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Critiques de Revue Nouveaux Cahiers du socialisme (4)
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Autochtones et société québécoise

La solidarité n’est pas une inévitabilité, elle doit être construite



Dans leur introduction au dossier, Pierre Beaudet, Marie-Josée Béliveau, Brieg Capitaine, Dalie Giroux et Pierre Trudel reviennent, entre autres, sur le colonialisme européen et son impact sur les « Premières Nations », la longue histoire coloniale, l’introduction des rapports capitalistes, les catastrophes bactériologiques, les rapports politiques entre les peuples autochtones, la création de l’Etat canadien, les dépossessions, la structuration d’apartheid envers les communautés autochtones.



Elles et ils soulignent les ruptures et les continuités dans les politiques coloniales modernes, les dislocations sociales, les transformations possiblement porteuses de renouvellement et présentent « les sentiers actuels de la résistance autochtone », les revendications autochtones, les passerelles avec d’autres « mouvements populaires ».



Les auteur-e-s parlent d’« identité en reconstruction », de la Commission de vérité et réconciliation, des politiques canadiennes d’assimilation « et la destruction de l’identité, de la langue, de l’imaginaire autochtone, couplées à la destruction de l’économie autochtone, l’accaparement des terres et la clochardisation dans le système apartheid mis en place depuis la Confédération », des contradictions à l’oeuvre, des fractures internes, de l’engagement de jeunes dans les travaux historiques ou anthropologiques, de la non-négociabilité de la souveraineté des peuples…



Interroger le passé, les combats actuels des populations autochtones nécessite de rompre radicalement avec les pensées euro-centrées et le colonialisme. J’ajoute que les travaux européens sur les questions nationales (par exemple, Otto Bauer : La question des nationalités) montrent des limites en la matière. « En 1867, les peuples autochtones sont devenus une minorité sur leurs terres ». C’est, je crois, du coté du « pluriversalisme » qu’il convient de regarder (Tumultes : Pluriversalisme décolonial. Sous la direction de Zahra Ali et Sonia Dayan-Herzbrun)



Les textes du dossier offrent une large palette d’analyses, d’interrogations, de descriptions. Les différent-e-s auteur-e-s traitent des liens entre capitalisme et colonialisme, de l’économie politique du colonialisme, des droits des autochtones, des combats contre l’extractivisme et ses installations, des relations à la terre, des approches autochtones, des nouvelles alliances possibles.



Sont abordés aussi, la « commission de vérité et réconciliation » et ses limites, la forte « dissonance » entre l’idéal universaliste abstrait et les réalités institutionnelles, la dichotomie « sauvage/civilisé », les mouvements d’« affirmation identitaire », les différentes organisations des « Premières Nations », les métis et les indiens non inscrits, le sentiment d’appartenance, « Appartenir à une communauté ne veut pas forcément dire être acceptée par elle ».



Des luttes « environnementales » ou des résistances sont analysées en détail, batailles contre les sables bitumeux, barricade à Oka/Kanehsatake, Idle No More, Standing Rock, Healing Walk, Innus contre Iron Ore… Sans oublier le rôle des minières canadiennes contre les peuples autochtones au Mexique.



Je souligne les articles sur l’histoire du colonialisme, les résistances et les solidarités, les conflictualités, la ségrégation et le racisme différentialiste, la substancialisation de l’identité autochtone, le mythe colonial de la « disparition de l’Indien », les problèmes de souveraineté…



J’ai notamment apprécié les articles de Taisiake Alfred « En finir avec le bon sauvage », les analyses de l’imaginaire colonial, la dépossession et le génocide, le piège de la réconciliation, la redécouverte de la langue, les cosmologies ; de Julie Vautour « La lutte des femmes autochtones pour les droits reproductifs » ; et les articles sur la « culture », la tradition orale, la pratiques de certains rituels…



Le terme nation n’a ici ni la même histoire ni le même sens qu’en Europe avec les Etats-nations, les « concepts européens s’inscrivant dans une logique de souveraineté étatique moderne ». Il convient une fois de plus de ne pas réduire les possibles affirmations collectives aux formes construites en Europe. Il est nécessaire de repenser les formes historiques de « souveraineté », d’auto-nomination collective, de refuser de les hiérarchiser, d’en comprendre les sens en terme d’émancipation…



Parmi les autres textes, je souligne particulièrement :



l’entretien avec Alexa Conradi (Suzanne-G. Chartrand) : Un engagement féministe qui s’approfondit dans les luttes.



