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Critiques de Revue Moto (1)
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Moto Revue 1420 . 20 décembre 1958 . Essai Yd..

Serge Joncour, dans la lignée des écrivains américains « nature writers », voue un culte aux grands espaces sauvages, à ces hectares de verdure, peuplé de bestioles.

Il campe son décor dans son fief de prédilection, le Lot, et revisite l'Histoire du village d'Orcières, « au fin fond des collines escarpées du causse », « au coeur du triangle noir du Quercy », village ancré dans la légende et les superstitions.

On navigue par alternance entre deux époques ( 1914/2017)



Le chapitre d'ouverture traversé par un hourvari nocturne tonitruant, cet été 1914, interpelle : hommes mobilisés, animaux réquisitionnés, les femmes au labeur, la peur.

Le Mont d'Orcières devient le repaire d'un dompteur et de ses fauves, le théâtre d'une histoire d'amour fusionnelle et d'une tragédie que l'auteur ressuscite.



En 2017, un couple de Parisiens vient y passer son été. Gîte paumé, sans Wi-Fi, sans télé, confort spartiate, accès difficile. Mais « un pur émerveillement » saisit les vacanciers à l'arrivée. « Un parfait éblouissement ». Cette vue panoramique depuis la clairière les ravit. Idéal pour se déconnecter et rebooster sa créativité.

Le silence qui prévaut dans cette maison contraste avec la sarabande d‘un monde nocturne, peuplé de bestioles qui regorgent de vitalité, ce qui alarme d'autant plus Franck, l'insomniaque, surtout qu'un soir il avise une bête « deux lueurs jaunes, deux yeux effilés phosphorescents ». Auraient-ils des loups comme voisins ? La peur va atteindre son paroxysme.



Si Lise s'adapte, son mari Franck, producteur, à la merci d'associés prédateurs, est pris de panique à l'idée de ne pas pouvoir rester en contact avec eux. D'où ses échappées à la ville, ses haltes au café. Au marché, il croise un boucher fascinant dont l'étal regorge de « barbaque » et lui donne l'envie de renouer avec la viande.



L'irruption d'un Chien-Loup errant, sans collier, change la vie du couple. L'auteur met l'accent sur la dualité de ce molosse ( féroce ,buté/ docile, affectueux) et des animaux en général : « Dans l'animal le plus tendre dort toute une forêt d'instincts ».



Serge Joncour, en connaisseur de la gent canine, décrypte avec acuité toutes les réactions de ce Chien-Loup vagabond, selon les lieux. Il questionne la cohabitation hommes/animaux dans la nature et les rapports dominant/dominé, maître/nourriture.

« Être maître d'un animal, c'est devenir Dieu pour lui. Mais avant tout c'est lui assurer sa substance, sans quoi il redeviendrait sauvage... »

On est témoin de la façon dont Franck l'amadoue progressivement, lui parle, fraternise, gagne sa confiance et tisse une complicité, une amitié hors normes, très touchantes. Scènes cocasses entre Franck et Alpha quand il le nourrit, joue avec lui.



Lors d'une randonnée dans ce maquis insondable, jusqu' à une igue, ils font une découverte majeure, insolite, point de convergence de l'intrigue. Vestige et relent d'un passé maléfique sur lequel les villageois sont peu diserts, entretenant ainsi le mystère par leurs sous-entendus et leurs méfiances.



L'auteur nous dévoile les coulisses du métier, non pas d'écrivain, mais de producteur, devant résister à ses associés, « des jeunes loups » prêts à pactiser avec Netflix et Amazon. Serge Joncour, dont certains romans sont adaptés à l'écran, pointe en connaissance de cause les dangers de ces monstres, « à l'appétit sans limite », clame sa défiance contre ces « géants du numérique » et déplore « qu'ils ne payent pas d'impôts ».

Une phrase retient l'attention et préfigure le plan machiavélique en germe de Franck contre ses « charognards », ses voraces prédateurs : « Il se sentait prêt à réveiller en lui cette part de violence qu'il faut pour se défendre, mais surtout pour attaquer, et ce chien mieux que personne lui disait de le faire ».



Le récit s'accélère. Pourquoi ce deal avec les braconniers ? Franck va-t-il accepter les conditions de ses « enfoirés » d'associés ? Pourquoi les fait-il venir ? Pourquoi s'est-il muni de cordes?

Le suspense grandit. La tension va crescendo et tient le lecteur en haleine. Les éléments se déchaînent, furie du ciel (orage, grêlons).



Le romancier révèle, une fois de plus, ses multiples talents tous aussi remarquables : portraitiste, peintre paysagiste, scénariste, entomologistes des coeurs et des corps( déclinés dans tous leurs états!), contempteur de son époque. Sans oublier le zeste d'humour. du grand Joncour !



Il sait créer des atmosphères et nous offre « un roman en relief »,« en trois dimensions »( expressions de l'auteur), à ciel ouvert, sensoriel et tactile. Il excelle à nous faire :saliver avec « un magma odorant », celui d'« un sauté d'agneau », ou l'odeur croustillante d'un poulet grillé, sentir le parfum des gardénias, l'odeur de jasmin émanant de Joséphine, entendre une litanie de bruits, des plus ténus aux plus stridents, et même ressentir tantôt la chaleur, tantôt la fraîcheur.



On assiste à une étonnante métamorphose de Franck, qui après avoir apprivoisé les lieux, se sent en totale osmose avec cette nature sauvage. Elle opère sur lui comme un baume. « Il y a des décors qui vous façonnent, vous changent ».

Les voilà, comme Bobin, contemplatifs devant les nuages, en pleine béatitude, scellant cette harmonie par le contact physique, dans une bulle de tendresse.



Serge Joncour nous offre une totale immersion « into the wild » et signe un hymne à la nature sauvage et aux animaux.Il rend hommage aux femmes si laborieuses en 1914. Il met en exergue l'intelligence d'Alpha, « ce cerbère à la dévotion totale », devenu un « allié », un geôlier.

CHIEN-LOUP, alias Bambi, aux « pupilles phosphorescentes », irradie !



A votre tour de dévorer cet ouvrage que je qualifierai de « L'Alpha et Oméga » Joncourien, canin, félin, lupin… DIVIN ! Un merveilleux cocktail d'Histoire, de sauvagerie, de drôlerie, avec une once de folie et de poésie !

Ne craignez pas les ronces, les griffes, les feulements, les hululements.

Un roman touffu, sonore, foudroyant, vertigineux, détonant, démoniaque qui se hume, s'écoute, se déguste avec délectation, qui décalamine le cerveau et embrase le coeur ! Une écriture cinématographique virtuose. le must de la rentrée.
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