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Critiques de Roger Duchêne (11)
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Madame de Sévigné ou la chance d'être femme

Madame de Sévigné naît en 1626, d’un gentilhomme bourguignon et d’une fille de financier parisien. Elle est le premier enfant du couple, mais elle sera vite orpheline. Son père meurt sur le champs de bataille lorsqu’elle a tout juste un an. Sa mère décède à son tour six ans plus tard. La petite Marie de Chantal-Rabutin sera élevée par sa famille maternelle, d’abord par ses grand-parents, et eux décédés, par la famille de son oncle, Philippe de Coulange. La grand-mère qui lui reste, Jeanne de Chantal, qui sera canonisée après sa mort, est bien occupée à fonder l’ordre de la Visitation, et ses nombreux couvent, et même si elle s’intéresse à Marie, la laisse au quotidien aux Coulange. Marie sera une petite fille choyée, élevée au sein d’une parentèle nombreuse et aimante, et elle gardera toute sa vie des liens privilégiés avec ses parents du côté maternel.



Elle recevra une éducation moderne, à base de lectures et de conversations, elle a aussi appris l’italien. Elle n’ira pas au couvent, c’est à la maison qu’elle suivra l’enseignement de maîtres : le conseil de famille fixe de sommes rondelettes pour leurs rémunérations. Tout cela lui permettra d’être très à l’aise dans les salons, de briller par son esprit et sa conversation.



A dix-huit ans on la marie, avec Henri de Sévigné, qui lui donnera deux enfants, avant de mourir en duel pour une autre femme. On sait peu de choses de ce que fut ce mariage, le mari était dépensier et infidèle, pas forcément plus que les hommes de son milieu en général. Le jeune couple paraît avoir mené joyeuse vie à Paris, et l’enjouement de la marquise semble apprécié. Nous sommes pendant les années de la Fronde, de son agitation, son nom est mentionné dans les gazettes. La marquise est aux premières loges. Après le décès de son mari, elle partagera sa vie entre Paris, où elle aime briller dans les salons, s’amuser, et les terres bretonnes de son mari. Elle doit faire attention à son budget, et veiller à ses intérêts. Sa fille Françoise-Marguerite est une véritable beauté, elle sera même surnommée « la plus belle fille de France » le temps d’une ou deux saisons, où elle danse à la cour. Mais il s’agit de la marier, après différentes possibilités, ce sera François de Grignan. Françoise-Marguerite semble s’être beaucoup attaché à ce mari, avec qui elle aura plusieurs enfants. Charles, le fils, semble avoir hérité la tendance à la dépense excessive et aux amours nombreuses de son père et essaie de faire carrière dans l’armée avant de se ranger en Bretagne sur les terres familiales.



La marquise de Sévigné aura été sans doute bien oubliée, un personnage très secondaire de l’histoire, une spectatrice, certes bien placée pour observer, mais sans aucune influence sur les événements, ni talent particulier. Mais cette femme qui paraît peu passionnée, appréciant la sociabilité des salons et des fêtes, dans une sorte de bonne humeur raisonnable, va se découvrir des sentiments très forts pour sa fille, dont elle sera séparée. François de Grignan, va en effet occuper la charge de lieutenant-général en Provence, et donc la famille y résidera. Madame de Sévigné vivra mal les séparations, voudra le plus possible faire venir sa fille à Paris, mais Françoise-Marguerite préférera visiblement la compagnie de son mari à celle de sa mère. Les relations des deux femmes ne semblent pas avoir été simples : la marquise démonstrative et charmeuse, et sa fille beaucoup plus réservée, souhaitant visiblement une distance avec cette mère parfois envahissante. Pendant les longues périodes de séparation, il n’y aura donc que les lettres, pour combler l’absence, pour savoir ce qui arrive, pour dire les sentiments, pour partager le quotidien. La marquise attend avec grande impatience celles de sa fille, et écrit les siennes : lire et écrire les lettres sera sa grande occupation, en particulier en Bretagne. Une lettre à chaque service postal : deux puis trois fois par semaine. Cela fait une grande quantité. Il y a aussi les lettres qu’elle a écrites à d’autres, mais dont la plupart se sont perdues. Nous n’avons pas non plus les lettres de Madame de Grignan, c’est donc un monologue.