L’article de Sandrine Ricci : Contrer les violences sexuelles à l’université : un maillage de résistance. L’autrice analyse, entre autres, le rôle de l’institution universitaire dans la (re)production de la culture du viol, « Parler de culture de viol réfère à des pratiques et à des structures sociales qui minimisent, normalisent, cachent et donc encourage les violences sexuelles »

L’article de Carole Boulebsol : De l’importance de la lutte contre l’exploitation sexuelle et les autres formes de violences des hommes envers les femmes. Et le travail effectué par la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)
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Impérialisme au XXI e siècle

Pour la reconnaissance des droits comme étant indivisibles, non hiérarchisés et indépendants

Nu­méro co­or­donné par : Flavie Achard, Pierre Beaudet, Sté­phane Cha­li­four, Do­nald Cuc­cio­letta, Francis For­tier, Phi­lippe Hur­teau, Thomas Chiasson-LeBel, Ghis­laine Raymond



En 1914, l’histoire contem­po­raine bas­cu­lait avec la Pre­mière Guerre mon­diale. Celle-ci lan­çait le monde en­tier dans un conflit d’une vio­lence sans pré­cé­dent. Cette guerre in­ter­éta­tique aux ac­cents de lutte de classes voyait s’affronter différentes puis­sances im­pé­ria­listes dans une ri­va­lité qui al­lait en éli­miner plusieurs. C’est à cette époque que le mar­xisme s’est d’abord in­té­ressé, avec une at­ten­tion par­ti­cu­lière, à la ques­tion de l’impérialisme.



Au mo­ment de bou­cler ce nu­méro, cent ans plus tard, le Par­le­ment ca­na­dien, com­posé d’une ma­jo­rité de conser­va­teurs, vient d’engager la par­ti­ci­pa­tion du Ca­nada à des bom­bar­de­ments aé­riens en Irak. L’objectif pour­suivi, plutôt flou, est d’affaiblir un groupe armé qui opère dans la ré­gion, l’État is­la­mique en Irak et au Levant (EIIL), qui re­pré­sen­te­rait une « me­nace à l’échelle mon­diale »1. Cet ob­jectif a été ré­af­firmé à la suite des in­ci­dents à Saint-Jean-sur-le-Richelieu et à Ot­tawa en oc­tobre der­nier dans les­quels des mi­li­taires ont été tués. Les services de sé­cu­rité af­firment que les meur­triers se ré­cla­maient d’un cer­tain islam « ra­dical », ce qui jus­ti­fie­rait, selon le gou­ver­ne­ment, de par­ti­ciper en­core da­van­tage à la « guerre contre le ter­ro­risme mondial ».



Les États-Unis sont au cœur de la coa­li­tion qui s’engage dans cette nou­velle offen­sive. Ca­pables de mo­bi­liser en quelques se­maines les forces des pays les plus avancés contre l’ennemi dé­signé du jour, les Amé­ri­cains as­sument, une fois de plus, un rôle cen­tral au sein d’une dy­na­mique de po­lice im­pé­riale. Mais ils n’agissent pas seuls. Ils choi­sissent de re­cher­cher des al­liés et de créer une coalition in­ter­na­tio­nale, sans tou­te­fois s’appuyer d’abord sur les ins­tances multila­té­rales exis­tantes. Après l’Afghanistan, l’Irak et la Libye, de telles entreprises bel­li­queuses res­semblent à une ges­tion à la pièce dans la­quelle chaque nou­velle ma­nœuvre gé­nère, par effet d’entraînement, une crise inédite.



Les États-Unis sont aussi au coeur de la ges­tion du ca­pi­ta­lisme mon­dial et, malgré l’importance gran­dis­sante des autres blocs ca­pi­ta­listes (Eu­rope, Japon) et des pays émer­gents (BRICS2), ils de­meurent le pivot cen­tral de l’articulation mon­diale du ca­pital. Or, en­core là, les États-Unis ne sont pas seuls, et malgré la cen­tra­lité du dollar, la Cité de Londres contrôle une très grande partie de la finance mon­diale. Dans ce do­maine aussi, la ré­ponse à la plus ré­cente crise écono­mique ne semble guère of­frir de so­lu­tion3[3] dans l’immédiat, et en­core moins à long terme.



