Si je devais décrire ce qui se passa ensuite sous le sceau du serment, devant des tiers et en courant le risque d'être condamné pour faux témoignage, je crois bien que je resterais silencieux. Personne n'aime passer pour un imbécile, et je me suis souvent demandé depuis cette nuit-là si cet « enfant d'Isis » ne m'avait pas fait jouer le rôle d'un imbécile. Le ciel m'est témoin que son numéro fut des plus convaincants, mais plus le temps passe et plus je suis conduit à me demander si ce n'était justement pas cela : un simple numéro, une illusion presque surhumaine dans son exécution, mais rien qu'une illusion. S'il s'agissait d'autre chose, alors vraiment : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n'en rêve notre philosophie. » Cette seule hypothèse ouvre des horizons redoutables à contempler pour un esprit sensé.
Mais, puisque je n'ai pas prêté serment et n'ai pas à redouter les foudres de la justice, voici ce qui sembla se passer.
J'essaie de garder une attitude ouverte vis-à-vis du surnaturel. Je crois sans hésiter que tout est possible : j'ai vu se réaliser trop de choses réputées impossibles. Et je doute que nos connaissances soient universelles : nos plus lointains ancêtres savaient probablement bien plus de choses que nous sur certains sujets. Toutes les légendes ne peuvent pas être des mensonges.
Les hommes du passé prétendaient pouvoir accomplir des prouesses dont nous sommes incapables, aussi affirmons-nous que leurs prétentions sont autant de mensonges. Mais ce n'est pas si sûr.
Aussi, après avoir avalé en hâte une bouchée, je me rendis dans mon laboratoire pour y ourdir un meurtre, un meurtre légal, un meurtre sur la plus grande échelle que l'on ait jamais vue. J'étais sur le point d'élaborer une arme grâce à laquelle une guerre ne serait pas réglée en une seule offensive mais en une seule demi-heure. Et je me garderais bien d'ailleurs d'en équiper une armée : il suffirait qu'un seul individu, deux ou trois au plus, en possession de ma future arme se placent à moins d'un kilomètre du régiment le plus discipliné jamais engagé sur un champ de bataille, et pouf ! En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils auraient devant eux une troupe de cadavres. Si les armes de précision, destinées à tuer, sont faites pour préserver la paix (et il serait stupide de prétendre le contraire!), alors j'étais sur le point de découvrir le plus grand outil pour la paix jamais conçu.
Ce qu'il s'est passé, s'il s'est bien passé quelque chose, nous ne pouvons que le supposer; plus nous avançons dans cette enquête, plus les événements nous apparaissent comme inexplicables.
Et comme Hextall n'est pas un policier borné et imbu de lui-même, il déclare peu après :
Mais si les faits sont bien tels que vous les avez décrits, l'objectif de cette manœuvre nous échappe encore. Il se pourrait bien que j'ai pris cette affaire par le mauvais bout.
- Oui, Mr Lindon. Papa. Nous nous sommes presque disputés. Papa m'a dit des choses étonnantes, mais j'en ai l'habitude : il est comme ça. C'est le meilleur des pères, mais, comme tous les Conservateurs, il se méfie un peu des gens intelligents. J'ai toujours pensé que c'était pour ça qu'il vous aimait bien.
- Je vous remercie. C'est sans doute la raison de son amitié, bien que je n'y aie jamais pensé. »