Ils se reposèrent encore un peu, puis ils firent encore quatre ou cinq cents mètres avant de trouver un endroit dans la forêt épaisse où leur feu serait invisible. Il y avait plein de bois partout car les pins avaient perdu leurs branches basses. Otto fit un grand rond d’où il balaya toutes les aiguilles ; les aiguilles de pin brûlent bien et peuvent mettre le feu à la forêt. Puis, avec une poignée d’entre elles, il fit une flambée en utilisant une seule allumette pour la faire partir.
Ils mirent quelques morceaux de bœuf dans leur récipient, ajoutèrent quelques pommes de terre qu’Ellen éplucha et coupa avec le couteau d’Otto, puis de l’eau, et en quelques minutes la clairière fut remplie de la bonne odeur de ragoût. Ils décidèrent de rationner leur eau comme ceci : un tiers pour la cuisine, un tiers pour la boisson, et un tiers pour le lendemain, puisqu’ils ne savaient pas quand ils retrouveraient un ruisseau.
Ils mangèrent le ragoût – en entier, même s’ils avaient rempli la gamelle – et finirent la sauce avec des biscuits. Ils n’avaient pas assez d’eau pour laver le récipient, mais Ellen l’essuya avec un bouchon d’aiguilles vertes. Puis ils arrangèrent leurs lits ; Otto montra à Ellen comment s’enrouler dans sa couverture, après avoir fait un tas d’aiguilles de pin pour servir d’oreiller. Avec la nuit, ils s’endormirent. Ellen se réveilla une fois : elle entendait quelqu’un bouger, mais ce n’était qu’Otto qui remettait du bois dans le feu.
C’était sans doute un étranger, et une vision bien effrayante. Il était grand et maigre, et tout habillé de noir : chapeau noir, manteau noir de forme bizarre qui ressemblait à une cape, pantalon noir et bottes noires – mais il y avait une seule rayure de couleur le long de chaque botte, une ligne d’un vert brillant qu’Ellen avait déjà vu. Son visage était sinistre, effrayant, hâve, le visage d’un croque-mort, d’un chasseur implacable. Il marchait vite, l’air décidé, et à chaque pas ses yeux noirs et perçants regardaient avec insistance à gauche, à droite, devant, en haut, en bas. Il ne marchait pas pour le plaisir ni vers une destination précise. Il cherchait.
Quand on voit un bouton marqué ‘Appuyez’, le premier mouvement est d’appuyer. Du moins ce fut celui d’Ellen, et elle tendit la main. Mais elle la retira. Elle s’assit plutôt dans le fauteuil. Cela lui rappelait Alice au pays des merveilles qui trouvait toujours des choses marquées : ‘Mangez-moi’, et quand elle les mangeait, elle avait des ennuis. Comment savoir ce qui se passerait si elle appuyait sur le bouton ? Après ce qu’elle avait vu en ces lieux, elle ne serait pas surprise si le plancher explosait sous ses pieds ou si le plafond lui tombait sur la tête.
Quelques minutes s’écoulèrent puis elle entendit un bruit, un raclement sec comme deux feuilles mortes frottées l’une contre l’autre. C’était la main de M. Gates qui touchait les écailles d’un tronc de pin en tâtonnant pour trouver son chemin. Elle entendit alors à nouveau sa respiration, très basse, comme le plus faible des chuchotements. Il ne devait pas être à plus de deux mètres. Il était trop tard pour se lever et courir ; elle essaya au contraire de s’immobiliser complètement, et elle retint sa respiration. Le souffle se rapprocha.
Car la Machine était maléfique. Elle savait qu’elle l’était, même si c’était maintenant en quelque sorte la sienne. Elle était maléfique pas forcément en elle-même – comment une machine pouvait-elle reconnaître le « bien » du « mal » ? – mais parce qu’elle était dangereuse, trop puissante, peu importe qui portait la couronne, qui la commandait.
Et magique n’est pas exactement le mot juste, à moins que par magique tu veuilles simplement dire quelque chose que tu ne comprends pas. Et si c’est tout ce que tu veux dire, alors presque tout est magique.
Couronne noire, je te gouverne
Couronne d'argent, tu me gouvernes.