Une guerre éclair entre l’Argentine et l’Angleterre. Et trop loin de chez nous pour que l’on y soit passionné. Toujours est-il que c’est le premier roman argentin qui croise ma route de lecteur "nu-sous-mon-pancho-comme-un-vrai-argentin-de-la-pampa" et aborde la Guerre des Malouines. D’ailleurs qui cela intéresse les Malouines, surtout en plein mois de mai et juin – durée de la pleine guerre – autour de ces petites îles peuplées de quelques autochtones et autres pingouins de l’hémisphère très-au-sud. De la neige, du froid, du vent. L’air est glacial en cette période, les brebis bêlent - surtout quand elles se font prendre par derrière par des bipèdes - et les tatous creusent.
Ils se nomment ainsi, entre eux, les tatous, comme un hommage à l’animal qui creuse son terrier. Eux ils vivent dans une tranchée, à l’abri du vent, du regard et des bombardements. Ils ont creusé également leur terrier, ceux qui ne veulent plus faire la guerre pour la dictature argentine. D’ailleurs, elle va bientôt se terminer cette guerre, et puis faut pas pousser non plus, dans un mois la coupe du monde va avoir lieu, l’Argentine est tenante du titre, restons mesurés dans la démesure politique.
Alors, oui, j’avoue, j’ai regardé un peu sur Wikipedia ce qu’on disait de cette guerre des Malouines. Je me souviens de l’avoir entendu à quelques titres aux JT d’Antenne 2 à l’époque, cela devait être Christine Ockrent. Mais comme je l’ai dit, trop loin, trop court, trop jeune pour que cela marque. Avec ce roman de Rodolfo Fogwill, je partage donc quelques jours de la vie de ces tatous pas tatoués et sans ukulélé. Je sens le froid qui glace le sang et les os, les problèmes de rationnement, le marché noir avec les Anglais, comment chier dans une tranchée, les rêves de certains, les histoires des autres qui n’ont pas vraiment de noms, juste des surnoms. C’est intéressant, pas aussi passionnant, trop loin, trop court, je l'ai déjà dit deux fois. As-tu déjà pensé à baiser une brebis ? avant qu’elle n’explose sur une mine, odeur de chair et d’abats chauds et fumants qui s’engouffre par le vent au-delà des collines et pénètre par le conduit de cheminée du terrier… Putain ce qu’il fait froid. Et humide. Fuck le blizzard, encore. On revient toujours au blizzard dans ces putains de vie…
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Rodolfo Enrique Fogwill a produit une œuvre anticonformiste où le conte tient une place primordiale. Il renoue avec l’art des grands conteurs en s’efforçant d’entretenir un lien privilégié avec le lecteur qui peut dès lors se figurer auditeur. Mais dépassant la relation hypnotique de la narration traditionnelle, il innove en introduisant les signes générationnels qui ancrent son écriture dans une sorte d’évocation historique de la société de consommation. Ce procédé qui transforme en documents nostalgiques la mode des deux dernières décennies est devenu depuis un des codes de la littérature argentine post-moderne.
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Comme beaucoup de conflits, la guerre des Malouines fut une guerre complètement absurde. Petit rappel des faits pour ceux qui étaient trop jeunes – ou pas nés – en 1982 pour s’en souvenir…
Les Malouines forment dans l’Atlantique Sud un archipel de plus de 750 îles et îlots d’une superficie équivalente à l’Irlande du Nord. Battues par les vents et des pluies régulières et soumises à un climat subarctique, ces îles ne sont constituées que de montagnes, de rochers et de plaines souvent marécageuses où paissent des milliers de moutons. Sommes toute, rien de bien intéressant. Et pourtant, depuis l’installation des premiers colons français en 1764, les Malouines ont souvent fait l’objet de revendications territoriales, que ce soit de l’Espagne, de la France, du Royaume uni ou plus tard, de l’Argentine. La guerre des Malouines est à ce jour le dernier épisode du genre.
En 1982, une junte militaire est au pouvoir en Argentine. La dictature autoritaire et répressive qu’elle fait régner sur le pays et une situation économique catastrophique la rende de plus en plus impopulaire. Cherchant à détourner l’attention de la population et à engranger une victoire qui pourrait restaurer sa légitimité, le pouvoir militaire envahit les Malouines que le pays réclame aux Anglais depuis 1833. En pleine guerre froide et aussi à quelques mois d’échéances électorales qui pourraient prolonger son mandat, Margaret Tatcher, alors Premier ministre britannique, réplique au quart de tour et envoie la Navy dans l’Atlantique Sud. La guerre sera expéditive, se terminant deux mois plus tard par l’écrasante victoire des Britanniques sur une armée argentine en pleine déroute.