Les lettres de la marquise de Sévigné paraîtront seulement après sa mort. D’abord des lettres qu’elle a adressé à son cousin, Roger de Bussy-Rabutin, homme de lettres, qui publie certaines missives de la marquise, mais uniquement parce qu’elle lui avait donné la réplique : les écrits de sa cousine ne sont là que pour mettre en valeur l’esprit de l’auteur reconnu qu’est Bussy-Rabutin. Mais ce sont les lettres de la cousine qui attirent l’attention et provoquent l’édition des certaines lettres adressées à Mme de Grignan. Il y aura quelques parutions désordonnées, et à un moment Mme de Simiane, la petite fille de la marquise, chargera un certain Perrin, d’en faire une édition plus complète, qui comptera 8 volumes. Malheureusement, Perrin va remanier le texte, prendra beaucoup de libertés avec les lettres d’origine. Il essaie surtout de faire entrer le texte très libre de Mme de Sévigné dans les canons de l’époque. Et les originaux seront détruits. Les éditions précédentes, plus restreintes, ainsi que la copie faite de certaines lettres, permettront toutefois des comparaisons, tout au moins avec une partie des textes.



Et c’est ainsi que cette femme qui n’a jamais eu l’ambition d’être une écrivaine va rentrer dans le Panthéon de grands auteurs classiques. Par hasard, sans l’avoir voulu, ni même considéré comme possible, ni souhaitable.



Roger Duchêne restitue cette vie, qui est au final assez représentative d’une femme de sa condition, de sa position sociale, qui reflète son époque. J’avais presque par moment la sensation de me retrouver dans Vingt ans après de Dumas, tant les personnages historiques du roman, sont tout simplement les amis et relations de Mme de Sévigné. Sa vie à elle n’a pas été à proprement parlé romanesque, mais illustre un certain nombre de processus à l’oeuvre à son époque. Par exemple la vie de cette classe privilégiée qu’est la noblesse. Qui vit clairement au-dessus de ses moyens, qui s’endette en permanence. Pour acheter une charge, cette dernière amenant souvent plus de dépenses pourtant que de revenus. Mais il faut se faire voir, essayer d’attirer l’attention du roi, être quelque chose. Il faut aussi doter les enfants, pour faire un beau mariage, indispensable pour exister socialement. Une vie de paraître, de mondanités, que la marquise appréciait visiblement beaucoup. Sa situation de veuve lui aura laissé beaucoup de liberté, ce qui semblait très bien lui convenir : c’était le seul état pour une femme de son époque permettant une telle marge de manœuvre. Une vie en somme heureuse.



La biographie de Roger Duchêne est très complète, elle brosse un portrait aussi précis que possible de la marquise, compte tenu de nos connaissance, ainsi que de l’époque et du contexte historique. L’auteur connaît parfaitement l’oeuvre, il a édité les lettres en Pléiade, et on sent la familiarité qu’il entretient avec les écrits de la marquise. Sans oublier une visible sympathie pour cette femme, dont il s’ingénie à nous donner l’image la plus fidèle, avec empathie et bienveillance, mais sans déroger à la vérité.



Très intéressante lecture.
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Molière

Grand spécialiste du XVIIe siècle, Roger Duchêne s'est beaucoup intéressé aux femmes : les Précieuses, certaines auteures dont Mme de Sévigné etc. Mais il a aussi écrit cette biographie de Molière, considérée comme de référence avant la sortie il y a un peu plus d'un an de celle de Georges Forestier, le grand spécialiste actuel du théâtre classique. Après avoir lue cette dernière, j'ai voulu la comparer à celle de Roger Duchêne, dont j'ai apprécié certains autres ouvrages.



