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Critiques de Robert Antelme (30)
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L'Espèce humaine

Chroniquer une telle œuvre, quelle gageure...

Si j'ai osé mettre une note, c'est pour saluer l'écriture de ce texte. Écriture qu' Edgar Morin, ami de Robert Antelme, décrit bien mieux que je ne saurai le faire...

" L’Espèce humaine a un caractère unique, inouï. C’est un chef-d’œuvre de littérature débarrassé de toute littérature, c’est un document où les mots disent toute la richesse de l’expérience vécue. C’est une œuvre dont la pure simplicité procède du sentiment profond de la complexité humaine, car Antelme n’a jamais perdu la conscience que le bourreau qui veut retirer la qualité d’homme à sa victime est lui-même un être humain. C’est une œuvre sans haine, d’infinie compassion comme seuls les ressentent les grands Russes."



Quant au fond, au sens de ces mots, aux images qu'ils donnent à voir, qu'en dire? Tout est dans le titre: l'Espèce humaine. Il me faut tenter une approche éthologique pour esquisser une résolution à l'énigme posée par Robert Antelme. Quelles spécificités derrière cette expression pour qualifier l'humanité ?



Le visage? La figure? Non. Là bas, les visages étaient gommés, poncés, détruits par la faim, les coups, la peur. Tous gris, crânes identiques et tondus, mêmes yeux caves et enfoncés jusqu'au ventre, le nez vainqueur d'une surface plate faite de peau et d'os.



Le rire? S'il survenait parfois, c'était au détriment de joues creuses, d'une mâchoire tombante, d'une langue épuisée de soif. Rire était un exploit, une pirouette, un artifice, un théâtre. Il ne nous dit rien de l'Homme.



Le libre arbitre? Même pas. La faim est plus forte que le choix de vivre ou de mourir, elle emporte dignité et philosophie dans des torrents de "chiasse" que les tripes expulsent .



La spiritualité ? Effacée, balayée par l'obstination à vivre qui obère l'idée même d'un paradis pour les croyants ou d'une quelconque transcendance pour les autres.



Ecrit en 1947, deux petites années après le retour de Buchenwald et de Dachau, ce livre est à la fois d'une beauté insoutenable et d'une lucidité démoniaque. Il dépucèle les plus naïfs, il balaie d'un revers de larmes les illusions d'une supériorité sur le Mal. Ce dernier est insondable, abyssal, indestructible. Mais ce texte prouve aussi que l'Homme dans son infinie petitesse, peut se relever et tenter de circonscrire ce lieu, ce temps où une partie de l'humanité a voulu en déchoir une autre. En ce sens, il nous raconte une victoire éclatante.
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L'Espèce humaine

Parmi les quelques livres que j'ai pu lire sur ce sujet si sensible, L'Espèce Humaine a été pour moi le témoignage le plus fort.... Antelme réussi, à l'intérieur même du camp, à transfigurer l'horreur du réel. Sa lucidité l'amène à constater que le bourreau, le SS, est, tout comme le déporté, à l'intérieur des barbelés. Aussi, l'art, ici le théâtre, a la capacité de rendre plus fort, et d'affronter ce qui reste de la vie.... L'homme tient debout, dans la plus grande nudité et dans la plus grande douleur....telle est la force de ce témoignage monumental et époustouflant.... venant du communiste le grand Robert Antelme.
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L'Espèce humaine

Je commence à avoir lu pas mal de récits de retours de camps (en français). Mais celui-ci se classe un peu à part. Déjà, parce que Robert Antelme ne passe pas sa déportation dans un camp, mais dans un Kommando (groupe de travail) dépendant d'une usine (des déportés esclavagisés par l'industrie guerrière nazie). Ce Kommando vient de Buchenwald mais celui-ci, le lecteur ne saura rien (ou si peu). Et cela à son importance : ici, ce sont les détenus de droit commun qui dirigent et font régner la loi parmi les déportés et non pas les politiques (communistes, résistants, objecteurs d conscience) et cela change toute la dynamique. Pas ou peu de solidarité, d'entraide, pas de nouvelles de l'extérieur, de réseau qui évite le travail forcé... L'avilissement dans toute sa hideur. Et cet avilissement, Antelme le décrit très bien, notamment par les changements corporels ; je crois n'avoir jamais lu autant sur le corps des détenus et notamment sur leurs jambes ; sans miroir, les seuls descriptions de visages sont celles des autres. Il est bien conscient que le visage des autres, c'est aussi le sien...

