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Critiques de Roger Caillois (35)
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Pierres

Pierre Caillois nous fait découvrir l'univers des pierres. Mais attention, on est loin du traité scientifique. Non, c'est de la véritable poésie. A partir de la description minutieuse des minéraux, Caillois réveille des forces telluriques qui nous plongent dans le magma de la formation de la terre, nous amène à ré-explorer les chemins de l'évolution.

Les pierres, sous ses mots, prennent des allures d'entités vivantes merveilleuses créées par on ne sait quel génie. Il nous parle de ce gouverneur de la Chine ancienne qui était passionné par l'étude des pierres et oubliait de diriger sa province. Il s'émerveille devant l'immortalité des minéraux qui à certains égards évoquent un condensé de l'univers.

C'est une prose magnifique à laquelle j'ai immédiatement adhéré.
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Les jeux et les hommes

Le jeu est un domaine vaste, qui peut révéler beaucoup de la personnalité du joueur, y compris chez les adultes. Tout le monde a dans son entourage le tricheur invétéré, le joueur qui prend chaque point perdu comme une grave offense, ou encore celui qui vous explique pendant une demi-heure à quel point vous avez eu de la chance quand vous avez gagné et à quel point il a eu du génie quand vous avez perdu.



Cet essai introduit la notion de jeu et présente les différentes manières de l'aborder. L'auteur commence par une définition et une classification des jeux, qu'il répartit en quatre catégories : la compétition loyale, le hasard, le mimétisme, et la recherche du vertige, ainsi que les différentes combinaisons possibles. Un petit plus que j'ai beaucoup apprécié est la présence d'exemples d'animaux qui présentent les mêmes comportements.



La seconde partie est plus curieuse, car l'auteur abandonne presque complètement le thème des jeux pour se concentrer sur les quatre composantes qu'il a citées, et leur persistance dans les sociétés. Les sociétés primitives utilisent principalement les deux dernières (transes, possessions, masques sacrés, …), les sociétés contemporaines les deux premières, avec des règles strictes à respecter, tout en ménageant quelques espaces d'aléatoire (chanson, sport, loterie) pour rétablir la balance.



L'essai est intéressant et montre que le jeu est plus qu'un simple loisir et qu'il est intimement lié à la culture dans laquelle il vit. On peut toutefois regretter que le sujet initial est vite abandonné pour de l'anthropologie, certes pas inintéressante non plus, mais ce n'était pas vraiment ce que je cherchais en ouvrant ce livre.
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Le mythe et l'homme

Le mythe serait l'exutoire des non-dits, des pensées refoulées, voire des contradictions, devenues insoutenables pour l'homme...Largement influencé par la géographie, la sociologie, l'histoire, le mythe crée un héros, qui lui permet de concrétiser tout ce qui est impossible ou interdit...Ainsi le mythe permet d'assouvir tout ce que la faiblesse ou la morale interdit à l'homme.

Puis l'auteur nous entraine dans de précises observations entomologiques, et lui permet de rattacher certaines croyances, à la vie, ou aux pratiques de certains insectes...Le besoin de rêver de s'évader a poussé les hommes à créer des mythes...notre monde moderne n'en crée plus depuis bien longtemps, n'aurions nous plus d'interdits? N'aurions nous plus besoin de rêver...a voir...
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Approches de l'imaginaire

Première approche de Roger Caillois avec ce recueil de textes, publiés entre 1935 et 1950, préliminaires à l’élaboration d’une vision du monde qui se démarquera ensuite progressivement des prémisses ici esquissées. Ce n’est sans doute pas l’idéal pour se faire une idée précise de l’enseignement considéré aujourd’hui comme étant définitif de Roger Caillois, mais rien n’indique qu’il ne soit pas instructif d’errer avec lui dans ses pensées du bas-fond pour mieux comprendre ce qu’il a finalement décidé de retenir. Dans sa préface, Roger Caillois précise qu’il n’approuva plus tous les textes de ce recueil quelques années plus tard, ce qui nous conforte au moins sur sa légèreté.





