Le décor de cette amitié est un milieu urbain en pleine mutation. L'industrialisation, avec l'augmentation de la population ouvrière et les troubles sociaux qui en découlent, mais aussi les travaux d'embellissement urbain et l'aménagement de nouveaux quartiers modifient l'aspect de la vieille ville. Plusieurs auteurs ont décrit le climat sombre de la vieille ville intérieure, avec ses cours d'eau pollués, ses bâtiments trapus mais aussi ses contradictions sociales, comme l'environnement qui a déterminé l'ambiance mélancolique du symbolisme gantois. Cette atmosphère pesante a chassé de nombreux jeunes artistes, comme Minne et Maeterlinck, vers la capitale ou vers l'étranger. Il est frappant malgré tout que ce soit précisément dans cette ville que "les contraintes de ce temps" aient "éveillé tant d'esprits et de talents", grâce auxquels Gand va jouer un rôle important dans la littérature et les arts plastiques de cette époque.
George Minne et Maurice Maeterlinck, les années gantoises
Maurice Maeterlinck, qui se détournait du réalisme et du naturalisme, mit en scène dans son "premier théâtre" une pièce symboliste qui devait son originalité à une combinaison de simplicité et de suggestivité. L'écrivain y partait en quête de l'«au-delà», de la vérité qui se trouve derrière le visible. Maeterlinck prenait donc pour point de départ une réalité quotidienne - le «tragique quotidien», comme il le formulait dans Le Trésor des humbles - et la plaçait dans un contexte historique ou légendaire. Les personnages de ses pièces étaient souvent mus par des intuitions. Maeterlinck les soumettait à des forces mystérieuses comme la mort, l'amour, la perte ou le destin. Le mystère ne pouvant pas être directement décrit, ces forces ne sont ni visibles, ni palpables. Leur intervention et leur influence ne peuvent qu'être suggérées par des symboles et des images. Maeterlinck utilisait à cette fin des motifs comme la forêt, la fontaine, la tour, l'eau, le son d'un oiseau ou une couleur.
Pour étayer l'évocation du mystère, Maeterlinck ne donnait à ses personnages qu'une expression corporelle minimale, statique. Il ne souhaitait pas mettre en scène des individus au profil psychologique bien défini ; ses personnages devaient être le reflet de l'essence humaine. Il utilisait pour cela une technique de dialogues qui faisait appel à des procédés établis comme les exclamations, les «oh !» et les «ah !», les phrases répétitives, les longs silences et un jeu de questions et réponses. Le mystère se dissimulait également derrière les mots.
Il semble donc à première vue très difficile de mettre en scène des pièces de théâtre de Maeterlinck.
Maurice Maeterlinck sur la scène à Paris.