Ce qui est remarquable aussi, c'est la distanciation qu'il est capable de faire si peu de temps après être rentré de déportation et s'être remis physiquement. Il a été capable d'analyser son vécu, le fonctionnement du camp et la psyché de ceux qui les gardaient, SS et Kapos.

Alors, oui ce n'était pas facile de rentrer dans l'écriture, plus que pour d'autres textes sur le même sujet. On sait que les événements racontés vont être répugnants, abjects et inimaginables pour nous, mais au-dela de cela, si l'on s'accroche, c'est presque une réflexion sur la place de chacun, sur les limites de la déshumanisation et de la place du vainqueur dans l'avilissement programmé : SS et déportés appartiennent tous les 2 à la même espèce humaine, où chacun est le reflet de l'autre. Les SS le nient, le déporté le leur jette à la figure...
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L'Espèce humaine

Remarquable. Robert Antelme nous raconte son expérience des camps dans les moindres détails et dans l'ordre chronologique. Il n'omet rien de ce que ce qu'il a vécu et que sa mémoire a retenu (livre paru en 1947).



Jamais, il ne se met en avant. Ce parcours, c'est le sien et celui des «copains ». Ceux qui sont logés à la même enseigne sont des « copains ». Les autres sont les kapos, les chefs de block, le cuisto, le médecin… Ceux-là ont fait le choix de passer de l'autre côté.



Robert Antelme analyse, décortique, comprend la machine à broyer.

De toute la force de son intelligence, de toute la force de son désir de transmettre, il nous l'explique. C'est psychologiquement et humainement remarquable.



Il se trouvait dans un camp satellite de Buchenwald, travaillait dans une usine fabriquant des carlingues d'avions. Puis les alliés progressent, ils sont alors emmenés par les Allemands en déroute. Finalement emmenés à Dachau. Et enfin libérés par les Américains.



Une langue, un style magnifique, de la poésie souvent. Un témoignage inoubliable. Mais il faut être prêt à le lire.

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L'Espèce humaine

Quand, il y a dix ans, L’espèce humaine a paru , nous ne savions pas qu'il serait l’un des livres importants do l’après-guerre. Sur les camps de concentration, les témoignages qui se succédaient décrivaient la même monotone horreur, et nous laissaient hébétés d'indignation. Le pourquoi et le comment de l'institution nous échappaient, jusqu'à ce que David Roussel proposât une explication sociologique dont les conséquences furent curieuses : en intégrant le phénomène « concentrationnaire » dans une histoire, une société, une politique, en rendant en somme l'horreur « compréhensible », elle nous détachait, à notre grand soulagement, de cette horreur, tandis qu’elle frappait de caducité tous les témoignages à venir qui ne se voudraient que témoignages, ils ne nous apparaîtraient plus que comme des variations individuelles sur le même insupportable thème.



Dix ans après



L'ouvrage de Robert Antelme n'était, en apparence, qu'un de ces témoignages de plus et qui n’avait pas le mérite de révéler des faits ignorés. Après la fresque à la Brueghel de David Rousset, nous étions modestement conviés à écouter la simple histoire d’un déporté (« je rapporte ici ce que j'ai vécu ») qui s'excusait à l'avance de ne pouvoir renchérir dans la peinture d'un certain pittoresque. Gandersheim était un petit camp : 500 prisonniers : « l'horreur n'y est pas gigantesque. Il n'y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire... » L’auteur ne proposait pas non plus d'explication nouvelle : implicitement, il se ralliait à l'analyse de Rousset. Il accumulait en somme contre lui les raisons que nous pouvions avoir à l'époque de ne pas trop prendre garde à ce qu'il avait à dire. D'où vient que dix ans après, dans une forme à peine retouchée et avec sa préface de 1947, L’espèce humaine s'impose comme un grand livre sur les camps, comme un grand livre, tout court ?