Pourtant, on découvre ici un Roger Caillois très sévère, lançant des procès contre le surréalisme auquel il appartint pourtant quelques années, contre le rationalisme sans limites, contre le romantisme, le mysticisme et la science poétique tout à la fois, contre la psychanalyse et le marxisme, et enfin contre le roman et le cinéma. On ne peut guère le lui reprocher mais enfin, il semble en faire partie lui aussi. Tout en négatif, il s’efforce toutefois de suggérer ainsi les caractéristiques du paradigme qu’il espère. Un court paragraphe semble particulièrement décisif, dans lequel il rêve impersonnellement d’une société dirigée par une élite éclairée :





« Récusant la force, elle devra posséder une magie ou une grâce, quelque vertu enfin qui sera son principe et qui paraîtra à la nature comme surnaturelle. Et rien ne saurait mieux stupéfier celle-ci que l’abandon volontaire des avantages qu’on s’assure à profiter de sa pesanteur. »





Roger Caillois fait le diagnostic d’une société qui s’est perdue dans la multitude. La désacralisation des valeurs anciennes a provoqué un tumulte dans lequel on se goberge, ne sachant plus à qui vouer notre besoin irrépressible d’obéissance. Même les recherches qui semblent les plus audacieuses finissent par s’essouffler lorsqu’on démasque le culte de la personne qui en est à l’origine. C’est une épidémie que Roger Caillois dénonce, et une épidémie dont la contagion ne cesse de s’accélérer par le vecteur du roman et du cinéma, entraînant la multiplication des prétendants pensant pouvoir prêcher la bonne parole. La quantité augmente, la qualité diminue. Roger Caillois exige plus de rigueur : « Il n’en faut pas moins quitter, à la suite de Rimbaud, toute attitude d’adoration en face du désordre de son esprit. L'imagination ne fait pas d’aveux aussi facilement que le premier coupable venu, sous prétexte qu’elle est bourrelée de remords ». Avec son Collège de Sociologie, il réclame que l’on mette en question l’imagination de la façon suivante :

- En réalisant des expériences provoquant des phénomènes imaginatifs dans les meilleures conditions de contrôle.

- En établissant des techniques permettant d’analyser les déterminations inconscientes.

- En faisant l’étude de toute espèce de conventionnalisme spontané.

- En réalisant l’interprétation réciproque des phénomènes du monde intérieur et extérieur pour placer dans une nouvelle lumière le rapport de la subjectivité et de l’objectivité.

- En récoltant tous les compte-rendus neutres de dépressions, confusions, angoisses et expériences affectives personnelles.

- Enfin, en mettant au jour le problème de la connaissance à l’aide des constructions épistémologiques nécessitées par les problèmes de la méthodologie scientifique contemporaine.





Sans doute, ce dernier point révèle le plus ce qui deviendra l’exigence principale de Roger Caillois pour la suite : la recherche d’une unité entre les figures obsessionnelles de l’imagination et les formes troublantes du monde naturel. Et s’il maltraite le roman et le cinéma, ces formes de l’imagination qu’il juge dévolues au compromis doucereux et lâche, il ne lui échappe pas qu’en faisant l’analyse inconsciente de l’état actuel de la société, elles contribuent à faire prendre du recul au lecteur et à l’isoler, transformant sans le vouloir la société qu’elle se proposait pourtant d’observer. C’est ainsi que la littérature peut devenir une force sociale et, à l’instar de Balzac (je ne suis pas responsable de cette référence et ne fais que rapporter l’opinion de l’auteur, j’aurais plutôt pensé à Walter Benjamin et à son essai sur l’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité technique), c’est dans ce sens que Roger Caillois se propose d’œuvrer.
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Pierres

« Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre – C. Baudelaire », extatique beauté des langueurs lapidaires !

Françis Ponge déplorait le peu d 'épaisseur des choses dans l'esprit des hommes. Oui, les pierres méritent plus que l'acier de nos outils.

Matériau pour la main, matière pour l'esprit.

Il faudrait songer au pierres comme on songe à d'autres pays.

N'est il pas plus dense matière pour notre esprit que le monde muet des pierres, métamorphoses du silence à travers la métaphore du rêve ?