La cen­tra­lité des États-Unis et l’étendue de l’emprise amé­ri­caine consti­tuent sans doute l’une des nou­veautés de notre époque, qui lui confère son ap­pa­rente uni­po­la­rité. Mais les États-Unis sont bous­culés dans leur po­si­tion do­mi­nante, constam­ment dé­fiée, et ils doivent conti­nuel­le­ment re­nou­veler leurs ap­puis, de gré ou de force.



Quelle forme d’impérialisme sous le ca­pi­ta­lisme actuel ?



Il y a cent ans, pour ex­pli­quer l’impérialisme, la lit­té­ra­ture mar­xiste cher­chait ce qui unit les ver­sants éco­no­mique et mi­li­taire de dif­fé­rentes dy­na­miques nationales, et vi­sait à mon­trer com­ment, sous le ca­pi­ta­lisme, ce lien se développe en im­pé­ria­lisme et en ri­va­lités in­ter­im­pé­riales. Dans cette pers­pec­tive, la na­ture ex­pan­sive du ca­pi­ta­lisme at­teint vite les li­mites de dé­ve­lop­pe­ment pos­sible dans chaque État, et sus­cite des pres­sions por­tant ces der­niers à conquérir de nou­veaux es­paces. Cela pro­voque des conflits in­ter­na­tio­naux et des guerres (voir le texte de Radhika Desai qui évoque ces approches).



De­puis lors, le ca­pi­ta­lisme a évolué. Ca­pital fi­nan­cier (al­liance du ca­pital bancaire et in­dus­triel selon Hil­fer­ding), il est de­venu ca­pi­ta­lisme « fi­nan­cia­risé » dans le­quel la re­pro­duc­tion de la lo­gique d’ensemble du sys­tème, bien qu’ayant ab­so­lu­ment be­soin de la pro­tec­tion et du sou­tien des États, se dé­ploie à tra­vers des flux continus de mar­chan­dises et de ca­pi­taux qui tra­versent les fron­tières, bien sou­vent en de­meu­rant hors de la portée des États. Da­van­tage qu’il y a cent ans, le défi de com­prendre l’interaction des di­men­sions éco­no­miques et po­li­tiques ap­pa­raît comme un vé­ri­table casse-tête dont le nombre de pièces est dédoublé par la né­ces­sité d’intégrer éga­le­ment les di­men­sions cultu­relle et idéolo­gique à l’analyse du pro­blème. Il ap­pa­raît donc né­ces­saire de pré­senter plu­sieurs ap­proches concur­rentes qui sont au cœur des dé­bats ac­tuels pour permettre de mieux les évaluer.



Quelques pers­pec­tives



Pour mieux saisir ces ten­sions entre la do­mi­na­tion des États-Unis et les contre-tendances à la frag­men­ta­tion de l’empire d’une part, et entre la do­mi­na­tion écono­mique et mi­li­taire d’autre part, il peut être utile de re­grouper les différentes pers­pec­tives pré­sen­tées ici en quelques cou­rants. Selon un pre­mier cou­rant, ins­piré par l’approche po­stim­pé­ria­liste de Hardt et Negri, il n’y au­rait plus de ri­va­lités in­ter­im­pé­riales comme au temps de la Pre­mière Guerre mondiale, mais plutôt une im­mense en­tité qu’ils ap­pellent l’Empire. Ce der­nier, n’étant pas or­ga­nisé au­tour d’un État, se­rait plutôt mû par une dy­na­mique déterri­to­ria­lisée et dé­cen­tra­lisée, à la fois plus dif­fuse et plus pro­fonde. La souve­rai­neté se­rait dis­sé­minée dans des ré­seaux sans sommet, mais main­tenue et animée par un tissu de di­ri­geants : riches PDG, chefs d’État et tech­no­crates d’institutions in­ter­na­tio­nales (voir le texte de Co­lette St-Hilaire). En se recentrant au­tour d’une pers­pec­tive éco­no­mique, ce cou­rant n’identifie plus l’impérialisme comme étant le fait des États, mais plutôt comme étant celui des cor­po­ra­tions trans­na­tio­nales qui dictent leurs règles aux États par des traités inter­na­tio­naux qui conso­lident leur hé­gé­monie (voir le texte de Mi­chel Husson). Cette dé­ter­ri­to­ria­li­sa­tion trou­ve­rait éga­le­ment son ex­pres­sion dans la façon dont sont me­nées les guerres contem­po­raines. Avec la pro­li­fé­ra­tion des drones, les guerres ne sont plus fixées dans le temps et l’espace comme à l’époque des tranchées. Elles se dé­roulent en continu et un peu n’importe où, dans un champ de ba­taille glo­ba­lisé dans le­quel les sol­dats du camp do­mi­nant sont in­atteignables (voir le texte de Sté­phane Cha­li­four et de Ju­dith Trudeau).