D'abord il bénéficie du recul apporté par les années. A propos des camps, nous ne sommes plus, hélas ! dans la stupeur. L’expérience, même pour ceux qui ne l'ont pas vécue, est devenue notre expérience, individuelle et collective, l’expérience d'une société tout entière. Elle fait partie d'une Histoire qui continue, comme l'institution elle-même continue de vivre, d'une vie torpide, dans les entrailles de nos sociétés, et se profile à l'horizon des possibles au même titre que la bombe atomique, la prochaine guerre ou la destruction en masse du genre humain. Elle est l'une des catégories admises de l'horrible. Elle nous colle à l’âme et à la peau. Elle est venue s’ajouter à toutes nos maladies chroniques. En 1917, ou pouvait croire qu'Antelme nous parlait du passé, d'un certain passé historicisé et, par là, inoffensif. En 1957 nous savons que nos vies peuvent relever un jour ou l'autre des traits permanents de sa peinture.



Et ce qui nous importe aujourd'hui, ce n'est plus l'explication sociologique du phénomène, nous l'avons comprise une fois pour toutes ; ce ne sont même pas les aspects divers que revêt ce phénomène selon les sociétés étudiées : fascisme, stalinisme, démocratie colonialiste ; c'est le phénomène lui-même, débarrassé de ses appendices historiques et sociologiques, extrait des catégories où on l'a rangé afin de le rendre explicable, réduit, puisqu'il s’agit d'une entreprise humaine, aux hommes qui la font marcher, et à ceux qu'elle broie, en sachant qu'aucun de ces hommes, bourreau ou victime, ne nous est fondamentalement étranger, et qu'avec lui nous pourrions au besoin nous identifier. C’est à ce niveau, auquel la littérature seule peut atteindre, et qui ne saurait être celui de la simple description que git l’explication fondamentale. Tout le reste, qui peut être infiniment intéressant, nous en distrait et se borne à nous occuper l'esprit, à reculer le moment de la mise en question.



L’horreur transformée en conscience



C’est alors qu’éclatent les mérites d’Antelme. Il ne raconte pas des soutenir ; il ne se livre pas à une reconstitution historique, et il ne se borne pas non plus à décrire ce qu’il a sous les yeux, comme Fabrice à Waterloo. Ce qu'il montre c'est le déporté Robert Antelme soumis à la faim, au froid, aux coups, à l'épuisement moral et physique, objet pitoyable dont la course est commandée par des volontés étrangères, des événements qui échappent à sa portée, des rencontres fortuites de circonstances (on sait que la vie et la mort tiennent à ce fortuit), tandis qu'un second personnage, qui ressemble au premier comme un frère, figure le sujet qui réfléchit l'événement et la vit en conscience. Il ne s'agit pas, à proprement parler, d’un dédoublement, mais plutôt d'une dialectique, d'un « distancement » au sens où l’entendait Brecht. Nous nous trouvons transportés par suite bien au-delà d'une description ou d'un récit qui, si horribles qu'ils soient, ne nous toucheraient que par ricochet. Ce qui nous tire des larmes d'apitoiement ou d'admiration c’est l'horreur vécue on tant qu'horreur et transformée sur-le-champ en expérience, en faits de conscience. Notre conscience s'identifie à celle qui nous est montrée, et il se pourrait, à la fin du compte, que ce soit sur nous-même que nous nous apitoyions.



Par cette démarche, qui découvre le secret essentiel de la littérature, Robert Antelme satisfait en outre son propos, qui est de révéler la nature du phénomène concentrationnaire. De celui-ci, encore une fois, on a donné maintes explications : sociologique, économique, politique, voire religieuse, aux dépens d'une évidence précisément tue parce qu'elle crève les yeux. Entreprise d'extermination physique, d’exploitation de l'animal humain considéré comme un certain cubage de chair, d’or, de cheveux, de dents aurifiées, société totalitaire férocement hiérarchisée avec, en haut, un pouvoir absolu, en bas une obéissance fondée sur la terreur et l'abjection, et à tous les degrés intermédiaires, un mélange de corruption et de lâcheté, lieu de souffrance, et d'agonie où, pour les chrétiens, se renouvelait la passion du Christ et sa rédemption, le camp était tout cela sans doute et bien davantage : le lieu où l'humanité était conviée à se contester elle-même et en tant que telle sous ses aspects fondamentaux d'espèce biologique et de produit historique.



