Citations de Roberto Arlt (82)
- La vie, ça n'est pas de la littérature. Il faut vivre... Ensuite écrire.
Que pouvait signifier une poésie à côté d'un moteur en marche ou d'une usine en pleine production ? Un poème soulageait-il de l'annihilation morale et physique des milliards et des millards de prolétaires sous le joug du salaire? Non. Alors à quoi servait un poème?
Indubitablement, le succès a très mauvaise mémoire.
Il vagabonda tout l'après-midi. Il avait besoin d'être seul, d'oublier les voix humaines, de se sentir aussi libre de ce qui l'entourait que peut l'être un étranger dans une ville où il a manqué le train.
La lecture des romans m'avait inspiré une conception en quelque sorte dionysiaque de la passion.
L'amour excédait les limites du devoir. C'était un char de feu qui arrachait l'homme à la surface de la terre, l'installait sur les cimes de l'hallucination.
L'homme, en quelque extrémité que ce soit de la passion, offre un champ d'observation remarquable, pour peu que ses confessions permettent de décrire ces excès mêmes.
Les villes sont les cancers du monde. Elles anéantissent l'homme, elles en font un être lâche, sournois, envieux, et c'est l'envie qui impose ses droits sociaux, l'envie et la lâcheté.
Vous croyez que les futures dictatures seront militaires ? Non, monsieur. Le militaire ne vaut rien comparé à l'industriel. Il peut être son instrument, rien d'autre. Et voilà tout. Les futures dictateurs seront des rois du pétrole, de l'acier, du blé.
Mes collègues m'étaient odieux et, quand je ne les haïssais pas, c'était pour les observer avec une méprisante ironie.
Oui, elle en avait fait, des rêves!
Certains jours elle avait imaginé une rencontre sensationnelle, un homme qui lui parlerait des forêts vierges et qui aurait un lion apprivoisé dans sa maison. Son étreinte serait infatigable, et elle, elle l'aimerait comme une esclave ; pour lui, elle trouverait du plaisir à s'épiler les aisselles et se peindre les seins. Avec lui, déguisée en garçon, elle parcourrait les ruines où dorment les scolopendres et les villages où les nègres installent leurs cabanes sur les fourches des arbres. Mais nulle part elle n'avait rencontré de lions : seulement des chiens pouilleux. Et les chevaliers les plus aventureux étaient des croisés de la fourchette et des mystiques de la marmite. Elle s'écarta avec écoeurement de ces vies stupides.
Le temps courait entre ses doigts paralysés par la réflexion.
- Je n'ai pas pour habitude de discuter mes pressentiments.
On m'avait couvert d'éloges excessifs. Quelqu'un m'avait jeté un sort. J'avais triomphé trop vite dans ce cercle de petits requins, pour qui la plus précieuse fleur dont ils pouvaient s'orner était une vanité arrosée d'adulation!
Et ainsi passent les années. Des mon inaptitude se détache une philosophie implacable, sereine, destructrice :
- Pourquoi s'entêter dans des luttes stériles, si au bout du chemin se trouve pour toute récompense un tombeau profond et le néant infini?
Et je sais que j'ai raison.
- Tu crois peut-être que parce que je lis la Bible je suis une poire?
Il dévale vertigineusement vers une supercivilisation atroce : villes effrayantes où sur les terrasses tombent des poussières d'étoiles, où les métros à trois réseaux superposés emportent une humanité blême vers un infini progrès de mécanismes inutiles.
Le malheur, c'est que les humains soient si peu raisonnables. La vie ne serait-elle pas plus fraternelle et harmonieuse si chacun s'en allait de son côté le jour où il en aurait envie?
- Évidemment, l"idéal serait d'éveiller chez beaucoup d'hommes cette férocité joviale et ingénue, il nous incombe d'inaugurer l'ère du Monstre Innocent. Tout se fera, n'en doutez point. C'est une question de temps et d'audace. Quand les gens se rendront compte que leur esprit est en train de se noyer dans les latrines de cette civilisation, ils changeront de cap avant de s'engloutir. Le problème, c'est que l'homme n'a pas encore compris que la lâcheté et le christianisme l'ont rendu malade.
- Oui, il est nécessaire que le Christ vienne à nouveau. Les hommes les plus chiens, les cyniques les plus infects souffrent encore. Et, si lui ne vient pas, qui nous sauvera?
Suis-je bien dans la planète qui m'était destinée ou est-ce par erreur que je me trouve sur la terre ?