Si l’on en croit son auteur Rodolfo Fogwill, « Sous terre » a été écrit en 7 jours en pleine guerre des Malouines, à un moment où l’issue des combats ne faisait plus aucun doute. Il y raconte l’histoire rocambolesque d’une cinquantaine de soldats argentins – la plupart très jeunes et issus des faubourgs des grandes villes du pays – qui ne voulant pas servir de chair à canon dans un conflit très vite perçu comme absurde et perdu d’avance, décident de déserter. Ils creusent alors un abri souterrain – le terrier – qu’ils équipent d’un poêle (la guerre a lieu en plein hiver austral) et dans lequel ils entassent charbon, nourriture, cigarettes et alcool pour tenter de se prémunir du froid et survivre sous la terreur des bombes. On les appellera les tatous, à l’image de ces petits mammifères carapacés d’Amérique du Sud qui vivent sous terre. A l’intérieur, la vie s’organise sous la direction des « Rois Mages », ces quatre, puis 3 soldats à l’origine du projet qui, dans ce monde de la débrouille, vont recréer un semblant d’ordre social avec ses règles de vie ; chacun ayant ses tâches et ses devoirs pour permettre aux uns et aux autres de tenir de manière très pragmatique jusqu’à la fin du conflit.
De prime abord, le style de Fogwill a de quoi surprendre : haché, bref, souvent en mode dialogue, brouillon aussi quant à la source de la narration (on se demande souvent qui est le narrateur). Mais en réalité, cette écriture, tout en déroute participe au rendu de la situation dantesque décrite. Écrit à chaud, au cœur du conflit, même si Fogwill n’a jamais été sur place, « Sous terre » se veut un récit volontairement flou entre fiction clairement revendiquée (l’épisode des tatous est pure invention) et contexte on ne peut plus réel (les forces en présence, les bombes, le froid, les paysages, les moutons sautant sur les mines…). Le résultat, qui n’est pas sans rappeler de nombreux récits de 14-18, est un vibrant plaidoyer contre l’absurdité de la guerre où les déserteurs sont élevés au rang de héros parce que refusant de se battre pour une cause idiote et perdue d’avance, ils se délivrent des contingences pour entamer le seul vrai combat à mener dans pareille circonstance : celui de la survie.
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Malouines, 1982, la bataille fait rage entre l’Angleterre et l’Argentine dans un décor de guerre froide. Dans cet archipel sud austral situé à moins de mille kilomètres de l’Antarctique, Rodolfo Fogwill nous embarque ans le quotidien des fantassins argentins qui, terrorisés à l’idée de subir les attaques d’armes modernes d’une violence inouïe et inédite, se terrent dans des grottes en attendant la fin des combats. Le lecteur partagera le quotidien de ces « tatous » du nom de petit animal sud-américain à carapace qui creuse et se recueille dans son terrier. Peu d’écrivain ont eu l’audace de porter le moindre regard sur ce conflit éclair, et encore moins de regards critiques. Mais c’est ici la seule et unique originalité du roman. A point de comparaison égale, nous pourrions citer les barbus dans les tranchées de Verdun, auquel cas le récit aurait bien du mal à susciter la compassion et la tristesse, comment lier un conflit de deux mois ayant fait moins de mille victimes et une guerre de quatre années ayant retiré des dizaines de millions de vie. Car, oui, ce conflit aura duré deux mois, la vie des tatous dans leur terrier, cinq à six semaines, et pourtant leur sacerdoce aura semblé interminable, bien qu’il s’agisse d’un combat naval et de pilonnage en premier lieu. L’auteur décrit fidèlement les états d’âmes et coutumes de ce groupe de terriens confrontés à la promiscuité, au froid, à la peur et à la faim, en utilisant un langage crû et vulgaire propre à ces jeunes recrues. Pour autant, le récit m’échappe et le fil rouge éclate dès la sortie des lieux. Les scènes sont mélangées, l’auteur cite la fin du conflit et le retour sur le continent pour mieux revenir sur les conflits quotidiens, les militaires ont plusieurs prénoms mais ne bénéficient jamais d’une description qui permettrait de les remettre, le narrateur est inconnu, et semble même parfois changer en fonction des situations. Le conflit en tant que tel est ignoré, qu’il s’agisse de la chronologie, de l’origine de la bataille, de sa finalité ou de son implication géopolitique mondiale. Pire, le décor politique local, phagocyté par la peur que suscite la dictature des généraux, est à peine souligné. Le récit sombre dans le chaos au rythme des pages tournées, la lecture parait plus dure et l’histoire, opaque. Des anglais apparaissent, amis, ennemis, ou collabos ? des nonnes évangélisent les champs, implication de l’Eglise, apparition, anecdote ? D’innombrables questions sans réponse, et dans le désordre. Somme toute, un profond dégout du conflit submerge le lecteur, apitoyé par le sentiment abject suscité par la guerre, mais l’auteur semble avoir rédigé pour lui-même, sans penser au lecteur qui doit faire preuve de caractère pour s’immerger proprement. Sous terre demeure une frustration, celle d’un potentiel énorme mais incorrectement exploité.
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