Contester l’homme dans son humanité



Le SS partage avec le déporté l’appartenance à une espèce et à une histoire communes, c'est là que pour lui réside le scandale. Non, semble-t-il, parce qu’il se considère comme un échantillon supérieur d'humanité ou comme le produit le plus récent de l'histoire, mais parce qu'il entend nier toute dépendance à l’égard de l’espèce et de l’histoire. Sa fureur n’est pas uniquement nihiliste. Par l'eugénisme, la stérilisation, le génocide, le racisme biologique il entend se substituer à la nature, comme par l’établissement d’un Reich millénaire il nourrit la folle conviction d'arrêter l'histoire. A cette double revendication il faut des preuves concrètes, matérielles. Ce n'est pas l'extermination physique de ses ennemis (bien qu’il y recoure à l'occasion) qui peut lui fournir ces preuves, mais le consentement donné par eux et à tous les instants que l'humanité et l'histoire sont des billevesées. « Alle Scheisse » (vous êtes tous de la merde) n'est que la constatation par le SS que, grâce à lui, les hommes des camps ont régressé au stade animal d'une recherche unique et forcenée de la satisfaction des besoins élémentaires, tandis que la société concentrationnaire, fondée sur la terreur et la corruption, annihile d'un seul coup toutes les superstructures (morale, droit, justice) lentement édifiées au cours des siècles. Le SS forge même un nouveau type d'homme, mi-SS, mi-déporté : le kapo, détenu par nature et fonctionnant en SS.



Apparemment, le SS a gagné sur les deux tableaux ; en fait, il a perdu toute sa mise. Ce qu'il ne pouvait pas prévoir, pas plus qu'aucun des déportés, et qui constitue pour Robert Antelme une révélation durement acquise, c'est que « la mise en question de la qualité d'homme provoque une revendication presque biologique d’appartenance à l’espèce humaine ». Ni métaphysique, ni morale, cette revendication possède les caractères de simplicité et d'urgence d'un absolu : survivre, c'est-à-dire continuer de vivre dans son corps, mais surtout dans sa conscience en restant solidaire de l'humanité et de l'histoire.



Survivre, c’est vaincre



L’ouvrage d'Antelme est le récit au jour le jour, dans la soumission à l'abjection et sous la menace perpétuelle de la mort (qui constitue souvent la fuite désirée, l'issue reposante ( ??? situation insupportable), de cet ??? surhumain pour préserver, face au SS qui la nie, cette permanence de l'homme. Le mot héroïsme est faible pour caractériser cette attitude, de même que sont sans objet, pour rendre compte de la vie quotidienne des camps, les références aux vieux couples maître-esclave ou bourreau-victime. Il s'en faudrait de presque rien pour que ces squelettes traqués, renversés par un souffle d'air, passent le seuil de la mutation biologique. En s'accrochant de toutes les pauvres forces qui leur restent à leur passé et à ce qui en demeure dans leur mémoire, aux raisons qui les ont fait tomber dans la trappe, aux sentiments élémentaires qu'a suscités en eux, comme une seconde nature, la vie en groupe des hommes civilisés, (solidarité, respect mutuel, amitié) et en maintenant en eux la conscience de leur état, ils frustrent le SS de sa victoire escomptée, bien plus : ils se prennent à le plaindre.



L’espoir



Ce livre admirable possède quelques autres vertus fort utiles à cultiver aujourd'hui, quand nous voyons faiblir ou même s'écrouler les résistances aux forces déchaînées qui ont mené en d'autres temps à l'institution des camps. Au sein de la totale impuissance, dans la dépossession du droit de vivre et de mourir, face à la négation rageuse de la qualité d'homme, nous savons désormais qu’il existe au-dedans de chacun de nous un noyau irréductible, affirmation ou refus essentiels, à partir duquel il est indéfiniment possible de bâtir un lendemain. Cultivons cet espoir. Resserrons-nous autour de lui. Grâce à Antelme et à ses camarades, nous avons l’assurance qu’il ne faillira pas.

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L'Espèce humaine

Ouvrage remarquable et précieux qui est plus qu'un témoignage sur la vie dans un camp de concentration.

R. Antelme livre une analyse sur l'être humain et la vie.

A lire et relire.
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Vengeance ?

