longtemps dans l’esprit de Virginia et qu’elle fit même quelques tentatives. La première prend la forme d’une lettre adressée à son neveu Julian. Elle entreprend de lui raconter la vie de sa mère, Vanessa, et par conséquent la sienne, très liée depuis toujours à celle de sa sœur, sa chère Nessa. Et dans le texte, très vite, Virginia inclut sa propre vie : « Notre vie était commandée par une grande simplicité et une grande régularité. (…). Nos devoirs étaient clairs et nos plaisirs absolument faits pour nous » [17]. La biographie de Vanessa se transforme donc en essai d’autobiographie.

Dans l’une de ses communications adressées au Memoir club [18], Virginia Woolf avoue, non sans humour, qu’elle n’est point capable d’écrire une autobiographie, que c’est un type de narration qui ne saurait lui convenir puisqu’elle n’a rien d’un personnage public. Par conséquent, elle commence son texte en disant qu’il était bien injuste de la part de Molly MacCarthy de lui avoir demandé, à elle, de participer à une telle chose :

« Molly, très injustement, je trouve, m’a imposé la charge de fournir un mémoire ce soir. Nous pardonnons toujours tout à Molly, bien sûr, à cause de son charme insidieux, dévastateur. Mais ce n’est pas juste. Ce n’est pas mon tour. Je ne suis pas votre aînée à tous. Je ne suis pas celle qui a le plus longuement vécu ni la plus riche de souvenirs. Maynard, Desmond, Clive et Léonard mènent tous une vie active et mouvementée (…). Ce serait à eux d’ouvrir les portes de leur trésor (…). Qui suis-je pour qu’on me demande d’écrire un mémoire ? Une simple gribouilleuse (…). Mes mémoires, qui sont toujours d’ordre privé et au mieux traitent de demandes en mariage, de séductions par des demi-frères, de rencontre avec Ottoline et ainsi de suite, n’auront bientôt plus rien pour les alimenter » [19].

Mais personne n’est dupe de ce désaveu ironique. Comment, Virginia Woolf n’avait rien à raconter ?! Elle connaissait un très grand nombre de gens et elle eut l’occasion de rencontrer des individus exceptionnels. Elle écouta de très nombreuses discussions politiques et y prit part. Elle fut aussi éditrice et une des lectrices les plus insatiables du XXème siècle. Et pourtant, est-elle aussi insincère ? Il semble que non. Pour Virginia, les exploits et les aventures se déroulent dans l’esprit puis sur la page blanche. Ce qui compte, ce n’est pas l’extérieur mais l’intérieur. Elle va donc changer le but premier des conférences du Mémoir Club et les ramener à ce qui l’intéresse par-dessus tout : elle :

« Oserais-je suggérer qu’il serait temps de ne pas interpréter trop littéralement les ordres de Molly et au lieu de promener la lampe de notre mémoire sur les aventures et les sensations fortes de la vie réelle, de tourner son rayon vers l’intérieur, et de nous décrire nous-mêmes ?
Parlerais-je pour moi seule quand je dis que si rien ne m’est arrivé qui mérite le nom d’aventure depuis la dernière fois que j’ai occupé cet éminent et épineux fauteuil, je n’en continue pas moins d’être pour moi-même un sujet d’anxiété inépuisable et fascinant – un volcan en perpétuelle éruption ? N’y a-t-il personne à partager mon égotisme quand je dis que jamais la pâle lueur de l’aube ne traverse les stores du 52 Tavistock Square sans que je m’écrie en ouvrant les yeux : « Grands dieux ! Me voilà encore là ! « - pas toujours avec plaisir, souvent avec chagrin, parfois soulevée d’un violent dégoût – mais toujours, toujours avec intérêt ? » [20]