Selon une se­conde pers­pec­tive, l’État n’aurait, au contraire, rien perdu de son im­por­tance. Da­van­tage en­core, l’empire dis­po­se­rait plus que ja­mais d’un sommet, les États-Unis, qui as­sume le far­deau de gérer le ca­pi­ta­lisme global tout en cher­chant à y as­surer la po­si­tion do­mi­nante de ses cor­po­ra­tions (voir le texte de Leo Pa­nitch). Cette po­si­tion de ges­tion­naire du ca­pi­ta­lisme mon­dia­lisé n’est tou­te­fois pas di­rec­te­ment liée à la do­mi­na­tion mi­li­taire qu’exerce ce pays ; elle ré­pond plutôt à une lo­gique d’expansion ter­ri­to­riale (voir le texte de Maya Pal). Malgré leurs nom­breux points de contact, ces deux lo­giques doivent être comprises comme étant au­to­nomes l’une de l’autre.



Cette do­mi­na­tion des États-Unis pour­rait n’être que pas­sa­gère, et y ac­corder trop d’importance ris­que­rait, comme l’arbre, de dis­si­muler la forêt tout en­tière. C’est ce que sug­gère une troi­sième ap­proche selon la­quelle la po­si­tion des États-Unis de­puis la fin de la guerre froide n’est qu’une si­tua­tion tem­po­raire ré­sul­tant du dé­ve­lop­pe­ment in­égal et com­biné du ca­pi­ta­lisme (voir le texte de Nancy Tur­geon). Les ri­va­lités qui en dé­coulent ne pour­ront faire au­tre­ment que de pro­vo­quer l’émergence d’un nou­veau centre, di­ri­geant le camp im­pé­ria­liste reconfiguré.



Fi­na­le­ment, il n’est pas dit que l’impérialisme soit le meilleur concept pour saisir ce qui est en jeu aujourd’hui. Il y a en effet une pour­suite de dy­na­miques co­lo­niales (voir le texte de Pierre Beaudet), tant in­ter­na­tio­nales qu’entre dif­fé­rentes na­tions au sein d’un même pays, où l’éradication d’une culture fait partie in­té­grante du pro­gramme, que ce soit en Haïti (voir le texte de De­nyse Côté) ou au Ca­nada. Alors, la pour­suite du co­lo­nia­lisme, ou son re­nou­vel­le­ment par le néo­co­lo­nia­lisme, pour­raient être des concepts plus adé­quats pour saisir les visées dominatrices.



Im­pé­ria­lisme canadien



Le Ca­nada est aussi concerné par la pro­blé­ma­tique de l’impérialisme. Cet allié su­bal­terne des États-Unis est un maillon de la chaîne. Membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (l’OTAN), puis­sance (avec un petit p) ac­tive sur di­vers fronts di­plo­ma­tiques, mi­li­taires et éco­no­miques, l’État ca­na­dien par­ti­cipe à la construc­tion d’un dis­po­sitif de contrôle tou­jours sous ten­sion. L’impérialisme ca­na­dien par ailleurs ne peut être com­pris sans que ne soit prise en consi­dé­ra­tion la conquête co­lo­niale du ter­ri­toire ca­na­dien, ha­bité par différents peuples qui ont été soumis ou sub­ju­gués. Aujourd’hui sous gou­verne néo­con­ser­va­trice, l’État ca­na­dien se pro­pose de de­venir une des têtes de pont des nou­velles aven­tures im­pé­ria­listes des États-Unis (voir le texte de Do­nald Cuc­cio­letta). Cher­chant à de­venir une su­per­puis­sance éner­gé­tique, il mul­ti­plie les pra­tiques pré­da­trices dans le Sud global (voir le texte de Pierre Beaulne), mais éga­le­ment ici, no­tam­ment contre les po­pu­la­tions au­toch­tones (voir le texte de Jen Preston). Les do­mi­nants tentent alors de jus­ti­fier leur ac­tion en s’engageant dans une soi-disant ba­taille des idées, agi­tant le danger is­la­miste, an­non­çant le péril chi­nois, bran­dis­sant la me­nace d’une in­va­sion des ré­fu­giéEs, etc.