Robert Antelme, rescapé des camps de concentration, écrit en 1945 ce petit texte à propos des petites actions de "vengeance" commises par des Français sur les prisonniers de guerre allemands. Loin d'encourager ces dernières, il démontre comment elles sont une offense à ceux qu'elles prétendent venger. Les prisonniers des camps de concentration voulaient avant tout rester des hommes, ne pas devenir des bêtes comme leurs bourreaux, et c'est pour défendre les droits humains élémentaires que certains ont sacrifié leur vie.

On suit sans peine le raisonnement de l'auteur, ses mots sont empreints de souvenirs et d'empathie. Il nous rappelle que, quoi qu'un être humain ait commis, seule la loi peut dignement lui imposer une peine, et que ce qui s'y ajoute n'est que barbarie.

J'ai vraiment accroché, c'est très court et limpide.
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L'Espèce humaine

Sans doute le plus grand livre avec "Si c'est un homme" sur la question des camps. Robert Antelme livre un récit et une analyse formidablement bien écrits sur des questions touchant l'essence même de l'humain. Un exceptionnel livre !
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L'Espèce humaine

L'espèce humaine de Robert Antelme



Par son réalisme, Antelme fait des nous des prisonniers qui assistent impuissants à cette violence atroce, insupportable à laquelle des êtres humains se trouvent confrontés et qui consiste à les affamer, à les humilier, à les réduire en loques, à les frapper, à les achever. Par sa plume, Antelme fait de ce livre un chef-d'œuvre littéraire.



Une lecture éprouvante mais nécessaire.
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L'Espèce humaine

Coup de coeur



Robert Antelme fut le compagnon de Marguerite Duras. C’est pour surmonter les années de séparation, celles pendant lesquelles elle le savait dans un camp de concentration, qu’elle a écrit La Douleur. De ce long voyage visant à la déshumanisation, Robert Antelme a écrit ce magnifique livre.

De ce document, je garderai la force de l’écriture. Si Robert Antelme fut un prisonnier politique qui n’avait pas publié avant ce livre (et n’a pas publié après, sauf des écrits posthumes) , il a condensé tout son talent dans L’espèce humaine qui me semble être tout ce que Si j’étais un homme de Primo Levi n’est pas (loin de moi l’idée de remettre en cause la qualité de ce document dont le minimaliste ne me convient pas). Quelques semaines après ma lecture de ce document, il me reste des images très fortes : celle du pain qu’on partage en petits morceaux mais qu'on ne peut faire durer longtemps tant la faim tenaille, celle du bruit (oui, j’ai retenu des bruits) de la cuillère dans la gamelle de soupe, cette cuillère qui racle le fond jusqu'au bout, ce bruit qui change à mesure que la gamelle se vide et enfin la main qui se tend dans un train surpeuplé. Je garde aussi et surtout l’importance des mots et de la langue, à différents degrés, à différents moments.

Celui de l’appel, moment qui oblige à sortir de l’anonymat qui, en temps normal, protège :

Et il fallait bien dire oui pour retourner à la nuit, à la pierre de la figure sans nom. Si je n’avais rien dit, on m’aurait cherché, les autres ne seraient pas partis avant qu’on ne m’ait trouvé. On aurait compté, on aurait vu qu’il y en avait un qui n’avait pas dit oui, qui ne voulait pas que lui, ce soit lui.

L’importance de parler la langue de l’oppresseur qui redéfinit le bien et le mal :

Cette utilisation abondante et ostentatoire de la langue allemande- cette langue qui, ici, est celle du bien, leur latin- la même que celle des SS.

Cette langue qui est la seule qui vaille et qu’il est impensable de ne pas comprendre :

Puisqu’il parle, on doit comprendre.

Gilbert qui parle l’allemand s’en sert pour protéger les copains. Et puis, il y a ce mot et cette phrase qui rappellent la rébellion des allemands non nazis, même à l’intérieur des camps, ce « langsam » murmuré pour exhorter les prisonniers à ne pas se tuer à la tâche et ce « Nicht sagen » qui accompagne ce pain donné par une jeune femme qui passe dans le camp.

Mais le langage fait aussi souffrir car il est associé à des sensations perdues :

Le langage est une sorcellerie. La mer, l’eau, le soleil, quand le corps pourrissait, vous faisaient suffoquer. C’était avec ces mots-là comme avec le nom de M… qu’on risquait de ne plus vouloir faire un pas ni se lever.