La biographie de Roger Duchêne est très longue (presque 700 pages) et très détaillée. Elle s'appuie, comme il se doit, sur les sources, les textes. Mais il ne faut pas se faire d'illusions : beaucoup de choses, surtout les plus personnelles nous échappent, et l'homme Molière restera toujours une énigme, parce que presque aucun document personnel n'a été conservé. Les biographes, et c'est inévitable, en viennent à interpréter, à projeter, à faire des hypothèses, qui en disent parfois plus sur eux que sur le personnage principal. D'où certaines divergences, inévitables. Roger Duchêne est un auteur honnête et scrupuleux : il nous donne les éléments sur lesquels il se base, même si certains ne vont pas dans son sens, ce qui peut par moments d'ailleurs alourdir le texte. Il prend comme fil rouge de son livre deux textes, la première biographie écrite sur Molière par Grimarest hagiographique à souhait, et une comédie satirique de Le Boulanger de Chalussay qui attaque à outrance l'auteur du Tartuffe. On sait maintenant à quel point les deux textes sont loin de la vérité, qu'ils sont au moins à manier avec précaution : Georges Forestier a préféré ne pas en tenir compte, autrement qu'en démontrant leurs invraisemblances en préambule et partir d'autres sources. Roger Duchêne les réfute de façon plus détaillée tout le long de son ouvrage, ce qui malgré tout, à tendance à les légitimer, et peut-être qu'il eut mieux valu les laisser de côté, mais pendant longtemps, la biographie de Grimarest a été la source de référence et l'image de Molière qu'elle a transmis continue à nourrir les représentations de Molière dans le grand public.



Probablement, si on lit une seule biographie, celle de Georges Forestier est préférable : l'auteur est vraiment un spécialiste pointu de l'auteur du Misanthrope, et pour de nombreux points il donne des analyses qui sont très éclairantes et convaincantes. Par exemple pour la genèse du Tartuffe : la pièce et ses contradictions s'expliquent très bien si on part du principe d'une première version en trois actes cohérente, réécrite en cinq actes pour obtenir la levée de l'interdiction la concernant. De même en ce qui concerne l'attitude de Louis XIV : le fait que l'interdiction survient alors qu'il s'apprête à une offensive contre les jansénistes justifie très bien qu'il ne veuille pas indisposer l'Eglise à ce moment précis, et qu'une fois l'affaire réglée, il puisse autoriser la pièce, comme une affirmation de son pouvoir, et qu'à cette époque il est très loin d'être le bigot achevé qu'il sera à la fin de sa vie. Tout cela est un peu flou chez Roger Duchêne, qui n'a sans doute pas autant étudié les textes de Molière de près que Georges Forestier.



Néanmoins, il y a des vrais plus, dans la description du contexte, de la vie au quotidien d'une troupe de théâtre, dans l'étude détaillée de l'évolution du répertoire du théâtre de Molière après son retour à Paris, de l'équilibre financier et malgré le succès de sa fragilité. Etrangement, la personne de Molière m'a parue plus proche : Roger Duchêne détaille les fréquentations de l'auteur-comédien, et il est clair que ce n'était pas des enfants de cœur : visiblement de bons vivants, portés à une forme de libertinage intellectuel, voire pour certains à l'athéisme. Molière devait mener parmi eux une vie plutôt animée et joyeuse, qui comportait aussi des échanges intellectuelles iconoclastes. Ce qui explique aussi une partie de son œuvre, et laisse supposer une personnalité qui devait s'accommoder mal de la perspective de reprendre les activités professionnelles paternelles avec la vie bourgeoise rangée qui allait avec.



Un ouvrage très recommandable.
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Jean de La Fontaine.

Une biographie publiée il y a trente ans par un grand spécialiste du XVIIe siècle, et qui a édité les Fables, donc un familier de l’oeuvre.