Nou­velles confron­ta­tions, nou­velles résistances



Un pro­fond ma­laise s’exprime aujourd’hui tant à l’endroit de l’impérialisme que du ca­pi­ta­lisme, qui ne pro­fitent ja­mais vrai­ment qu’au 1 %. La crise environnemen­tale, consé­quence d’un pro­cessus d’accumulation in­sa­tiable qui dé­truit la Terre, ap­pa­raît de plus en plus comme le cœur des ré­sis­tances. Elle sur­vient après le ressac qui a suc­cédé à des an­nées de luttes al­ter­mon­dia­listes contre la for­ti­fi­ca­tion du grand marché ca­pi­ta­liste mon­dial à tra­vers les traités de libre-échange (voir le texte de Na­thalie Guay et Ju­lien La­flamme). Par ailleurs, les ma­ni­fes­ta­tions mon­diales contre l’invasion de l’Irak en 2003, bien qu’elles aient fait partie des plus im­por­tantes ma­ni­fes­ta­tions in­ter­na­tio­nales contre l’impérialisme, n’ont pas réussi à freiner cette guerre dont les consé­quences dé­sas­treuses n’ont ce­pen­dant pas livré les fruits at­tendus par l’empire (voir le texte de Mi­chael Hen­nessy Pi­card). En pa­ral­lèle, la vague latino-américaine vers la gauche in­dique que l’extension de la do­mi­na­tion im­pé­riale ne se fait pas sans résis­tances im­por­tantes, bien que le ca­pi­ta­lisme soit loin d’être dé­passé (voir le texte de Thomas Chiasson-LeBel). D’autres luttes qui s’expriment sous le dra­peau de l’identité com­mu­nau­taire ou re­li­gieuse ap­pro­fon­dissent éga­le­ment les frac­tures qui tra­versent notre monde (voir le texte de Mi­chel Warschawski).



À l’heure où se ma­ni­feste à nou­veau l’engagement bel­li­queux ca­na­dien et où la ré­cente crise éco­no­mique ne trouve pas de so­lu­tion, ce por­trait com­plexe et contro­versé de l’impérialisme vise à ali­menter le débat au­tour de cet enjeu essen­tiel, sans pré­tendre cou­vrir tout le ter­rain. Contre le nouvel im­pé­ria­lisme, nous pa­rions sur la so­li­da­rité de ceux et celles d’en bas contre les do­mi­nants d’où qu’ils soient. Ces guerres et crises pé­rio­diques viennent nous rap­peler que la do­mi­na­tion ne se dé­roule pas uni­que­ment, ni peut-être même prin­ci­pa­le­ment, à l’intérieur des fron­tières, et que la so­li­da­rité pour y ré­pondre doit s’internationaliser.



Compte-tenu de la diversité des textes et analyses, je me limite à quelques points abordés, pour illustrer principalement un élément mis en avant dans l’introduction : « Davantage qu’il y a cent ans, le défi de com­prendre l’interaction des di­men­sions économiques et po­li­tiques ap­pa­raît comme un vé­ri­table casse-tête dont le nombre de pièces est dédoublé par la né­ces­sité d’intégrer éga­le­ment les dimensions cultu­relle et idéolo­gique à l’analyse du pro­blème. Il ap­pa­raît donc né­ces­saire de pré­senter plu­sieurs ap­proches concur­rentes qui sont au cœur des dé­bats ac­tuels pour permettre de mieux les évaluer ».