« Appartenir non pas à la terre, mais à la roche, c'est là un grand rêve... » G.Bachelard (La terre et les rêveries de la volonté).

L'attachement naturel de l'homme est à la terre, mais se pourrait il que dans le cœur des pierres se trouvent les sentiers de son âme ?

Espaces infinis, espaces de turbulences poétiques. «  la poésie est un trait d'union entre les opposés » écrivait Bachelard.

« rêver le minéral de façon azuréenne et rêver le bleu du ciel d'un façon minéral. L'unique et l'universel, l'instantané et le permanent,l'abstrait et le concret,la rêverie et la nature,le repos et le mouvement,la hauteur et la profondeur, la profondeur et la surfaces s'y allient dans un accord au sommet des valeurs. » en déduit Edmundo Morim de Carvalho.

Il y a ciel, ombre, sève, spectre, souffle, volute, drapé, lumière, obscurité, fulgurance, sommeil, rythme, transparence, mouvement, abîme dans le paysage infini des roches .

Dans son espace la pierre n'est pas froide, ni dure, ni tranchante. Dans l'étroitesse de notre réalité elle le devient.

Il faut entrer dans la permanence, dans la pleine réalité de la pierre. Un incertain regard permet d'y entrer. Encore faut il y songer...

Roger Caillois, l'enfant qui marchait dans les ruines de Reims, est un fabuleux randonneur.

Il faut le suivre de béryl blanc, en dentrite, de quartz en hématite, de pyrite en silice, de sables en ammonite, de Septaria en Jaspe.

Il observe l' « écriture des pierres » pour nous convier à la lecture des  « structures du monde ».

Géométriquement inopposables elles révèlent un ordre qui nous laisse entrevoir « des formes concevables de la perfection », la loi d'équilibre.

Le chaos luminescent qui les a engendrées nous est inconnu, il nous est inconcevable.

Elles sont d'un temps qui ne peut exister pour nous. Pression, fusion, déflagration,...Quels mots suffiraient pour rejoindre ce qui nous dépasse ?

Ces « énergies plus rudes sans instinct ni sagesse, qui sont au-delà de la vie », ces « pyrotechnies immobiles dans une nuit pétrifiées »

« Les pierres n'attestent qu'elles. ». Elles ont leur propre mémoire elles sont plus âgées que la vie.

Que cette vie que nous nommons si promptement et qui est notre unique essence.

Elles sont d'avant ce que nous sommes mais elles sont aussi la totalité de de ce que nous n'avons jamais cessé et ne cesserons jamais d'être : des poussières d'étoiles. 

« C'était une particule de poussière où se trouvait offert un monde » (Encrier-Montagne de Mi Fou).

« Je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d'une espèce passagère ».

Naturellement remarquables, extraordinaires, merveilleuses, grandes, rares, uniques dans leur étrangeté, multiples dans leur singularité. Nous n'avons aucune réponse à donner aux pierres. Unique signe possible à notre impossible parenté.

A travers les mots de Roger Caillois, devant leur déploiement, leur hauteur, on en vient à se reprocher de ne pouvoir donner à la vie qu'une si petite échelle humaine.

Les pierres ont leur règne, elle ont leur vie.

Vie minérale. Mais acte de vie.

Elles engendrent, elles se meuvent, elles engloutissent, elles aimantent, elles repoussent, s'effritent, s'évanouissent, perdurent, se refroidissent, se fondent, s'échauffent, résonnent, explosent, se chevauchent, s'explorent, se frôlent, se perforent, se touchent, ondulent, s'imbriquent, filent, défilent, se précipitent, se renversent, se déversent, et il suffit parfois d'un simple son pour les fendre.

« à leur manière elles avertissent l'esprit qu'il est de plus vastes lois qui gouvernent en même temps l'inerte et l'organique. ».

Là «  où s'inscrit et se résume le destin entier de la tentative artistique ».

Voilà le recueil des pierres : «  le répertoire entier, le vacarme et l'opulence des formes libres ». Et il suffit d'« une aire presque incolore pour rendre sensible le miracle ».

Les pierres dans les mots de Pierre Caillois respirent.