Et cependant, Virginia a toujours été très soucieuse d’éviter l’exhibition égotiste. Malgré cela, tous les textes qu’elle a publiés ont un fondement personnel qu’elle a bien de la peine à cacher. L’histoire de sa vie est dans ses romans, dans ses essais ; elle revient sans cesse sur sa famille, ses parents, sa sœur, la mort de sa mère, celle de son frère Thoby. Elle était un écrivain très absorbé, très inspiré par sa propre personnalité : « En fait, je pense parfois que seule l’autobiographie relève de la littérature ; les romans sont les pelures que nous ôtons pour arriver enfin au cœur, qui est vous ou moi, rien d’autre » [21].
Pourtant, elle était réellement désireuse de dépouiller sa fiction de tout caractère personnel. « On pourrait appeler cela ‘autobiographie’ » [22], écrit-elle à propos des Vagues. Mais elle s’empresse d’ajouter : « Ce sera l’Enfance ; mais il ne faut pas que ce soit mon enfance » [23]. Ainsi, l’ambiguïté demeure et tout ceci montre combien étaient grandes les difficultés de Virginia lorsqu’il lui fallait parler d’elle-même. Elle craint de révéler son âme, de se déprécier, elle a aussi très peur qu’on se moque d’elle, qu’on l’humilie. Lorsqu’elle parle en public (public d’amis) lors des soirées du Memoir Club, elle s’accable ensuite de reproches dans son journal :

« Mais si ce journal était celui de l’âme, je pourrais m’étendre longuement sur la seconde réunion du Memoir Club. Léonard s’est montré objectif, et connut un triomphe ; moi, subjective, j’essuyai la plus désagréable des déconfitures. Je ne me souviens pas d’avoir jamais été aussi mortifiée, ni mécontente de moi, partenaire qu’en général j’admire. « Oh, pourquoi ai-je lu cette camelote égocentrique et sentimentale ? » C’est ce que je me suis écriée, dans ma conscience aiguë du silence qui succéda à mon chapitre. J’avais commencé au milieu de grands rires ; ils ne tardèrent pas à se taire. Et alors, j’ai imaginé malgré moi une sorte d’ennui gêné chez les auditeurs masculins, auxquels mes révélations devaient paraître d’autant plus insipides et détestables qu’ils étaient d’humeur joviale. Qu’est-ce qui m’a pris de dévoiler ainsi mon âme ? » [24].
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5.

Lors de mes premiers aller-retour entre l’Écosse et la France, je pensais en termes de révolution culturelle. Au moment de cette reprise de contact avec le pays calédonien, j’avais autre chose en tête. Sur le plan culturel, la plus grande description de l’état de choses me semblait toujours La Terre gaste (The Wasteland) de T.S. Eliot. Lui-même avait essayé d’en sortir en se convertissant à une orthodoxie chrétienne, solution que je ne pouvais accepter. Sur le plan littéraire, on n’en était plus aux grandes lamentations et aux grandes fresques d’Eliot et de Pound, le terrain d’action et de pensée s’était considérablement rétréci: les poètes tondaient leur pelouse, et les prosateurs touillaient à longueur de romans la même soupe socio-psychologique. D’une manière générale, les écrivains donnaient tous l’impression d’être passés par des écoles de creative writing et d’en être sortis avec de bonnes notes. Seule exception à mes yeux, MacDiarmid en Écosse, mais ni son nationalisme ni son communisme n’emportaient mon adhésion, et si ses longs poèmes m’intéressaient par la quantité d’informations qu’ils véhiculaient, rares étaient ceux dans lesquels l’information devenait enformation; on avait affaire à des amas informes et indigestes – préférables, et de loin, à la production littéraire normale, normalisée, mais laissant encore beaucoup à désirer.