Partie I : Enjeux contemporains



Michel Husson revient de manière synthétique sur les analyses « marxistes » de l’impérialisme et souligne que « la question qui se pose est de bien comprendre le mode de fonctionnement du capitalisme à un stade particulier de son histoire ». Il parle, entre autres, de l’économie monde, du développement inégal et combiné, des théories de la dépendance, des processus d’industrialisation des années 60, du rôle excessif accordé à la sphère de circulation, de grand basculement… Il souligne que « L’économie mondiale est aujourd’hui structurée par un maillage complexe de capitaux qui définit ce qu’on appelle des « chaines globales de valeur ». », l’organisation de la production à cheval sur plusieurs pays, les interconnexions entre multinationales et la très forte concentration « 147 multinationales possèdent 40% de la valeur économique et financière de toutes les multinationales du monde entier », l’impressionnant dynamisme du capitalisme dans les pays émergents, les géographies « discordantes » entre firmes multinationales et Etats… Il parle aussi de « double régulation contradictoire », du ballotage « entre une concurrence exacerbée et la nécessité de reproduire un cadre de fonctionnement commun », de « configuration instable »…



Je signale notamment, en prolongement du livre de Grégoire Chamayou : Théorie du drone, un-regime-de-violence-militaire-a-pretention-humanitaire/, l’article de Stéphane Chalifour et Judith Trudeau « Proies et prédateurs. Guerre et paix au temps des drones ». Les auteur-e-s insistent sur « le caractère massif et systématique d’une logique meurtrière soumise désormais aux impératifs du progrès et de la modernité ». Elle et il parlent d’industrie de « massacre routinier », de la mobilisation inédite de millions de civils enrégimentés, de complexification des conflits internationaux, de remise en cause du « concept même de guerre », des drones, « la violence des drones a ceci de particulier qu’elle n’a pas d’unité de lieu, les machines étant assujetties à une logique opérationnelle qui métamorphose le principe des frontières », de robotique létale, de pouvoir invasif, de « forme explicite d’un droit à l’exécution extrajudiciaire étendu au monde entier », de différentiation difficile « entre combattants et non-combattants », du problème de la responsabilité largement brouillée par ces technologies insidieuses…



J’indique aussi d’autres points analysés, les traités permettant le contournement des législations sur l’environnement, la privatisation de la guerre et de la reconstruction en Irak, l’imaginaire néocolonial en Haïti (en complément possible : Frédéric Thomas : L’échec humanitaire. Le cas haïtien et Sophie Perchellet : Haïti. Entre colonisation dette et domination)

Partie II : Histoire et théorie



Leo Panitch parle, entre autres, de « cette restructuration spatiale et sociale du capitalisme a produit une expansion massive du prolétariat », des changements législatifs et administratifs, de la libéralisation des marchés de capitaux, de « transformation radicale et démocratique de l’Etat »…



Nancy Turgeon revient sur le concept de développement inégal et combiné, potentiellement « anti-eurocentriste », sur le système interétatique, la territorialisation contradictoire, les ordres régionaux et mondiaux, la compétition et la coopération…



Maïa Pal souligne certaines analyses de David Harvey, les « réalités stratégiques expansionnistes de leur empire sous le couvert d’un universalisme politique et juridique soi-disant libérateur », les tensions historiques entre « finalité du processus d’accumulation » et « contingences propres à l’exercice du pouvoir politique », les aménagements spatio-temporels, l’accumulation par dépossession… « toute forme de résistance anticapitaliste doit se construire en connaissance de ces aménagements spatio-temporels ». (en complément possible, de David Harvey : Géographie et capital. Vers un matérialisme historico-géographique, Géographie de la domination, Le nouvel impérialisme.

Partie III: Résistances



Dans cette partie, les auteur-e-s parlent des expériences en Amérique du Sud, du talon d’Achille que représente l’extractivisme, (voir, entre autres, le récent livre de Nicolas Sersiron : Dette et extractivisme : La résistible ascension d’un duo destructeur) , de la « guerre sans fin », des traités commerciaux, de la gauche devant le colonialisme, du militarisme canadien…



J’ai aussi notamment apprécié l’articles sur les minières et l’Etat canadien (le titre de cette note est extrait de cet article).

Je garde une perle pour la fin. Radhika Desai finit son article par cette phrase : « N’est-il pas frappant de constater que le pays qui connaît l’expérience la plus forte de développement combiné de notre époque soit le seul qui demeure, nominalement, et peut-être même substantiellement communiste ? ». Faute de pouvoir lire au troisième degré, j’en garde encore un fort frisson d’épouvante, « substantiellement communiste » avez-vous dit ?