Un nodule d'agate peut contenir l'amorce d'une vie. Une eau antérieure, un gaz enfermé là depuis la création du monde. Et par modification de la température il est possible de voir ce cœur d'agate battre sous l'effet de sa dilatation. Phénomène inorganique pour notre réalité, et pourtant le cœur de la pierre se met à battre... «  le flux et le jusant inexplicables d'une mer immense et seule, sans lune ni rivages ». Le mouvement est symbole de vie.

« rien de pareil ne saurait arriver dans la réalité ».... Et pourtant la perméabilité constante des volumes et des vides étoilés nous laisse imaginer que tout sait, depuis toujours, être là.

Et c'est naturellement que les pierres inventent l'homme au voyage.

« Les Immortels savent créer des sites, y pénétrer, s'y évanouir. Il leur suffit de dessiner de peindre : une montagne surgit. »

«  Laisser passer en soi la nature, ce n'est pas pour l'homme tenter ou feindre de retourner au nerf ou à l'inerte, ni essayer de se démettre des pouvoirs qui lui sont échus. C'est au contraire, les approfondir, les exalter et les contraindre à de nouveaux devoirs ».

Qui ne comprend pas les pierres se vantera toujours de les posséder. Aucune ne lui appartiendra jamais.

Les pierres sont d'un autre règne, celui de la totalité.

Même brisée une pierre reste toujours ce qu'elle est.



Astrid Shriqui Garain

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Pierres

On lit "Pierres" avec circonspection, par petits coups successifs, admiratifs, prudents. Jamais très longtemps: la pierre n'est pas accueillante..



C'est très beau, parfait, le mot est exact, la syntaxe idoine.



On a un peu l'impression de lire un traité de minéralogie "vulgarisé" -si j'ose dire!- par Mallarmé. En plus limpide. Aucun sous-texte, rien qu'une patiente observation, une totale érudition.



Admirable, mais froid.
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Ponce Pilate

L'auteur nous met dans la peau du célèbre procurateur romain de Judée. Celui-ci se retrouve à devoir juger un obscur prophète pour trouble à l'ordre public. D'habitude les autorité religieuses doivent elles-mêmes juger leurs prophètes ou faux prophètes. Mais s'agissant d'une condamnation à mort, l'autorité romaine doit la valider. Chacune des deux parties aimerait bien "se laver les mains" de cette affaire en déléguant la basse besogne à l'autre. Et nous voici dans la tête de Ponce Pilate, fatigué de devoir encore intervenir dans ces querelles religieuses qui lui sont incompréhensibles. Que doit-il faire ?

L'intérêt de ce livre est de restituer la complexité de la situation de l'époque, sans connaître bien entendu la suite de l'histoire. En mettant en balance les aspects humains, géopolitiques et religieux, la décision n'était pas simple à prendre. Et si après mûre réflexion Ponce Pilate avait décidé d'épargner Jésus, sans doute que le christianisme n'aurait jamais vu le jour ! C'est en tout cas le point de vue de l'auteur, qui défend sa thèse de façon réaliste.
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Pierres

J'ai été plongée dans un univers fabuleux : celui du règne minéral, là où les pierres naissent, croissent, évoluent, vivent.

Je les ai entendues respirer et se mouvoir à un rythme infiniment lent. Je les ai entendues converser avec leurs cousines les étoiles.

Je vous assure, c'est vraiment ce que j'ai ressenti! Et je tournais les pages délicatement de peur que toute cette magie ne disparaisse.

Roger Caillois partage son amour des pierres avec poésie et tendresse. Par leur seule description, il nous emmène dans des temps dont nous étions absents, ceux du lent refroidissement de la planète, porteurs de ces merveilles que nous découvrons aujourd'hui, avec ce petit clin d’œil aussi pour d'autres temps, ceux d'après nous et dont nous serons à nouveau absents. Ce qui est à la fois beau et effrayant.

Faut-il connaître la géologie, les minéraux pour se plonger dans ce livre? Des agates, des pyrites, du béryl blanc, des hématites ou des cristaux, personnellement, je n'en sais pas grand chose; ce qui ne m'a pas empêché de beaucoup rêver, à l’image de ces sages asiatiques s'abîmant dans la contemplation de leurs pierres de rêve.

