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Citations de Roberte Hamayon (41)


"Chamane" est le nom que les peuples toungouses de Sibérie orientale donnent à leur principal rituel. Le même type de personnage se rencontre, sous d'autres noms, chez les peuples voisins.
p. 15
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Le lien souple de l'âme à sa lignée
Selon cette conception, l'âme individuelle ne peut, à l'issue de son recyclage posthume, passer d'une espèce à l'autre pour en “animer” un membre : ce serait contredire la notion même d'espèce et contrevenir à l'établissement de relations stables entre espèces. Cependant, lors de cette phase de recyclage où elle est libre d'attache corporelle, l'âme est censée pouvoir emprunter d'autres corps que ceux de son espèce pour y loger ou pour se déplacer. Ainsi les Mongols imaginent les âmes des morts voyageant accrochées aux poils ou aux plumes d'animaux sauvages. Il n'y a pas pour autant “transformation” ou “métamorphose”.
La force vitale logée dans la chair nourrit l'âme du vivant
Être en vie implique de se nourrir. La chair du gibier qui nourrit le corps des humains est le support concret de la « force vitale » qui nourrit leur âme. Il y a interdépendance entre chair et force vitale comme entre corps et âme durant le temps de la vie. Les peuples samoyèdes de Sibérie occidentale nomment le renne sauvage « ce dont on vit ». En français, “viande” vient du verbe latin vivere, « vivre ». La notion de force vitale est souvent confondue, mais à tort, avec celle d'âme individuelle, parce que de nombreuses langues emploient le terme “d'âme” dans les deux cas (ainsi le français parle aussi bien « d' âme sœur » que de « force d'âme » ou de « manque d'âme »). À la différence de l'âme, la force vitale n'est pas une entité fixe et autonome ; elle peut varier en qualité et en quantité chez un même individu selon les circonstances.
p. 75/76
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Les derviches tourneurs
Les danses des derviches tourneurs (membres de certaines confréries soufies) ont été considérées comme provoquant des états de “transe” et “d'extase”, alimentant ainsi les rapprochements avec le chamanisme selon la définition qu'en donne Mircea Eliade.
Les médiums du bouddhisme tibétain
Le bouddhisme tibétain comporte une pratique oraculaire qui repose sur l'instauration d'un « contact direct » entre une divinité et un médium par l'intermédiaire duquel elle délivre ses oracles. Selon les contextes, c'est la parole du médium qui constitue l'oracle, dans d'autres où il reste muet, c'est sa gestuelle (souvent aux allures de danse).
Cette pratique était naguère investie d'un rôle important dans la vie religieuse et politique : le Tibet avait autrefois plusieurs oracles d’État ...
p.144
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« Le Chamanisme » - “Fondements et pratiques d'une forme religieuse d'hier et aujourd'hui”, Roberte Hamayon, Éditeur : EYROLLES © 07/05/2015
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Les relations verticales
Cela explique pourquoi le christianisme orthodoxe et le bouddhisme ont pénétré chez les peuples pasteurs de Sibérie, alors qu'ils n'ont pu le faire chez leurs voisins chasseurs. Partout, la présence d'un mode de vie reposant sur la transmission de biens matériels au fil des générations et par conséquent l'importance des âmes de morts dont on hérite constitue un terrain favorable à l'intégration d'entités spirituelles supérieures à celles issues de défunts humains.
Intégration parmi les ancêtres ou au-dessus d'eux
Les ancêtres sont par définition considérés comme des instances spirituelles situées au-dessus de leurs descendants vivants. Ils concrétisent une vision hiérarchique qui permet de concevoir d'autres instances spirituelles situées au-dessus des ancêtres. Et si les ancêtres d'un clan, fondus dans une collectivité anonyme, ont autorité sur leurs descendants membres vivants de ce clan, les instances spirituelles posées comme supérieures à eux auront autorité sur un ensemble de clans, voire sur toute la société.