En temps d’oppression, tout devient l’allié de l’oppresseur : ainsi, le sommeil est important car il n’est que la préparation du travail qu’il faudra fournir le lendemain. Ce qui devient l’allié de l’oppressé, ce sont ces moments, anodins en temps normal, qui permettent de s’échapper quelques instants, comme d’uriner.

Et cette obsession qui reste, la seule qui compte, ne pas laisser l’oppresseur gagner, ne pas leur offrir la mort en cadeau et pour cela, se battre contre le froid, la faim, le travail qui épuise :

La mort est devenue mal absolu, a cessé d’être le débouché possible vers Dieu. […] Ainsi le chrétien substitue ici la créature à Dieu jusqu’au moment où, libre, avec de la chair sur les os, il pourra retrouver sa sujétion.

Il y a aussi ces hommes qui s’éloignent progressivement de l’enveloppe charnelle qu’ont connu les leurs, et qui même au sein du camp ne sont plus reconnus par tous, franchissant alors des étapes qui les mènent vers la mort :

Celui que sa mère avait vu partir était devenu l’un de nous, un inconnu pour elle. Mais à ce moment-là, il y avait encore la possibilité pour un autre double de K…, que nous ne connaissons pas, ne reconnaîtrions pas. Cependant, quelques-uns le reconnaissaient encore.

Des images fortes, il m’en reste de nombreuses autres, un moment père-fils à la fin, la honte qui submerge, mais c’est à vous d’aller les découvrir.
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L'Espèce humaine

Chapeau bas, Monsieur Antelme, chapeau bas encore et encore devant ce monument à la dignité humaine, ce manuel de solidarité et de fraternité dans les pires conditions. Rester vivant et rester humain. C'est à ça que servent les bouquins aussi, à nous donner confiance en l'humanité, même dans les pires des temps.
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L'Espèce humaine

En 1944, Robert Antelme (qui fut, un temps, l’époux de Marguerite Duras) a été arrêté par les Nazis en raison de sa participation à la Résistance. Envoyé en Allemagne, il survécut à l’enfer d’un camp de concentration. Très peu de temps après son retour en France, il écrivit "L’espèce humaine" qui retrace (presque à chaud) sa terrible expérience. La précocité de son témoignage rend très remarquable ce livre. Le lecteur se trouve plongé dans le vécu quotidien des déportés, c’est éprouvant. Il partage en esprit le vécu des prisonniers qui tentent péniblement de survivre, mais qui ne perdent pas leur dignité.

Mais l’auteur sait aussi prendre du recul et se donne du temps pour réfléchir généralement à l’univers concentrationnaire. Dans ce genre particulier, la fois tragique et nécessaire, "L’espèce humaine" a été un peu éclipsé par "Si c’est un homme" de Primo Lévi qui, il faut bien le souligner, est un témoignage particulièrement exceptionnel sur le sujet.

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L'Espèce humaine

livre lu et relu. Une référence probablement glanée dans un livre de Jorge Semprun, ou à l’occasion d’un autre témoignage de rescapés des camps ? Réflexion humanitaire et humaniste qui plonge au tréfonds de l’être, lorsqu’il ne lui reste que l’instinct d’avancer. Lorsque l’homme a été réduit à la plus simple expression d’être humain, sans plus en avoir ni la définition ni l’aspect.

Robert Antelme et Marguerite Duras (son épouse à l’époque) étaient résistants pendant la guerre. Tombés dans un guet-apens, M. Duras parvient à s’enfuir tandis qu’Antelme est arrêté et envoyé d’abord à Buchenwald puis à Bad Gandersheim. Il est retrouvé en avril 1945 par Morland (nom de guerre de François Mitterrand), dans le camp de Dachau, épuisé et miné par des mois de détention et atteint du typhus. En 1947, il écrit L'Espèce Humaine. Le livre est dédié à Marie Louise, sa sœur morte en déportation. A son retour il pesait 35 kilos, presque mourant (cf le récit "La douleur" qu'en a fait M.Duras). Ce récit autobiographique relate la vie d’un groupe, plus que d’un individu. Il évoque la volonté des nazis de contester aux déportés l’appartenance à l’espèce humaine, et nous assure que, quoi qu’aient entrepris les nazis envers les détenus des camps, ils n’ont pu, comme ils le désiraient, leur ôter leur statut d’êtres humains : par le refus de s’humilier pour quémander, par le partage, la compassion entre détenus, s’affirme l’irréductible humanité. Il écrit afin de témoigner contre l’oubli et tâcher de transmettre ce qui peut sembler intransmissible : l’expérience des camps. « Le témoignage est le devoir de mémoire » pour que l’horreur ne soit plus reproduite. Cependant, depuis plus de 70 ans, combien de massacres de part le monde, combien de génocides, combien de famines provoquées à des fins d’élimination d’une population on a pu dénombrer, combien de dictatures ? Bilan humain ?


