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Citation de coco4649


La brigade des jeux [3]
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Mais son esprit, pareil à la trace que laisse dans l’air un avion enflammé, interprétait à sa guise le paysage. Il revoyait le Christ accompagné de ses douze sirènes s’acheminant vers son destin ; un ciel d’ébène sur lequel se détache la croix rouge sang, à droite et à gauche des papyrus égyptiens, un débris de colonne grecque et son chapiteau au pied, à l’horizon des fils télégraphiques. Il imaginait encore le plongeur qui, dédaignant les huîtres perlières, cueillit l’éponge prédestinée, immense, et qui se signalait dans la nuit des eaux par une auréole verte.

Mais la bougie marine s’usait rapidement. Le corsaire remarqua qu’elle était le point de départ d’un arc-en-ciel, mais celui-ci, au lieu d’être vu de l’intérieur de sa circonférence comme un dôme, était vu de l’extérieur, de sorte qu’il s’éloignait comme deux cornes ou un croissant jusqu’à la surface où ses deux branches émergeaient à grande distance l’une de l’autre pour aller se rejoindre très haut dans l’atmosphère et y faire la joie des oiseaux fantômes, l’émerveillement des citadins et la mélancolie du petit garçon faiseur de bulles de savon. Celles-ci montent avec une fenêtre au flanc.

Il n’était plus question pour Corsaire Sanglot de rester au fond de l’océan. La bougie, en brûlant, laissant de grandes stalactites blanches qui oscillaient un instant puis montaient.

Il s’accrocha à l’une d’elles et ne tarda pas à nager sur une onde calme, en vue d’un port sans bateaux, dans un silence impressionnant.

Qu’elle vienne celle que j’aimerai, au lieu de vous raconter des histoires merveilleuses (j’allais dire à dormir debout). Ô satisfaction nocturne, angoisse de l’aube, émoi des confidences, tendresse du désir, ivresse de la lutte, merveilleux flottement des matinées d’après l’amour.

Vous lirez ou vous ne lirez pas, vous y prendrez de l’intérêt ou vous y trouverez de l’ennui, mais il faut que dans le moule d’une prose sensuelle j’exprime l’amour pour celle que j’aime. Je la vois, elle vient, elle m’ignore ou feint de m’ignorer. J’ai pourtant surpris dans sa parole quelque intonation tendre et certaine phrase me parut une allusion.

Je me rappelle qu’il y a quelques mois, cet hiver, dans un lieu ami, elle chantait. Elle chante à faire monter les larmes aux yeux et, ce soir-là, elle chantait une romance sentimentale dont le contenu m’importe peu. Je n’en ai retenu que l’air facile, un air de valse et deux phrases de refrain où l’héroïne déclarait son amour.

Elle tourna vers moi les yeux à cet instant, mais je n’ose y croire, ce regard fut-il un aveu. Ne me dites pas qu’elle est belle, elle est émouvante. Sa vue imprime à mon cœur un mouvement plus rapide, son absence emplit mon esprit.

Banalité ! Banalité ! Le voilà donc ce style sensuel ! La voici cette prose abondante. Qu’il y a loin de la plume à la bouche. Sois donc absurde, roman où je veux prétentieusement emprisonner mes aspirations robustes à l’amour, sois insuffisant, sois pauvre, sois décevant. Je sens se gonfler ma poitrine à l’approche de la bien connue. Je ferais l’amour devant trois cents personnes sans émoi, tant ceux qui m’entourent ont cessé de m’intéresser. Sois banal, récit tumultueux !

Je crois encore au merveilleux en amour, je crois à la réalité des rêves, je crois aux héroïnes de la nuit, aux belles de nuit pénétrant dans les cœurs et dans les lits. Voyez, je tends mes poignets aux menottes délicates, aux menottes de la femme élue, menottes d’acier, menottes de chair, menottes fatales. Jeune bagnard, il est temps de mettre un numéro sur ta bure et de river à ta cheville le boulet lourd des amours successives.

Corsaire Sanglot aborde au port. Le môle est en granit, la douane en marbre blanc. Et quel silence. De quoi parlé-je ? Du Corsaire Sanglot. Il aborde au port, le môle est de porphyre et la douane en lave fondue… et quel silence sur tout cela.

Corsaire Sanglot s’engage dans une avenue, parvient à une place, et là, la statue de Jack l’éventreur, grandeur nature, en habit et chapeau claque l’accueille. Des marchands d’éponges à tous les coins de rues offrent leurs vitrines pleines d’objets en liège et de bateaux dans des bouteilles. Toutes les vitres des avertisseurs d’incendie sont brisées. Toutes les persiennes sont closes. Sur tous les toits le platine des paratonnerres brille et attire des alouettes. Sur tous les toits flottent des oriflammes saugrenues.

Corsaire Sanglot marche dans la ville déserte.

Qu’elle est douce, aux cœurs amers, la solitude, qu’il est doux, le spectacle de l’abandon, aux âmes orgueilleuses. Je me réjouis de la lente promenade du héros dans la ville déserte où la statue de Jack l’éventreur indique seule qu’une population de haute culture morale vivait jadis. Dans ce port silencieux, sur ces boulevards aux perspectives parfaites, dans ces jardins magnifiques, qu’il se promène le héros du naufrage et le héros de l’amour.

Il est temps que celle que j’aime intervienne dans ce récit.
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