Intégration d'individus délaissés, tels les saints
Quant aux âmes de morts qui n'ont pu recevoir le statut d'ancêtre, elles se voient adresser individuellement un culte qui vise à leur donner une place et un rôle dans le monde des instances spirituelles, comme certains saints, sanctifiés en raison de leur vie tragique ou de leur mort précoce. Elles sont donc, à la différence des ancêtres, identifiées par un nom qui leur est personnel, comme le sont les saints. Elles sont censées être transformées par le culte qu'elles reçoivent en protectrices des humains qui le leur rendent, comme certains saints.
p. 140
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Un rôle médiateur dans la propagation de la religion
Ces défunts humains “sanctifiés”ou “divinisés” jouent en outre un rôle fondamental dans la pénétration des religions universalistes chez des peuples habitués à donner le statut d'esprit à des âmes de morts humains. Ces peuples, en effet, intègrent aisément ces défunts exaltés dans des catégories conçues à partir de celles où ils classent les âmes de leurs morts, soit à partir de celle des ancêtres, soit à partir de celle des morts qui n'ont pu recevoir le statut d'ancêtre.
p. 139
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« Épouses » du Christ
Dans de nombreux ordres catholiques, les religieuses sont traitées individuellement comme “épouses” du Christ lors de leur « prise de voile ». Et certaines grandes mystiques chrétiennes font état dans leurs écrits du caractère charnel de leur relation avec le Christ.
p. 138
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La fusion du religieux et du politique
L'autorité absolue accordée aux instances spirituelles supérieures se répercute sur tout pouvoir politique qui se réclame d'elles pour établir sa légitimité. D'une manière générale, le politique et le religieux fusionnent dans les cultes publics qui leur sont rendus. Ce sont des cultes périodiques de caractère liturgique, perçus comme essentiels au maintien de l'ordre.
p. 136
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Dans le discours populaire, il est question d'accès au “paradis” en cas de bonne observance, de chute en “enfer” en cas de transgression. Les notions de paradis et d'enfer, situées dans le prolongement des principes de Bien et de Mal, ont comme eux un caractère absolu qui heurte les peuples chamanistes habitués à penser la vie et la mort en termes relationnels.
Le discours savant parle de “salut” ; le bouddhisme le présente sous le nom de libération du « cycle des renaissances ». L'appellation « religions de salut » longtemps utilisée pour parler des religions universalistes souligne que le sort posthume de l'âme doit être l'objectif essentiel de la pratique. Elle témoigne de leur soin à accaparer la gestion de la mort. L'Église bouddhique semble s'être particulièrement hâtée de s'approprier les rites funéraires partout où elle s'est implantée.
p. 134
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Facteurs idéologiques
La domestication du monde naturel
Toutes les religions universalistes vont de pair avec des modes de vie organisés et avec l'imposition d'un ordre humain au monde naturel. Toutes ont pris grand soin de marquer de leur sceau l'espace naturel (y installant monastères, temples, sanctuaires de type divers) et le temps (en établissant un calendrier et la tenue de fêtes religieuses à certaines dates).
Toutes ont relégué les figures spirituelles à composante animale des systèmes chamaniques au rang de diables, de monstres ou de démons, en les déclarant par principe à combattre et éliminer. Corrélativement, toutes ont interdit ou limité la pratique de la chasse, interdisant du même coup toute perspective de relation avec des figures spirituelles animales.
p. 133
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Le contraste est fort avec les systèmes chamaniques, caractérisés par les rivalités perpétuelles entre chamanes. La rivalité est tout autant inhérente à leur fonction que la solidarité l'est à celle des clercs appartenant à un même corps.
Des lieux de culte bien identifiés
Les religions universalistes ont également en commun d'avoir des lieux de culte bien identifiés où accueillir les fidèles. Et l'histoire montre que ces lieux de culte — églises, temples, monastères, mosquées, tombeaux et autres sanctuaires — ont été des éléments décisifs dans les processus d'urbanisation et de contrôle social et politique.
À cet égard aussi, le contraste est fort avec les systèmes chamaniques qui, d'une manière générale, privilégient les cadres naturels pour les grands rituels collectifs et les habitations des demandeurs pour les rituels privés.
La présence de ces facteurs institutionnels fait la force des religions universalistes, elle les aide à s'implanter, — leur absence fait celle des systèmes chamaniques — elle les rend insaisissables et difficiles à déraciner.
p. 132
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Une propagation superficielle
De prime abord, il paraît évident que les religions universalistes devaient avoir facilement raison des pratiques locales caractérisées comme chamaniques puisque, à leurs yeux, celles-ci n'étaient pas de véritables religions mais seulement le fruit de superstitions exploitées par des charlatans aux dépens de populations trop crédules.