La description est minutieuse et le ton enthousiaste.

Quelle délectation!
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Ponce Pilate

Voilà un ouvrage bien loin de mes lectures habituelles. Roman philosophique et d'introspection, l'auteur nous fait suivre Ponce Pilate. Cela commence le matin de l'arrestation de Jésus. Le procurateur romain reçoit les Juifs venus lui demander de confirmer leur décision de crucifixion. Le Romain hésite, rencontre différents protagonistes pour rendre son verdict. Parmi ceux-ci on peut citer Judas, Jésus ou Mardouk, l'ami philosophe de Pilate. Nous suivons donc les événements et les réflexions de Ponce Pilate jusqu'à sa décision finale.

Un ouvrage intéressant qui fait réfléchir à la religion et à la fragilité des événements dans la marche du monde.
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Noé et autres textes

Bienvenue dans le monde de la philosophie fantastique !



J'ai toujours été assez fascinée par l'histoire de Noé (voir l'adaptation qu'en a faite Jacques-Rémy GIRERD avec "LA PROPHÉTIE DES GRENOUILLES"), histoire dont ne sait pas d'ailleurs si elle n'est qu'une légende ou bien si, le déluge de cette époque lointaine ne fut pas en réalité un énorme tsunami.



Noé, au début du texte de Roger Caillois, répond aux poncifs auxquels on nous a habitués : c'est un saint homme que Dieu chargea de sauver l'humanité en conservant un couple de chaque espèce animale, avant de déclencher l'immensité de son courroux sur l'univers dépravé. Il prend d'ailleurs sa tâche très au sérieux, construisant méthodiquement son arche. Objet de la risée de tous, qui le prennent pour un fou, il reste impassible devant les quolibets, utilisant même la représentation qu'il donne de lui pour détourner certains matériaux indispensables à l'édification de son bâtiment.



Pourtant, et "ça" on ne nous l'a jamais dit, Noé pense, Noé réfléchit : pourquoi donc est-il l'élu ? qu'a-t-il fait pour cela ? qui et combien seront ces animaux qu'il devra sauver de la colère sans limite de Dieu ? Noé ne connaît que les quelques espèces qui peuplent son environnement. Comment sera-t-il certain de n'en oublier aucun ? Quelles dimensions à donner à son édifice pour que tout le monde y trouve place ? Comment nourrir et abreuver cette smala qu'il pressent gigantesque ? Comment faire cohabiter tous les membres de cette assemblée, sans que les lois naturelles des prédateurs ne viennent y installer la discorde ?



Mais, miraculeusement - n'est-ce pas la main de Dieu qui a initié cette aventure ? - les questions de Noé trouvent réponses. Toutes, sauf une ! "Pourquoi est-il l'élu ?"



Et pendant que vogue l'arche au gré des tempêtes, cette interrogation va tarauder Noé. Elle devient encore plus rémanente, lorsque le héros voit, de derrière son hublot, une mère, son fils juché sur les épaules, sombrer dans les remous. Elle devient plus insidieuse lorsque Noé s'aperçoit que les poissons, tous les poissons, eux ont eu la vie sauve... Alors Noé décide qu'il n'a pas mérité le sort que Dieu lui a réservé et tombe dans la déchéance...



♥♥♥♥♥



Noé n'est pas le seul à être repensé par Roger Caillois. Quatre autres nouvelles toutes aussi métaphysiques les unes que les autres suivent ce texte :



- Mémoire interlope

- Récit du délogé

- L'ultime bibliophilie

- Cent ouvrages pour une bibliothèque idéale



C'est "mémoire interlope" que j'ai le moins aimé... Le "récit du délogé" qui lui fait suite est une petite merveille. On y retrouve la passion de Caillois pour le minéral ; il nous entraîne inéluctablement vers l'idée de notre fin, qui, tous comptes faits, n'est qu'un retour aux sources.



