Dans ses gravures, Rembrandt s’est amusé à dissimuler des personnages, les plaçant dans les replis du terrain ou dans les volutes des herbes. On les découvre à la loupe. Le paysage est « griffé » par la présence de l’homme, l’homme en est la texture profonde.
(p. 118)
Il y a des serviteurs nobles et des nobles dotés d'une âme servile.
(p. 48)
Sur la verrière qui lui est consacrée, dans la cathédrale de Troyes, Savinien en est représenté debout, la tête penchée, le regard qui plane au-dessus des convertis agenouillés devant lui. [...] Savinien avait donc tout abandonné–son île natale, ses parents, ses richesses, et un avenir sans doute prometteur–à cause d’un livre. [...] Le livre n’est pas figuré dans ce vitrail. Heureuse intuition de l’interprète de la légende que de mettre dans la main de Savinien le bâton fleuri ! Au bout du voyage initiatique, le texte intègre le cycle vital, s’épanouit en feuilles et en fleurs.
(p. 157-159)
Voudront-ils nous croire sur parole ! Certes, il reste la chance de la littérature ; mais c’est comme l’Eucharistie par rapport à la Cène ou au Calvaire. On en goûte, on a sur la langue le goût du pain rassis. On prend connaissance d’un événement tel qu’il est rendu par l’écriture, mais c’est une autre paire de manches que de participer, de se forger toute une vie à partir de cet événement vécu.
(p. 35)
Après un ou deux kilomètres, peut-être trois — il avait perdu la notion de la distance —, les mains tremblantes, il avait arrêté la voiture. Il avait ri, crié et dansé dans la neige. Et puis, il avait pissé, interminablement, les urates de la peur avaient taché la neige d’une traînée ocre foncé.
C’était ça, l’espoir : sentir son corps léger et purifié, rester là, fouetté par le gel, à regarder à quelques mètres plus loin les enseignes bariolées du premier village surgi sur cette autre moitié de l’Europe.
(p. 206)
Une nouvelle rasade de bourgogne, et il renonçait à tout, en vrac, pour une bibliothèque, qu'il remplissait de livres auxquels il avait rêvé pendant des années, comme à une nourriture inaccessible.
(p. 147)
L’arbre généalogique est un instrument de travail qui nous aide à fouiller dans les secrets des familles, à découvrir les tares et les réussites d’alcôve. Il y a des historiens qui, sur cette base, s’évertuent à dresser des réquisitoires, à accabler les familles de tous les échecs de ce monde.
(p. 49)
Marina admirait la scène ravissante de la forêt de chênes, traversée, en fin d'après-midi, par des rayons de soleil, comme les immenses flûtes d'un instrument à grand orgue. Un véritable automne, dont la beauté qui se déployait semblait oublier les malheurs du village.
Le discours des villageois fait toujours allusion à Dieu. Dieu est avant tout une notion confuse à laquelle ils assignent tout ce qu'ils n'avaient pas accompli, ainsi que tout ce qu'ils n'accompliront jamais, jamais. Dieu - le paysan tout-puissant, le pourvoyeur tout-puissant de semences et de récoltes. Dieu, dont personne ne pourrait se passer, qui s'enfile comme un manteau râpé.
Les tortionnaires connaissent les moyens de changer les mots en instrument de supplice, en actions meurtrières. Par le biais des euphémismes, les paperasses des prisons et des camps peut prétendre à l'accomplissement royal du verbe dans la chair : liquidation, élimination, solution finale, rééducation par le travail…
(p. 123)
Parfois, elle croit qu'elle peut voir autour d'elle des robots qui marchent et répondent comme s'ils étaient mûs par une force étrange et monstrueuse de l'intérieur. Il n'y a plus de chair telle qu'elle est au sens noble de l'accomplissement par la nourriture et l'amour. Il est vide de l'esprit qui est nourri par l'amour.