Voyage au bout de l'enfer du RER avec Richard Millet. Il présente son dernier ouvrage, "Paris bas-ventre. le RER comme principe évacuateur du peuple français", aux éditions de la Nouvelle Librairie sur notre site le 27 mai 2021
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On m'avait assez répété que j'étais laid : il me fallait le devenir, et j'avais, à quinze ans, assez de jugeote pour deviner que tout se jouerait dans le domaine amoureux, à tout le moins sexuel, puisque, je le savais déjà, j'étais de ceux à qui l'amour est refusé, et qui par conséquent, doivent séparer ce sentiment du désir qui en est la dimension incendiaire, et consolatrice.

La mésaventure subie par Richard Millet depuis la sortie de son livre provocant sur l'exterminateur norvégien Breivik, rappelle, à ceux qui ont gardé un peu de mémoire et de morale, que le monde littéraire et artistique français s'est littéralement pâmé d'aise en toute impunité pendant une génération à la seule évocation de Florence Rey, qui a tué cinq personnes à bout portant à dix-neuf ans porte de Vincennes, au nom des idéaux anarchistes et du dégoût de la France de Pasqua.
Ce ne sont pas moins d'une trentaine d'oeuvres, toutes fascinées, certaines mêmes composées à la gloire de la jeune criminelle, qui ont envahi le marché, l'une des dernières manifestations de ce penchant morbide étant l'installation d'un artiste contemporain nommé Lévêque qui a osé représenter la France à la Biennale de Venise en 2009 avec une Ode à Florence Rey, laquelle faisait suite à un sonnet en son honneur publié par Patrick Besson dans les années 2000, où il avouait carrément son penchant pour la radicalité de la demoiselle, au mépris du sang versé et au milieu de la bienveillance générale.
Inutile de paraphraser l'ampleur de cette mobilisation artistique, on en trouvera la description circonstanciée dans un article de Wikipédia sous le titre affaire Rey-Maupin, mais il est tout de même utile d'apporter plusieurs précisions : la première est que Richard Millet s'inscrit dans une longue tradition de l'imagination littéraire qui consiste à fantasmer les mobiles de son modèle jusqu'à s'infliger le vertige à son sujet, ce qui est parfaitement légitime. Même dans la chanson "Sympathy for the Devil" des Rolling Stones ce procédé est à l'oeuvre. La deuxième précision est que la jeune Florence Rey non seulement n'est plus très jeune, mais a vu cette effervescence de l'imagination révolutionnaire parisienne la dépasser jusqu'au grotesque . Visiblement elle n'est plus dans le même bateau que Saint-Germain-des-Prés au sujet de sa propre légende. Elle a passé un BTS de comptabilité et elle est sortie de prison pour accomplir des stages rémunérés, c'est dire qu'elle n'est plus tellement nostalgique de sa période rouge.
Enfin et surtout cette disparité dans l'indignation devant le crime idéologique, celui de Breivik étant réputé imprescriptible, et celui de Florence Rey à peine constitué, tend à prouver que dans notre pays la morale n'est plus symétrique. Nous nous proposons d'appliquer notre mètre-ruban partout où la chose semblera nécessaire. Par exemple dans quelques jours l'écrivain Renaud Camus sera traîné par le MRAP en correctionnelle pour avoir appelé à refuser l'islamisation de la France, mais le groupe de rap Sexion d'Assaut a pu déclarer il y a deux ans que les homosexuels n'étaient pas halal, a appelé à les mutiler, à les tuer et abandonner leur cadavres au bord des routes, sans jamais être inquiétés par la justice. Il faut revenir d'urgence au mètre-étalon et saisir le bureau des poids et mesures. L'indignation médiatique à la tête du client c'est le début de la tyrannie.
Christian Combaz, Atlantico, 31 août 2012.
... comme aujourd'hui les livres, la musique, quelques tableaux, certains films, et bien sûr la présence, même lointaine des femmes, me consolent de ne pas avoir rencontré les merveilles que j'attendais de l'âge adulte, même si j'ai compris que la merveille réside surtout dans notre capacité à n'attendre rien de ce qu'on appelle l'existence pour mieux accueillir ce qui vient.