D’Eliot, à cette époque, je retenais surtout la petite série de Landscapes, en particulier celui écrit à Cape Ann, sur la côte du Massachusetts, qui se termine ainsi: «Abandonne ce pays à la fin, abandonne-le à son vrai propriétaire, le goéland coriace – les palabres sont terminés.» Les palabres étaient, effectivement, terminés en ce qui me concernait. Je me tournais vers le paysage en me disant que de là, peut-être, grâce à quelque chose que je nommais landscape-mindscape (paysage physico-mental), pourrait surgir un nouveau commencement, une nouvelle base. Quiconque s’intéresse à la notion de scape (étendue, proche de scope, envergure, et de shape, forme) rencontre assez vite Gerard Manley Hopkins, qui élabora toute une théorie autour de deux concepts: inscape (la caractéristique intrinsèque d’une chose – proche de la haecceitas, l’«être-ainsi», de Duns Scot) et instress (la manière d’actualiser l’inscape des choses, de la vie, dans l’esprit du lecteur, de l’auditeur, du spectateur). En 1881, Hopkins travaillait, en tant que prêtre jésuite, à l’église Saint-Joseph de Glasgow. Cette année-là, il fit un voyage dans les Hautes-Terres au cours duquel il écrivit le poème «Inversnaid»:

Ce ruisseau sombre d’un brun croupe-de-cheval
Qui dévale sa grand-route et rugissant roule des rocs,
Dans la crique et la combe plisse sa toison d’écume
Et tout en bas au creux du lac tombe en sa demeure.
Un béret de mousse fauve bourré-de-vent
Virevolte et se défait à la surface du brouet
D’un étang si noir-de-poix, farouche et menaçant
Qu’il touille et touille le Désespoir pour le noyer.
Imbibés de rosée, bariolés de rosée, voici
Les replis des coteaux où le torrent s’encaisse,
Les rêches touffes de bruyère, les bosquets de fougères,
Et le joli frêne perlé penché sur le ruisseau.
Qu’arriverait-il au monde, s’il se voyait ravir
L’humide et le sauvage ? Qu’ils nous soient donc laissés,
Oh ! Qu’ils nous soient laissés, le sauvage et l’humide,
Que vivent encor longtemps herbes folles et lieux sauvages ! [4]

J’aimais l’énergie d’un tel poème, ainsi que son apologie des lieux sauvages (the wilderness). C’est la chose sur laquelle Hopkins ne cesse de revenir dans ses lettres et dans ses essais: «Je désire les terres sauvages, l’inculte», «où est la sauvagerie des terres sauvages?» (where is the wildness of the wilderness ?) Mais je trouvais le ton trop excité. Je trouvais aussi qu’il était d’une linguisticité (si je puis dire) excessive. Dans certains autres de ses poèmes, la théologie faisait également à mon sens trop souvent intrusion. Bref et en fin de compte, je m’intéressais plus à la théorie qu’à la pratique. Je voulais quelque chose de plus sobre, quelque chose de moins baroque, de moins métaphorique. Je préférais de loin le poème-paysage de Hopkins à celui d’Eliot sur la lande de Rannoch, qui ne sort guère de l’histoire banale. Mais je ne voulais ni du récit historique, ni du lyrisme excité, surexcité.

J’étais en train d’avancer à tâtons vers ce que j’appelais à l’époque une «poétique atlantique».

Mais suivons la topographie, pas à pas.