Nous n’en avons pas fini avec les théories assassines de l’auto-gouvernement, de l’auto-organisation, de l’autogestion, de l’émancipation…


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Ecosocialisme ou barbarie !

Je choisis pour commencer quelques citations du texte d’introduction de Richard Poulin



« Le système capitaliste de production pollue à grande échelle et en profondeur. Les écosystèmes sont fragilisés, certains sont définitivement morts. La déforestation se poursuit pour produire notamment des agrocarburants ‘verts’, largement subventionnés, qui ont des effets sociaux tout aussi destructeurs que leurs conséquences sur les écosystèmes. Surtout, toutes ces activités se conjuguent dans un processus cumulatif d’effet de serre que l’humanité ne peut empêcher, mais seulement espérer amoindrir. A la condition toutefois de remettre rapidement en cause la logique même de l’accumulation du capital et de transformer radicalement notre monde. »



« L’image du vaisseau-Terre dont nous serions tous passagers, donc interdépendants et coresponsables, partageant une communauté d’intérêts face à notre avenir commun, masque la réalité des antagonismes sociaux. Les effets de la pollution ont des impacts diversifiés sur les communautés humaines, poussant à leur paroxysme les conflits sociaux. »



« Il s’agit donc :



de substituer à la croissance quantitative du capitalisme et à sa logique d’accumulation une autre logique que l’on pourrait nommer croissance qualitative, laquelle implique une importante décroissance quantitative avant tout dans les pays capitalistes dominants ;



de changer radicalement la répartition de la richesse. L’écart est gigantesque en ce qui concerne la répartition de la richesses mondiale, puisque 2% de l’humanité détient 50% du patrimoine des ménages tandis que 50% de l’humanité n’en détient que 1%. »



L’auteur montre comment la logique même du capital engendre la suraccumulation de marchandises et les crises écologiques. Il y oppose une autre orientation et surtout une autre gestion de la société : l’extension de la démocratie. Au règne abstrait de la valeur (échange) il convient d’affirmer les valeurs d’usage pour satisfaire les besoins de l’ensemble des populations.

Le dossier est divisé en 5 parties :



« Regards théoriques et historiques : socialisme à l’écosocialisme »



« La nécessaire transition »



« Les verts »



« Des enjeux »



« Bilan de luttes »



Quelques textes « Perspectives » complètent ce riche numéro.



Je m’en tiendrais à une partie des « Regards théoriques et historiques ». L’article d’Andrea Levy « Plus d’éco à gauche » analyse différents auteurs (Enzensberger, O’Connor, John Bllamy Foster ou Joel Kovel) et en met certains en « confrontation avec Marx et Engels », ce qui permet de mesurer les écarts et les points de vue. Ces analyses peuvent être mises en regard du texte de Joel Kovel « Cinq thèses sur l’écosocialisme ».



J’ai particulièrement apprécié l’article de Daniel Tanuro « Les fondements d’une stratégie écosocialisme » et ses pistes de réflexion autour de la gratuité des biens de base et de la réduction radicale du temps de travail.



Trois extraits :



« Ce n’est pas la nature qui est en crise, mais la relation historiquement déterminée entre l’humanité et son environnent »



« les différences qualitatives sont décisives à l’élaboration des stratégies écologiques adéquates, dans lesquelles les moyens mis en œuvre sont cohérents avec la fin – le passage sans casse sociale à un système énergétique économe et décentralisé, basé uniquement sur les sources renouvelables »



« Le changement des rapports de production ne constitue que la condition nécessaire – mais non suffisante – d’un changement social extrêmement profond, impliquant la modification substantielle des modes sociaux de consommation et de mobilité » sans oublier la profonde transformation des rapports entre les femmes et les hommes.



Une invitation à débattre réellement des nouvelles contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les politiques d’émancipation, d’autant qu’il possible que Daniel Tanuro ait raison et que « le développement des forces productives matérielles ait commencé à nous éloigner objectivement d’une alternative socialiste ».



En complément possible :

Daniel Tanuro : L’impossible capitalisme vert (Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, Paris 2010)

Michael Löwy : Ecosocialisme. L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste (Les petits libres, Mille et une nuits, Paris 2011 )

Cahiers de l’émancipation : Pistes pour un anticapitalisme vert. Coordination Vincent Gay (Editions Syllepse, Paris 2010)
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Nouveaux Cahiers du socialisme N°4 : Luttes..