POST-LITTÉRATURE
Venons-en à votre dernier livre, "Déchristianisation de la littérature". Vous parlez de «post-littérature». Qu’entendez-vous par là ?
C’est une littérature asservie à un modèle romanesque international, tout comme il y a un hamburger ou un kebab international. Un roman à dominante anglo-saxonne, dépourvu de style, même de langue, formaté pour sa version filmique, un lectorat « cool », forcément politiquement correct. Le roman étant devenu le genre hégémonique, tout ce qui n’en relève pas n’appartient plus, commercialement, à ce qu’on appelle encore la littérature. Il me semblait intéressant de trouver un terme un peu plus percutant pour désigner cette production qui est au-delà du postmoderne même : la post-littérature, comme il y a une post-histoire. On me l’a reproché, bien sûr. Dans "Langue fantôme", je nommais quelques grandes têtes molles, comme Le Clézio, en montrant notamment que la phrase de ce prix Nobel était du spaghetti tiédasse. On s’en est servi pour me faire payer ce que j’avais déjà dit, en 2010, dans "l’Enfer du roman", à savoir qu’il n’y a presque plus de littérature en France, et que ce qui se publie relève en général de la fausse monnaie. Je devenais un traître ; s’en est suivi ce que vous savez : idéologisation de mes remarques, tribune d’Annie Ernaux dans le Monde, accompagnée d’une pétition signée d’une centaine de noms, démission du comité de lecture de Gallimard, opprobre, mort sociale, etc.
Entretien accordé à Artpress, 2018.
Comme la plupart des hommes j'ai raté ma vie sexuelle.
Celui qui se découvre laid, surtout un enfant, est voué à se sentir coupable et à chercher jusqu'à la fin une absolution qui ne viendra pas. Il expiera aussi ce dont il est innocent. C'est une des formes les plus terribles du péché originel, ou, pour reprendre le vocabulaire des athées, de l'injustice. (Gallimard, collection blanche, 2005 / p.37)
D'un point de vue animal, qui serait indigné par la disparition de l'espèce humaine ? Pourquoi préserver à tout prix ce qui n'est perpétuellement occupé que de sa conservation, au prix de la destruction de la nature, des animaux, des autres humains ? Sommes-nous bien certains que nous nous regretterions nous-mêmes ?

Et je veux croire que sans le sentiment d'étrangeté suscité par ce que, évident ou crypté, tout nom propre contient de fatal ou de favorable, sans cette relation rêveuse que j'ai très tôt entretenue avec eux, je n'aurais sans doute pas noué avec les deux langues dans lesquelles j'ai vu le jour, le français et ce dialecte qu'on appelait patois et qui était un des ultimes rameaux de la langue limousine, le rapport de consanguinité à la fois impossible et heureux par quoi, dépassant tout conflit linguistique, je sortirais de ma condition et du drame dans lequel je ne voyais pas que je m'enfonçais, pour devenir un jour écrivain et tenter, à ma façon, d'empêcher tout un monde de sombrer dans l'oubli ou d'en accompagner la fin, aujourd'hui que le patois est mort et le français à l'agonie - du moins le français savoureux, truffé de régionalismes alertes, arc-bouté sur une syntaxe forte et parfois non dénuée d'élégance, que parlaient les gens des hautes terres et qui leur venait autant des instituteurs et des prêtres que de leur mère et de leur père et du sentiment qu'une langue possède un corps et que ce corps, comme celui des humains, est un objet d'amour et de souffrance, de respect et de haine, la condition du salut et aussi de la perte.
j’ai vu des femmes sans beauté devenir presque jolies, du moins radieuses, au début de leur amour, fut-il désespéré, encore que le bonheur leur prêtât quelque chose de stupide, et que l’espèce de beauté qu’on peut leur trouver à ce moment ressemblât surtout à la paix rayonnante que donne au visage la satisfaction sexuelle qui délivre le visage de toute tension ou angoisse, et fait qu’on peut, à la terrasse d’un café, s’amuser à repérer dans la rue les femmes qui sortent des bras de leur amant, à la fin de l’après-midi, avec, pour quelques-uns, serrée dans leur ventre, comme le témoignage de leur amour, la semence de l’amant, certaines m’ayant dit n’éprouver pas de plus grand délice que de la sentir couler d’elles, peu à peu, dans la rue, au moment où elles sentent sur elles tant de regards inconnus.
Ce n’était pas un amour comme les autres : il ne faisait appel à presque rien de ce qui lie d’ordinaire un homme et une femme, sentimentalité, jalousie, méfiance, lutte pour la dévoration de l’autre, mutité traversé d’éclairs bavards. Cet amour ne se pliait pas non plus au temps commun qu’à l’ordinaire de la passion, un amour non vulgaire, obéissant aux conditions climatiques autant qu’aux variations de l’humeur et du désir, au goût que nous avions des arrière-saisons, des crépuscules, d’un langage élégant auquel elle me contraignait avec douceur (moi qui, comme tant de musiciens, parle un français familier, voire grossier, puisque mon vrai langage est la musique, c’est-à-dire la possibilité, le luxe de se passer des mots). Goût de l’écart, aussi, du rare, de l’intempestif, de la solitude.