Enfant et adolescent, j’avais parcouru une petite «région atlantique» qui consistait en quelques kilomètres carrés sur la côte ouest de l’Écosse: le rivage et l’arrière-pays d’un village du comté d’Ayrshire, avec l’île d’Arran (qui constitue un résumé de toute la topographie écossaise) dressée sur l’horizon. Mais au moment de cette nouvelle prise de contact avec l’Écosse, tout en n’oubliant pas le paysage antérieur, je m’intéressais surtout à cette chaîne de montagnes, Drumalban, qui va du détroit de la Clyde jusqu’au cap de la Colère. Dans son Historia (VIIIe siècle), Adam Bede l’appelle dorsum Britanniae, l’épine dorsale de l’île de Bretagne, et Fordun, dans son Scotichronicon (XVe siècle), parle de «grandes montagnes qui parcourent le milieu du pays, comme les hautes Alpes en Europe». C’est une région de gorges et de vallées encaissées, d’auges glaciaires et de plateaux comme celui de la lande de Rannoch où l’on a l’impression que les glaces du quaternaire viennent seulement de se retirer, laissant le terrain sous une étrange lumière et comme en attente d’un réveil.
Tout en cheminant dans la montagne, tout en arpentant la côte, guettant le vol d’un lagopède ou d’un fou de Bassan, je lisais tous les livres qui me semblaient pertinents: ceux qui me donneraient de la pure information, ceux qui contiendraient des éléments d’une écriture. Les cahiers bleus de la British Regional Geology m’accompagnaient en permanence: «Les îles et les promontoires qui s’échelonnent le long de la côte ouest de l’Écosse sont remarquables par les vestiges qu’ils gardent d’une activité ignée intense au cours du tertiaire – à cette période-là, il y a quarante millions d’années, des plateaux volcaniques faisant partie d’une région continentale ont dû s’étendre en ligne continue le long du littoral occidental» (Tertiary Volcanic Districts, 1935). Je lisais Mac Culloch, A Description of the Western Isles of Scotland (1814), Hugh Miller, The Old Red Sandstone (1841), Archibald Geikie, The Scenery of Scotland (1865), James Geikie, The Great Ice Age (1873), Heddge, Geognosy and Mineralogy of Scotland (1884), Craig, The Geology of Scotland (1965), Sissons, The Evolution of Scotland’s Scenery (1967), et bien d’autres. À ces études scientifiques j’ajoutais des lectures plus extravagantes, celle, par exemple, du livre de Giraldus Cambrensis, Topographia Hiberniae (XIIe siècle), où il est question d’un certain Gurguintius (on dirait Gargantua) qui aurait amené d’Espagne en Irlande des Basclenses, c’est-à-dire des Basques… Ou bien encore le livre de Martin Martin, A Description of the Western Islands of Scotland (1716), où l’on trouve des descriptions concernant, par exemple, l’île d’Arran: «Arran, son Étymologie, ses Montagnes, ses Baies, sa Terre, ses Pierres, ses Rivières, son Air» et où, dans la préface, on peut lire ceci: «Un grand changement est survenu dans l’état d’esprit du monde, et, par conséquent, dans la manière d’écrire.» Voilà, exactement, ce que je cherchais, le genre de chose que je voulais essayer de réaliser. Et il est vrai qu’on avait assisté au XVIIIe siècle à un réel commencement: un nouvel intérêt pour les choses de la nature, de nouvelles matières et de nouvelles méthodes. Mais comme le précise un historien de la culture, Clarence Glacken, dans son Traces on the Rhodian Shore (Traces sur le littoral de Rhodes), l’argumentation restait classique (tournant autour de la notion de Providence), et les conjectures (celles de Buffon sur la faune américaine, par exemple) pouvaient être complètement aberrantes, voire absurdes. À tel point qu’il préfère considérer cette fin du XVIIIe siècle comme la fin d’une période classique plutôt que le prélude à autre chose. Il me plaisait d’y voir cependant un certain prélude. Dans une jolie phrase, Glacken parle des idées de Montesquieu et d’autres arrivant sur les rivages écossais comme des bois flottés avant d’être recueillis par les William Robertson, Adam Smith, David Hume, Adam Ferguson et Dugald Stewart. Dans son History of America, Robertson, aussi docteur en Divinité qu’il fût, (attaché donc à l’idée théologique et téléologique) parle d’un «champ plus ample», et David Hume, dans Dialogues, écrivait: «Le champ, c’est le monde.» Pour en revenir à Glacken, celui-ci déclare dans la conclusion de son livre monumental que la nouvelle période, commençant avec la révolution industrielle, et comportant une spécialisation croissante dans les sciences, serait encore plus difficile à raconter et à décrire. La rédaction d’un tel livre me semblait sans conteste une œuvre importante, mais je n’y songeais, pour ma part, pas le moins du monde. Me situant à la fin de cette nouvelle période (la deuxième partie de la modernité ?), avec des besoins et des élans pris dans un mouvement, mon désir était, non pas d’écrire une histoire, mais d’ouvrir un champ. Je continuai donc à parcourir les rivages atlantiques…

À un moment donné, je me suis installé ici, en Bretagne, sur une partie de la côte marquée géologiquement par un phénomène connu sous le nom de «complexe centré».

Le travail continue, de façon multiple.
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