Roberto Montaña

Au moment où le Nerveux va l’injurier, ils croisent un groupe de filles qui viennent de sortir de l’eau. L’une, avec un paréo noué à la taille, secoue ses cheveux et l’asperge.
-Hé, tu voudrais pas plutôt que ce soit moi qui t’asperge, chérie ?
La fille s’arrête et le défie du regard.
-T’as dit quoi, là ?
Le Nerveux, avec un sourire forcé, presse le pas.
– Les filles, aujourd’hui, on peut plus rien leur dire.

Il n'aurait peut-être pas dû s'habiller de façon aussi provocante, ni mettre des rangers et ce pantalon noir. Il a toujours attiré l'attention. Pas par snobisme, par principe. Un véritable musicien doit être le même, sur scène comme en dehors. Sinon ce serait une pose, une imposture. Et le rock est né pour combattre les impostures. Mais jamais, jusque-là, il n'avait compris à quel point cela peut être dangereux de susciter les préjugés. Surtout quand on est sur le point de passer la frontière et qu'on a caché dans sa gabardine cinq kilos de cocaïne d'une pureté maximum.

- Quand Nacho m'a raconté, je n'arrivais pas à y croire. Les gars ont dû insister un peu parce qu'au début on pensait qu'il mentait. Ça ressemble à un film, dit l'homme aux santiags en agitant les mains comme s'il voyait une enseigne en néon brillant dans la nuit : Des retrouvailles, un voyage inoubliable, une histoire d'ambitions démesurées... et puis la fuite dans une voiture avec une femme enceinte et un cadavre...
Le type se met à rire, fait une pause et change de ton :
- Dommage que ça finisse mal.

Il sort le portable de sa poche et regarde l'écran noir. Il ne l'a pas rallumé depuis qu'il n'a pas répondu à sa mère. Et s'il appelait maintenant ? Est-il trop tard ? Il traîne la chaise jusqu'à la terrasse, s'assied et, tout en secouant le sable sur ses pieds, pense aux colères de sa mère. Des colères qui sont parfois comme le sable entre les doigts de pied : elles ne le laissent pas tranquille.

- Les flics arrivent, man, il est mort sur la plage, dans un lieu public, tu peux pas embarquer le corps parce que ça te chante.
- Dans le coffre de la Taunus, tout tient.
- Quel rapport ? Un coffre-fort tiendrait aussi mais c'est pas pour ça qu'on va braquer une banque, man.

Les choses ne marchent jamais telles qu'il les avait prévues. Pourquoi ça devrait changer ? Il a l'impression d'entendre les cris de Pat : Avec toi les emmerdes volent en escadrille !

Les filles, aujourd'hui, on peut plus rien leur dire.

- Mais tu es fou, comment tu peux comparer la qualité de ce machin avec les merdes qu’on trouve dans les voitures d’aujourd’hui ? Le seul petit problème c’est que de temps en temps la bande se avaler, mais je le démonte, je pulvérise un peu de WD40 et c’est bon.

- Hé, tu voudrais pas plutôt que ce soit moi qui t'asperge, chérie ?
La fille s'arrête et le défie du regard.
- T'as dit quoi, là ?
Le Nerveux, avec un sourire forcé, presse le pas.
- Les filles, aujourd'hui, on ne peut plus rien leur dire.

- Tu as pas peur qu'il te refile des parasites ?
- Des parasites ?
- Je te dis ça pour le bébé.
- Dans le monde il y a plein de choses plus dangereuses pour un bébé que les parasites de chien, dit Fatima sans cesser de le caresser.