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L'Espèce humaine

A nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable



Je me (re)plonge régulièrement dans la littérature concentrationnaire. Les témoignages sur cet univers, comme d’autres sur les génocides ou crimes contre l’humanité, restent une source de réflexion nécessaire. Dans le dénuement le plus extrême, certain·es parviennent à neutraliser la négation de ce qui les nient, à contester ce qui les conteste comme « homme, comme membre de l’espèce »



L’existence de ces hommes et de ces femmes ne doit pas être oubliée, effacée, remisée aux commémorations bien souvent hypocrites. Il nous faut garder les yeux bien ouverts sur les agissement de cette espèce particulière qu’est – jusque dans les atrocités que ses membres commettent – l’espèce humaine et « son unité indivisible ».



Tout semble dit dans l’avant-propos de 1947. « Et dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de poursuivre dans notre corps ». L’auteur indique qu’il essaye de retracer la vie d’un kommando (Gandersheim) d’un camp de concentration allemand (Buchenwald). Il évoque, entre autres, l’encadrement par « des assassins ou des trafiquants de marché noir » sous les ordres des SS, la lutte pour l’instauration d’une légalité dans « une société conçue comme infernale », ceux qui fructifient dans cette société sans lois, l’appareil administratif aiguisé de l’oppression SS… et l’objectif très humble « C’était seulement de survivre ».



Mais dire se suffit pas pour être audible. « L’horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent ». Le refus d’imaginer et de saisir certaines configurations des rapports sociaux, certains actes humains, ne peut qu’entrainer leurs répétitions. La barbarie est encore ici en germe au quotidien et nous n’en avons pas fini de devoir nous examiner dans le miroir (ce qui n’a rien à voir avec la pratique narcissique des selfies).



Gandersheim. « Ici, il n’y a pas de malades : il n’y a que des vivants et des morts ». Comment penser l’extreme, comment penser la mort dans le circuit de la vie quotidienne ? « La mort était ici de plain-pied avec la vie, mais à toutes les secondes. La cheminé du crématoire fumait à coté de celle de la cuisine »… Il faut lire lentement ces pages, la conscience qu’ielssont tous ici pour mourir, que militer là « c’est lutter raisonnablement contre la mort », que pour les SS et les kapos « il y aura chaque matin un manque à crier de la nuit qu’ils devront rattraper »…



L’organisation de la faim, du travail, des oppositions entre détenus, des jours et des jours. La négation de l’être humain en l’être humain, le manque se traduisant par un seul mot « rien », l’apparition d’un morceau de pain comme un certain futur assuré, « Privé du corps des autres, privé progressivement du sien, chacun avait encore de la vie à défendre et à vouloir », le système concentrationnaire comme réalisation extrême des différences, les moments où « la mort apparaît juste comme un moyen simple, de s’en aller d’ici, tourner le dos, s’en foutre », le futur et le si on s’en sort… « La condition, la restriction, l’angoisse sont toujours au cœur du dialogue », le scandale de l’indifférence, la haine, les poux, le contact sonore avec la guerre, la nouvelle ou le bobard qui tourne en rond, le déploiement en toute tranquillité de la fureur des SS…



L’approche trop lente de leur défaite, la route, la puissance du meurtre, le nazisme jusque dans sa fin, marcher, marcher, le train, la fin, les hommes gras, Dachau…



« Inimaginable, c’est un mot qui ne se divise pas, qui ne restreint pas. C’est la mot le plus commode. Se promener avec ce mot en bouclier, le mot vide, et le pas s’assure, se raffermit, la conscience reprend. »



Nous sommes libres. Il me serre la main.