Quant aux deux derniers textes, ils m'ont amenée à réfléchir sur ma condition de lectrice et c'est, pour le moins, assez stupéfiant !
Lien : http://livresouverts.canalbl..
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Pierres

Comme pour dégager un éclat d'améthyste au fond d'une grotte, comme les aiguilles de cristal sur un bloc, il m'a fallu creuser, polir, pour trouver dans ce recueil des pépites, des éclats. Comme l'ont déjà écrit certaines critiques précédentes, ce recueil est érudit, stylisé, travaillé, mais qu'il est froid.

Le poète évoque en prose les pierres, les cailloux, les roches. Il les décrit pour les sublimer, avec de nombreuses images, des métaphores, une profusion de couleurs. Oui, mais comment ressentir de l'empathie pour des êtres qui ne sont pas vivants ? C'est ce qui m'a manqué, il ne peut y avoir de sentiments quand il n'y a pas de chair.

D'ailleurs, les passages que j'ai préférés sont ceux qui évoquent les collectionneurs chinois du Moyen-Âge, prêts à tout pour des pierres rares, de la ruine à la folie, car, là, il y a de l'humain, de la vie. De même, j'ai apprécié la fin, où le poète parle, dit "Je", s'implique dans son sujet. Il justifie sa "passion", donnant sens, corps, à l'écriture elle-même. Ce recueil existe nécessairement, car le poète l'a voulu. Il retranscrit dans son "langage" - qui n'est pas celui des pierres, dans son "lexique", il "livre ses confidences". Le poète - comme le lecteur également - occupe sa place sur terre, fait partie de la taxinomie du monde, comme les pierres, et la poésie est un moyen de dire le monde.
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Les jeux et les hommes

Cet essai de 1958 permet à Roger Caillois d'élaborer une typologie des jeux et une histoire de leurs rapports avec les sociétés humaines à travers le temps et l'espace. C'est très intéressant et illustré de nombreux exemples .Il analyse avec bonheur les avatars multiformes du jeu à l'époque moderne.
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Ponce Pilate

Et si Jésus n’avait jamais été condamné, lecteur ? S’il avait fini sa vie en vieil homme et que le christianisme n’avait jamais vu le jour ?



Pas question, ici, d’égratigner qui que ce soit. Il ne s’agit pas là d’une critique religieuse.



Roger Caillois se focalise sur le moment crucial où Ponce Pilate réfléchit à sa sentence, là où sa méfiance de la religion affronte sa prudence faiblarde, là où il doit décider soit d’entériner la décision des autorités juives et de la foule, soit de libérer un innocent qui n’est que le bouc-émissaire d’une société en pleine mutation. Tout le livre explore le point de divergence, imaginant que, finalement, Ponce Pilate refusera de condamner Jésus.



Quelles que soient tes convictions intimes, viens, lecteur, te laver les mains aux côtés du procurateur qui a changé la face du monde : tu comprendras la complexité de la vie politique de l’époque et ne regarderas peut-être plus Judas du même œil.



Carton plein pour cette lecture exigeante, qui révèle avec beaucoup de finesse les relations ténues qui lient les religions archaïques aux grands monothéismes. Il fait de l’Histoire une matière opaque, malléable et volatile. Loin de l’image que je m’en faisais, celle d’un illuminé sympathique qui a passé son temps à palabrer sur le jeu, Roger Caillois se révèle être un original de la pensée, qui regarde l’Histoire en appliquant la politique du pas de côté, et j’aime la délicatesse dont il use pour contourner avec subtilité les grands tabous religieux.



A lire débarrassé de toute fièvre.

