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Citation de Charybde2


Or la philosophie va recevoir un coup terrible, quand elle va enfin comprendre ce qui s’est passé avec ce penseur de l’être qui nous dit, dans sa Gesamtausgabe, que « l’expérience de l’être jaillit de la pensée de la race ». Quand on va vraiment voir, noir sur blanc, traduits en français, les prolongements en réseau de cette proposition, avec le texte même en note… Mais alors la philosophie, c’est quoi ? Si elle est capable de cette fraude intelligente, gérée avec une autorité extraordinaire ? Comment peut-on produire une telle fraude, où le fraudeur est lui-même fraudé – car on a l’impression qu’il n’aurait pu tenir le coup s’il n’y avait pas cru lui-même, au fur et à mesure que s’inventait ce discours ? Et nous ? Nous sommes devant l’atelier crucial de cette fraude. Il faut s’y plonger. Dans beaucoup d’autres aussi : toute la philosophie est un atelier, un atelier qui nous permet de déchiffrer les ateliers de l’histoire, du langage… Les cahiers de Nietzsche sont également un laboratoire complexe et difficile, car ils comptent des choses qu’on ne peut pas accepter. Mais lui, il retourne tout de suite le problème, il regarde autrement, il contourne la façade – c’est ce qu’avait vu tout de suite Lou Salomé : attention, il y a une « philosophie de façade » chez Nietzsche, il faut savoir la discerner de l’autre, de la sienne propre. Pourquoi expérimente-t-il ce travail de façade, auquel il ne croit qu’un instant, le temps d’en expérimenter l’hypothèse ? C’est une autre énigme de langage. Mais il permet, en tout cas, de mettre à l’épreuve les transformations, de son propre point de vue. Il pratique le retournement, ou bien la transvaluation, la pensée transformante, la pensée des transformants… Même s’il est parfois pris au piège un moment.
C’est cela qui nous intéresse. Notre siècle va être « heureux » d’entrer dans cette pensée des transformants, car nous avons vu tant de choses se retourner, la tête en bas. Il faut acquérir une sorte de souplesse, devant ce gymnase des langues. Quand on voit que le peuple qui a libéré l’Europe a voulu l’entraîner dans le trou noir de la Mésopotamie, mise au pillage… Le musée de Bagdad pillé, avec toute notre mémoire… L’invention de l’écriture, les tablettes sumériennes fracassées, sans même que l’on ait pensé à mettre un planton devant, alors qu’on a su en mettre devant les banques… Le renversement des rôles, là encore, est une tragédie effrayante, qui va faire se perpétuer l’inflammation.
Ce qui est important si l’on s’aventure dans les langages totalitaires, c’est qu’on y apprend nos propres langages, et à s’exercer à leur déchiffrement. Bien sûr, aucune solution n’est « livrée »… (Entretien avec Jean-Pierre Faye)
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