« Le discours dominant occulte l’oppression et ses violences sous le couvert de valeurs dites universelles, mais qui s’avèrent masculines ». Francine Descarries et Richard Poulin reviennent sur les écrits de Marx et d’Engels. Tout en signalant la pertinence de leur compréhension de l’oppression des femmes (contrairement à leurs épigones ), elle et il montrent les limites de leurs analyses et en particulier sur la thèse d’une séparation tranchée entre sphère de la production et celle de la reproduction « alors même que toutes les formations sociales connues dans l’histoire ont bénéficié de la force de travail des femmes des classes subordonnées dans la production ». Beaucoup de marxistes ont « minoré l’oppression des femmes au nom de l’unité du prolétariat ou de modèles socialiste irréellement existants ».



Elle et il posent un certains nombre de point d’appui pour approfondir « les liens entre classes, castes, ethnies, et rapport sociaux de sexe ».



Dans la première partie sur les « Enjeux théoriques et politiques », les auteures (Catherine A. MacKinnon puis Sheila Jeffreys) reviennent sur les théorisations des « marxistes » et des « féministes radicales ». Ce travail en profondeur amène à des critiques virulentes entre autres contre la « postmodernité », « le queer » ou ce que j’appellerais les théories partant de la marge. Sur critique féministe matérialiste à la théorie queer, je rappelle l’entretien avec Léo Thiers-Vidal http://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-2-page-44.htm



Je partage avec les auteures la nécessité de fonder matériellement les réalités et les oppressions, de balayer les scories des théories de l’émancipation, sans pour autant dénier la nécessité d’aller à la racine des choses. Cependant les théorisations à partir des marges offrent des éclairages complémentaires, des incitations à ne pas faire l’impasse sur certains domaines, pour autant qu’elles ne s’octroient pas une prétention à être de nouveaux paradigmes.



Mélissa Blais et Isabelle Courcy rouvrent le débat entre marxistes et féministes matérialistes radicales autour du travail domestique « ”Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? ” Dialogue entre Delphy, Marx et les marxistes » Il s’agit de comprendre « les mécanismes complexes de l’extorsion des forces de travail des femmes dans la famille et le marché » ou « de rendre visible un système qui se perpétue grâce à son invisibilité »



Les positions des marxistes autour de la non valeur marchande du travail domestique me semblent très insuffisantes, même si je ne suis pas convaincu par les analyses de Christine Delphy. Les rapports de production capitalistes ne s’arrêtent pas à la porte du foyer. Il n’y a pas de stricte délimitation entre production de valeur d’usage et production de valeur (marché). Le travail gratuit des femmes, dans ce qui est mal nommée la sphère domestique, concoure directement à l’entretien de la force de travail des hommes. Et plus que cela même : « La cohabitation hétérosexuelle signifie un surcroît de travail pour les femmes et, au contraire, une diminution de travail pour les hommes »



Quoiqu’il en soit, il me paraît important de revenir sur ces débats. Peut-être pourrait-on partir des analyses de Danielle Kergoat qui propose de « penser les rapports sociaux comme étant consubstantiels, parce qu’ils peuvent être séquencés et coextensifs, autant qu’ils se produisent et se reproduisent mutuellement. »



J’ai beaucoup apprécié le texte de Patrizia Romito « Du silence au bruit : l’occultation des violences masculines contre les femmes », dont j’extrais juste trois citations :



■« Jamais on ne parle de ‘violence masculine‘ préférant utiliser des termes génériques comme ‘violence envers les femmes‘ ou des euphémismes comme ‘gender based violence‘. »



■« le racisme comme moyen d’occultation et l’attaque contre les victimes »



■« En définissant le fait d’être victime comme un état psychologique, une faiblesse de la victime même, et non comme une condition objective qui peut durer plus ou moins longtemps, le discours antivictime contribue à nier la violence masculine et l’injustice sociale qu’elle représente et à délégitimer et à désamorcer les revendications des femmes qui ont subi des violences. Ainsi, il devient de plus en plus difficile d’affronter et de contrer la violence des hommes à l’égard des femmes et des enfants, et le système social qui la perpétue. »



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