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Et pour d'autres pas de côté, rendez-vous aussi sur Instagram :
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L'Homme et le Sacré

Cet ouvrage nous a été présenté par une enseignante lors d'un cours nommé L'homme et le Sacré. Très intéressant si l'on veut en apprendre plus sur les rites et traditions de nombreux peuples et tribus, notamment en Polynésie si je me trompe. On l'a étudié en classe pendant les journées chaudes de l'été 2015...comme le temps passe vite !
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L'écriture des pierres

J'ai découvert cet ouvrage dans la collection "Les Sentiers de la création" de chez Skira avec de magnifiques illustrations. Roger Caillois y mène une réflexion poétique sur ce que l'imagination humaine peut inventer à partir des formes incluses au sein des minéraux , soit qu'il se contente d'y rêver des formes , soit qu'il ajoute à la nature sa propre touche. C'est très beau .
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Oeuvres

En un seul volume, dense, superbement mis en page et joliment illustré, l'essentiel de la pensée et de l'oeuvre d'un grand intellectuel. Caillois explore les frontières entres les Lettres, l'anthropologie, les sciences. C'est éblouissant.
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Noé et autres textes

Roger Caillois : le jusqu'au-boutiste de la libre pensée, de l'esprit libre.

Imaginaire , poésie, rêve, réalité, sens, images, mythes, mémoire, corps, conscient, inconscient, toutes ces passerelles qui s'enchevêtrent , se chevauchent, et se déploient dans nos multiples espaces le fascinent.



C'est toujours l'esprit qui est garant de la liberté de l'homme. Son ultime et dernier rempart, celui qui lui permet de comprendre, d'analyser de saisir la pertinence ou la non pertinence de ce qui l'entoure, la correcte réceptivité de ses émotions, des mille et un espaces dans lequel il se meut.

Ces cinq textes illustrent quelques préoccupations majeures de l'auteur.



Noé :

ou comment l'homme, plein de son propre orgueil, se retrouve être le jouet d'une des plus grandes supercheries « divines »..

Noé, cet humble héros- qui se voudrait l'être bien « malgré lui »-, n'est en fait que la victime de sa crédulité provoquée par sa propre morgue.

L'élu, le Sauveur, celui sur lequel repose la pérennité de la création..

Noé y croit, il y croit si fort et tellement qu'il en oublie de penser.

Mais petit à petit, il retrouve son esprit et Noé se met à penser.

Et plus il pense, sans même avoir eu l'idée de douter, plus il pense et plus l'énormité de la réalité se prononce dans son esprit.

Un déluge, Une terre recouverte par les eaux, un bateau, une arche, un spécimen de chaque espèce...projet insensé.

Réalisable donc possible mais insensé puisque mensonger.

Parce qu'il regarde il se rend compte. Il se rend compte de l'injustice que contient ce projet : une partie de la création n'est pas, n'a jamais été concernée par cette punition divine.

Pas de poissons, pas de cétacés, pas de mollusques dans l'arche...Quant aux oiseaux...

Les seuls à être punis seront les rampants, les habitant de la terre, pas ceux de l'air pas ceux de l'eau...

L'homme vaut moins qu'un moineau, moins qu'une crevette. La sélection divine est totalement subjective. Pourquoi les uns, pourquoi pas les autres... Pour quoi eux, pourquoi pas moi...

Noé est effondré et pour oublier sa peine qui devient sa honte, il boit, il boit comme un trou, le vin de la vigne, le nectar de cette belle vigne qu'il planta sur le mont Ararat après que les eaux se soient retirées.

Noé, ce beau capitaine devient naufragé...

Il ne fut que le jouet de ce qu'il croyait.

Évidement l'histoire retiendra le projet et passera sous silence l'incohérence de l'objet.

Sacré Noé, fichu déluge, ….ainsi dériva toute l'humanité..



Mémoire interlope :

Un rêve, un songe.. et voilà que la réalité se loge dans notre mémoire. La vie n'est pas un songe pour Caillois. Non, on vit dans la réalité, on se confond dans le rêve. On magnifie, on explore, on crée, on se perd parfois dans le rêve.

Mais on réalise dans la vie. Le rêve berce l'esprit et voudrait imprimer sa mémoire.

Alors il faut que l'esprit mène l'enquête, qu'il suive les indices, qu'il relève les traces,

C'est l'esprit qui dénouera l'intrigue. L'esprit n'est pas le jouet du rêve, c'est l'esprit qui doit veiller à en rester le maître. L'esprit, sentinelle, doit toujours rester éveillé, c'est à ce prix que la mémoire reste fidèle.