« Ils ont pu nous déposséder de tout mais pas de ce que nous sommes »




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L'Espèce humaine

Robert Antelme a été déporté parce qu'il était un Résistant.

Dans L'espèce humaine, que je considère comme un témoignage indispensable sur la déportation, il raconte sa vie dans le kommando Gandersheim, à Buchenwald.

Ce qui change des autres témoignages non moins importants de Primo Levi ou de Jorge Semprun, pour ne citer qu'eux pour l'instant, c'est que nous vivons ce qu'on pourrait bizarrement nommer l'ordinaire dans un camp, sans la haine antisémite, sans les gazages, sans les crématoires... Mais l'horreur n'est pas moindre, comme on pourrait s'y attendre.

Si vous voulez percevoir ce que peut-être la faim et le froid, Robert Antelme parvient à faire ressentir ces souffrances viscérales. La fatigue s'y ajoutant, c'est le sujet du livre : comment survivre quand on n'est plus qu'un corps affamé, desséché, qui doit encore aller travailler plus de dix heures par jour? Comment espérer le retour de la liberté, ce fantôme qui se fait attendre?
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L'Espèce humaine

A l’heure où d’autres idéologies aussi immondes que celle des nazis polluent l’humanité, cette lecture sera MA lecture de l’année 2021.



Ce livre, c’est un coup de poing, un coup de tonnerre. Plusieurs fois, j’ai été tentée d’abandonner, mais cela n’aurait pas été faire honneur à l’auteur et ses camarades qui ont vécu l’enfer. J’ai mille regrets d’être si jeune et de ne pas avoir connu Robert Antelme plus tôt. J’ai beaucoup pleuré pendant cette lecture.



Un seul conseil : lisez-le !
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L'Espèce humaine

Pourra-t-on jamais comprendre comment la faim, la boue, les coups ont permis aux déportés de penser L'espèce humaine? Alors que l'urgence, vivre ou mourir, répétitive, se présente à chaque repas, à chaque apparition du Kapo ou du SS.

Oui, ce texte est remarquable.
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L'Espèce humaine

aussi bien que KERTESZ
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L'Espèce humaine

Je considère que cet ouvrage est l'un des meilleurs témoignage sur l'horreur des camps de concentration et d'extermination que j'ai pu lire. Ce qui est très intéressant, c'est la manière dont l'auteur part de son expérience pour analyser finement la psychologie humaine, et même plus largement la philosophie des liens entre les hommes. Il décrit en détail cette façon très particulière dont les bourreaux tentent de déshumaniser d'autres hommes, d'en faire des victimes, victimes qui, par la force du groupe, de l'espoir en l'être humain, de la dignité, se battent pour survivre. On suit l'auteur dans toutes ses interrogations : dans cette folie humaine, comment ne pas sombrer ? Dans cette rage insupportable contre le bourreau, quelle est la meilleure manière de s'opposer, de trouver le propre sens de son existence ? En mourant ? En gardant en tête son existence avant le camp ? En luttant pour ne pas confondre son identité avec l'image de soi que renvoie le bourreau ? Ces réflexions ont une vocation profondément humaniste. En plus de cela, il y a une grande précision sur les conditions de vie quotidienne dans le camp : les repas, la faim, les liens entre les prisonniers, le rythme, les différences de conditions de vie... Grand écrivain, Antelme a également su me faire vivre le plaisir désespéré de déguster une boulette de viande quand on meurt de fin. J'ai rarement ressenti si fort l'émotion qu'un écrivain tentait de transmettre dans un témoignage. En plus de cela, ce livre est une mine d'informations impressionnantes en terme de sociologie, d'histoire, de biologie, même. Merci à cet auteur d'avoir témoigné.
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L'Espèce humaine

L'horreur des camps de concentration nazis, Buchenwald, un univers de souffrances vécues par l'auteur et ses compagnons de malheur. L'intérêt du livre réside notamment dans le fait qu'il a été écrit quasiment à chaud, immédiatement après la libération de l'auteur. Ainsi, la force en est encore plus grande par la précision des souvenirs et la dureté de cette déchéance des

humains réalisée par des individus qui se croyaient surhumains.
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