Or, les réalités imposent une tout autre évidence : celle de formes entremêlées. Non seulement des pratiques chamaniques se rencontrent dans les franges des religions universalistes, mais celles-ci semblent, du moins sous leurs formes populaires, comporter des éléments de type chamanique. Assurément, il y a eu adaptation mutuelle, et celle-ci n'a cessé d'être mouvante. Mais peut-être faut-il aussi tenter un parallèle entre ce qui fait le « caractère élémentaire » du chamanisme et ce qui fonde les démarches religieuses élaborées des religions universalistes.
p. 126/27
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Le balisage rituel des parcours
Tout trajet est ponctué de pauses effectuées en des lieux remarquables (coude d'une rivière, col, source, arbre isolé...) où le passant verse quelques gouttes d'alcool, dépose ou accroche morceaux de nourriture, crins, cheveux ou bouts de tissu à l'intention de ses « maîtres ».
p. 118
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Le chamane, agent de la bénédiction ancestrale
L'intervention du chamane est courte mais essentielle. Elle consiste à introduire dans le ventre de l'animal qu'un couteau vient de fendre un végétal purificateur, en invitant par son chant l'âme de l'animal à se laisser emmener jusqu'aux ancêtres dédicataires. L'objectif visé est de faire pénétrer dans la viande de chaque animal la “bénédiction” des ancêtres du lignage qui l'a offert. La part de viande imprégnée de la bénédiction ancestrale que reçoit chaque famille membre lui garantit la solidarité des morts et des vivants du lignage auquel elle appartient.
Aussi, ne pas participer à ce rituel serait s'exclure de sa parenté et se priver de son soutien. Des récits racontent que des familles écartées du rituel envoient leurs chamanes dérober des morceaux de viande sacrificielle bouillie dans le chaudron du foyer lignager pour ne pas être privées de la protection ancestrale que cette viande concrétise.
La viande domestique est, comme la viande sauvage, un support de bien symbolique aléatoire, mais la “bénédiction” ou “grâce” des ancêtres est associée à la soumission de l'éleveur alors que la “chance” l'était aux qualités personnelles du chasseur.
p. 117
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Les prières aux ancêtres protecteurs
Louanges et complaintes
Tout éleveur doit dès l'enfance mémoriser sa généalogie pour être à même de la réciter devant les aînés et la rappeler en cas de conflit territorial. Les noms des ancêtres y sont souvent accompagnés de l'évocation de leurs hauts faits. Les invocations que les aînés adressent à leurs ancêtres lors des rituels collectifs commencent par la mention de leur nom et de leur territoire pastoral et se poursuivent par des demandes explicites de protection.
Celles-ci sont remarquables par leur formulation négative, qui contraste avec la formulation positive des souhaits de chance formulés par les chasseurs.
« Protégez nos chevaux des voleurs et des loups !
Au loup qui traîne sa longue queue, émoussez les dents acérées !
Au voleur qui traîne sa longue perche à lasso, raccourcissez le lasso ! »
« Devant nous soyez vigiles, derrière nous soyez ombres,
Ne nous laissez pas mordre par les chiens, empêchez les méchants de nous nuire. » « Dites ce que nous n'avons point dit, pensez ce que nous n'avons point pensé, Comprenez ce que nous n'avons point compris. »
Serguei P. Baldaev, Trois fragments d'invocations bouriates.
p. 114 /15
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La supériorité des ascendants
Les éleveurs se sentent redevables des troupeaux qu'ils ont hérités de leurs ascendants ainsi que de droits d'usage sur les pâturages et les voies de parcours. Ils leur attribuent pour résidence les collines qui surplombent les pâturages, et c'est sur leur flanc qu'ils organisent les rituels à leur intention. Ils voient dans cette position en hauteur une garantie de leur légitimité d'éleveurs et une promesse de protection pour eux et leurs troupeaux, mais aussi une contrainte et un poids. De leur hauteur en effet, les ancêtres sont censés exiger de leurs descendants, en retour, d'une part la stricte observance des règles sociales qu'ils ont instituées pour régir la vie pastorale, d'autre part l'offrande de quelques produits de l'élevage qu'ils leur permettent de pratiquer.
