Citations de Robert Doisneau (32)
La Toussaint 1960
Mon cher Maurice,
(...) Une seule a été parfaite et m'a épaté, c'est Piaf. A croire qu'elle a déjà tout senti. Le cas Piaf est phénoménal et antiacadémique, l'instinct génial, comme une bonne femme de quatre saisons qui fait des bouquets jolis, jolis, sans avoir aucun diplôme. [p. 20 / coll. Babel- Actes Sud, réédit. 2020]
Mercredi 30 novembre 1960
Mon cher Maurice,
(...) J'ai un peu hâte de te revoir car je suis sonné tu comprends, ou plutôt, tu ne peux imaginer les maisons: piscines dans le salon pour deux vieillards (...), faux Utrillo dans les cabinets (....) des tapis où je me tords les chevilles, assez de luxe pour le gars de Montrouge, c'est moi l'exotique, je m'en rends bien compte (Actes Sud, collection Babel, avril 2020)
Le monde que j'essayais de montrer était un monde où je me serais senti bien, où les gens seraient aimables, où je trouverais la tendresse que je souhaite recevoir. Mes photos étaient comme une preuve que ce monde peut exister.
Vous savez ça me donne un tel sentiment de mélancolie de regarder des photos que j'évite de le faire.
La beauté échappe aux modes passagères.
"... lorsqu'il travaille à la sauvette, c'est avec un humour fraternel et sans aucun complexe de supériorité qu'il dispose son miroir aux alouettes, sa piègerie de braconnier et c'est toujours à l'imparfait de l'objectif qu'il conjugue le verbe photographier."
Jacques PRÉVERT
Les images ne sont jamais précises, mais diffuses. Le choix d'un certain angle, l'attente du moment où ce monde apparaît pitoyable et tendre enlèvent à mes clins d'oeil toute valeur objective. (…) Je crois dur comme fer qu'il n'y a pas de vérité-étalon, mais que le profil de cette vérité peut être modifié à l'infini si l'on ose quitter les postes d'observation confortables.
Quand j’ai sauté en marche dans la photographie, elle était en bois. Aujourd’hui, la voici devenue quasiment électronique. Je reste le nez à la portière avec la même curiosité que le premier jour.
Mon cher Maurice,
Ta lettre vient d'arriver à l'hôtel de l'Escargot, j'en suis saupoudré de joie.
L'hôtel de l'Escargot, villégiature retenue par les soins du bouillant Cassagnade, n'est pas construit. C'est à dire que pour le moment il n'y a que les fondations dans lesquelles nous sommes logés, plus tard ce sera très joli.
Cassagnade n'avait pas eu le temps de vérifier. A part la besogneuse au dessus de nos têtes c'est parfait. Le matin nous émergeons d'une sorte de ligne Maginot imprenable et en avant pour une journée invertébrée de ce pas qui va nulle part, c'est difficile à supporter ce changement de rythme.
Moi aussi, je voyage, la revue Life avait besoin de quelqu'un de très intelligent pour montrer en quelques images ce qu'est Madrid, alors, sur 40 millions de Français, je suis l'élu.
Au printemps, je dois faire une exposition de photos, jusqu'ici la chose m'avait apparu comme totalement inutile et un peu prétentieuse, mais je suis tombé sur un généreux agité dont le rôle est de compliquer la vie des gens en leur donnant des obligations alors, si tout va sans autres éléments inattendus, il y aura un coquetèle, belles madames et je dirais un message tout comme un simple Jean XXIII.
La beauté échappe aux modes passagères.
L'ascension de la tour Eiffel permet de découvrir un immense panorama parisien - qui paraît méconnaissable puisqu'il manque alors l'indispensable silhouette de la tour Eiffel.
Le souvenir de ces moments est ce que je possède de plus précieux - peut-être à cause de leur rareté - un centième de seconde par-ci, un centième de seconde par-là mis bout à bout, cela ne fait jamais qu'une, deux, trois secondes chipées à l'éternité.
Robert Doisneau
2464 - [p. 27]
Ce sont des photographes, ces messieurs rassemblés en rond, qui parlent, qui parlent, qui parlent toute la nuit. Au petit jour ils tombent d'accord, l'image a supplanté le verbe.
"Que détestez vous par dessus tout?
-La musique militaire, la justice militaire, la cuisine militaire"
C'est toujours les rues des plus pauvres quartiers, qui portent les plus jolis noms (Jacques Prévert).
Le peuple de Paris, en se frottant au mobilier urbain, a donné à la ville cette patine que l'on peut aimer. Ainsi moi-même, par mes passages répétés, j'ai tellement participé à l'astiquage des bibelots de la rue que j'éprouve, pour la première fois de ma vie, un vague sentiment de propriété.
Dans la course du temps, les quelques images qui surnagent aujourd'hui et viennent se grouper comme des bouchons dans un remous de rivière ont été faites pendant les heures volées à mes différents employeurs.
Désobéir me parait une fonction vitale et je dois dire que je ne m'en suis pas privé.
On appelle aura cette sorte de tube de néon qui s'allume autour de certains êtres et vient les isoler pendant un bref instant. Il faut faire vite pour l'enregistrer car il résiste mal au mouvement.