Récit du délogé :

L'homme qui se « désindividu ». Transport et non métamorphose. Différenciation extrême entre le corps et l'esprit. Si le corps peut prendre forme par l'esprit, l'esprit lui est capable de se dissocier du corps. Un homme, au bout de son état d'homme, dans la lassitude de son enveloppe, dans l'usure de la représentation de cette enveloppe dans la société, décide de se déloger de son corps et de venir se loger dans le corps d'un parasite qu'il abrite : une espèce de moule venue se loger dans son bas ventre. ...Un mollusque. Il est lui mais dans un autre.

Il reste pleinement conscient de lui même, et perd peu à peu ce qui le rattachait à son état d'homme.

Il est lui, mais en tout. Il était donc avant même d'être un homme. Il est par son esprit bien plus que dans son corps. Sa mémoire humaine s'efface peu à peu, s'éloigne. Mais il sait et réalise qu'il devient ce qu'il est. Il redevient.



L'ultime bibliophilie

Lecteur ou bibliophile ? Adorateur ou amateur ? Le livre : ce prodigieux objet du délice..

Le contenant, le contenu ? Le flacon ou bien l'ivresse ? La valeur ou la possibilité ?

Possédant, possédé ? Et si tout justement résidait dans l'image même de l'objet ?

Alors lire, ou... devinez !



Cent ouvrages pour une bibliothèque idéale :

L'idéal n'existe pas pour Caillois.

Trop étroit, trop restreint, trop figé comme espace.

L'esprit est libre et donc : il change, il évolue, il flâne et vagabonde. Il a ses goût qu'il convie à l'instant, il se contredit, se détourne, courtise, convoite, progresse, se façonne.

Alors cent livres qui pourraient donner profil à un esprit...!

On est toujours appelé vers ce que l'on ne connaît pas. C'est là le gage de la bonne santé de sa liberté.

Dresser une liste, voilà qui n'a aucun sens pour l'auteur.

Il faudrait y mettre beaucoup de livres inconnus.

Et comment les recenser si ils nous sont inconnus ?

Le seul intérêt de cette entreprise serait, peut être, de voir cet esprit s'interroger à ce sujet, à savoir : l'impossible réalité de tout idéal...



Astrid Shriqui Garain





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Ponce Pilate

Le résumé de la quatrième de couverture est trompeur. Je pensais avoir à faire à une uchronie, c'est plutôt la narration du point de divergence (le fameux "et si...") d'une uchronie non écrite.

Dans ce roman très court, Roger Caillois se met dans la tête de Ponce Pilate au moment où on lui demande de valider la condamnation à mort de Jésus. C'est une décision de justice, mais aussi une décision politique. On suit les doutes, les pensées, les hypothèses de Ponce Pilate, jusqu'à sa décision finale de relâcher Jésus (ce n'est pas un divulgâchage car c'est écrit en 4ème de couverture).

L'uchronie est balancée en un court paragraphe final, ce qui est très décevant à mon sens.
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Instincts et société

Un ensemble d'essais traitant de la présence de la violence et des mythes au coeur des sociétés dîtes civilisées ;Une premiere partie analyse la sociologie du bourreau,la fascination pour les trésors et les puissances du vertige.Une deuxième partie porte sur l'esprit des sectes.Enfin dans la troisième partie il écrit sur la mort dans le cinéma américain,l'usage des richesses et sur le pouvoir charismatique.
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Oeuvres

Du mythe aux minéraux par les évidences dérobées, les sciences diagonales, les plus osées hypothèses conciliées à une austère rigueur, une froide dépersonnalisation. Étrangement rapiécé, ce Quarto des Œuvres de Roger Caillois parvient à donner à lire la singularité d’un itinéraire, sa constance à travers son apparent disparate, son éperdue recherche d’un fantastique naturel qui signalerait (permettrait de nous absenter dans sa rêveuse contemplation) à la fois le fini, le connaissable, le matériel comme l’est l’imagination, et une place de l’homme au sein d’une nature à laquelle, sans distinction, totalement il appartient. Fascinante, parfois difficile à suivre, datée aussi dans ces hypothèses scientifiques, parfois comme trop assurées de soi, ces Œuvres sont une lecture essentielle.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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