Les aînés, représentants vivants des ancêtres
Les aînés sont considérés comme les délégués des ancêtres parmi les vivants et jouissent à ce titre d'une position de supériorité par rapport aux cadets, qui leur doivent un respect absolu.
p. 113
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Alors que la vie de chasse était facteur de ressemblance entre les peuples puisque les esprits animaux étaient les mêmes pour tous, la vie pastorale conduit les groupes d'éleveurs à se distinguer les uns des autres, chacun ayant ses propres ascendants.
p. 112
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Aux frontières de la taïga avec la toundra au nord et la steppe au sud, l'élevage occupe une place croissante. La dépendance des humains à l'égard du bien aléatoire qu'est le gibier décroît, et avec elle l'obligation de se donner eux-mêmes aux esprits en contrepartie du gibier qu'ils les ont laissés prendre. C'est l'essor du sacrifice. En échange de l'héritage en troupeaux et pâturages reçus des ascendants, l'éleveur sacrifie à leurs âmes des animaux domestiques.
La vision du monde égalitaire qui menait le chasseur à s'allier avec les esprits des espèces gibier pour instaurer un échange réciproque cède peu à peu du terrain à une vision du monde hiérarchique qui subordonne l'éleveur à ses ascendants (comme le bétail à l'éleveur). Pour obtenir leur protection, l'éleveur leur adresse des invocations. C'est l'essor de la prière.
Et c'est aussi, plus largement, l'essor des relations entre les vivants et les morts. Il en est ainsi ailleurs dans le monde : l'adoption de l'agriculture, comme celle de l'élevage, va de pair avec des changements similaires dans la vision du monde, l'organisation de la société et la pratique rituelle.
p. 111
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L'âme frustrée est censée nuire aux vivants pour les contraindre à s'occuper d'elle. Elle peut agir de deux façons qui se combinent souvent :
• attraper l'âme fugitive d'un vivant endormi et la retenir captive hors de son corps, le livrant à l'anorexie et à la dépression.
• s’installer dans un corps de vivant déserté par son âme et lui infliger une agitation frénétique. Pour soulager le vivant, le chamane doit dans les deux cas agir sur l'âme du mort.
[…]
Rendre bons les mauvais morts
La tâche du chamane est de « rendre bons les mauvais morts », remarque Hangalov, intellectuel bouriate du début du XXe siècle.
p. 107 /08
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Remarques sur la fatalité de la mort humaine
Mourir sans descendance priverait l'âme d'un humain de la possibilité de revenir animer un nouveau membre de sa lignée : frustrée, son âme serait alors imaginée avide de vengeance.
Avec la mort, la force vitale disparaît. Les rituels funéraires maintiennent l'âme dans les os. Les commémorations successives expriment les précautions prises pour canaliser la sortie de l'âme, son recyclage et son retour. Leur nombre, leur nature et leur calendrier varient selon le type de mort et le type de société.
Le parcours de recyclage posthume de l'âme
En principe, ces commémorations suffisent à engager l'âme du défunt qui a des descendants vivants dans le parcours de recyclage posthume qui la fera revenir pour animer un nouveau membre de sa lignée. Aucune intervention chamanique n'est nécessaire.
La marque du retour parmi les vivants
Chez les peuples mongols, une grande attention est portée à la tache bleue dite « tache mongolique » qui est visible à la naissance dans le bas du dos du nouveau-né et disparaît après quelques mois. Certains parents disent y découvrir l'identité-de l'ascendant dont l'âme est “revenue” dans le nouveau-né.
p. 107
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Les peuples chasseurs chamanistes estiment que leurs parents pasteurs méprisent leurs esprits quand ils leur offrent un animal domestique en rançon d'une âme humaine, et que, s'ils sont bouddhistes, ils trompent leurs divinités quand ils leur offrent des figurines animales faites de pâte peinte en rouge en substitut de véritable viande. Pour eux, des esprits et des divinités qui se laissent ainsi mépriser ou leurrer ne peuvent être d'aucune aide.
[...]
La perpétuation de l'échange implique celle des partenaires. Celle-ci est assurée par le respect des règles funéraires qui permettent, chez les animaux comme chez les humains, le retour de l'âme individuelle dans un nouveau corps de la même espèce animale ou de la même lignée humaine. L'existence d'une descendance est donc impérative. Incontrôlable chez les animaux, cette question est scrupuleusement prise en compte chez les humains.
p. 106
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