En préambule, je tiens à souligner à quel point il peut être quelque peu frustrant de lire des biographies des hommes de cette époque. En effet, peu de traces de la vie, de ce qu’a été l’homme. Peu de lettres ont survécu par exemple, et souvent, surtout chez un homme de lettres, elles étaient des morceaux de bravoure, destinées à circuler, à être lues dans un cercle, plus que l’expression de sentiments ou d’opinions intimes et personnelles. On se base donc sur des documents officiels, juridiques entre autres, actes de mariages, achats et ventes de biens, procès etc. Eventuellement des écrits des gazettes ou ce que ses contemporains ont pu en dire, en sachant que tout cela obéit à des codes précis. Mais on ne peut pas réellement avoir accès à l’intime d’un homme, on peut juste inférer.



Né en 1621, dans une famille de bourgeoisie aisée à Château-Thierry, La Fontaine était destiné à suivre la carrière paternelle de maître des Eaux et Fôrets, dans le meilleur des cas à s’enrichir encore davantage, voire viser l’ennoblissement, qui validait en quelque sorte la réussite sociale. Il devait devenir un notable de province, ce qu’il a d’ailleurs été une partie de son existence. Comme la plupart des jeunes de sa condition, il fait des études de droit, où il rencontre des joyeux compagnons, poètes qui taquinent les muses, fait un bref passage par l’Oratoire, mais décidément la religion n’était pas sa vocation. En 1647 son père arrange un mariage avec une jeune fille de la même condition sociale, ce qui permet d’agrandir le patrimoine familiale. Il partage les fonctions de maîtres des Eaux et Forêts avec son père, et après sa mort l’occupe tout entier. Il partage son existence entre la province et Paris. Il finira par se débarrasser de sa charge, se séparer plus ou moins de sa femme, même si officiellement ils sont toujours mariés et gardent des relations. Il dilapidera l’héritage familial, entre autres à cause de sa passion pour le jeu. Il vivra la vie d’un célibataire impécunieux, subsistant surtout grâce à des amis, une sorte de vieillard indigne, même si académicien. Il finira par se convertir à la toute fin de sa vie.



Il écrit sans doute dès sa jeunesse, mais publie tardivement, à 33 ans, une pièce de théâtre, L’Eunuque, qui a été un échec. Il rêve à la grande littérature, poésie ou théâtre, mais en fréquentant Foucquet et son cercle, et pour plaire dans ce milieu, écrit des petits poèmes galants, s’adapte en quelque sorte. La chute du puissant surintendant sera un coup rude. Il va s’essayer à différents genres, sans grand succès, mais il commencera à acquérir une forme de reconnaissance, même si quelque peu scandaleuse, avec ses Contes. Tirées de Boccace, des Cent nouvelles nouvelles etc, elles ne sont pas forcément originales, mais La Fontaine arrive à leur imprimer sa marque. Cependant, le XVIIe siècle devient de plus en plus intolérant pour ce genre de productions "licencieuses", et à la fin de sa vie, ces écrits lui seront fortement reprochés : il devra promettre de ne plus en écrire pour entrer à l’Académie, et devra les abjurer lorsqu’il sera vieux et malade pour obtenir le pardon de la religion.



Mais bien entendu, c’est avec ses Fables qu’il va donner le meilleur de lui-même. Genre mineur, peu reconnu, c’est pourtant celui qui va convenir le mieux à son talent, celui d’un conteur, et d’un homme sans doute plus à l’aise dans la forme brève que dans les grands genres. Il va transformer l’héritage antique d’Esope et de Phèdre, écrire des textes moins lapidaires, et dans lesquelles la moralité est parfois absente. Il va porter le genre à son apogée. Il semble avoir souffert d’avoir été identifié à ces œuvres seules, qui ne lui permettaient pas d’être reconnu comme un grand auteur, même si dès la fin de sa vie, leur qualité et importance commençaient à être reconsidérées. Elles lui permettront toutefois de toucher un vaste public très rapidement. Et de traverser les siècles, ce que bon nombre de ses contemporains qui tenaient le haut du pavé, n’ont pas réussi à faire.



Cette biographie, peut-être un peu longue (il y a quelques répétitions par moments) m’a permis de mieux connaître l’homme et son époque, et de lire un peu différemment ses œuvres.
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Etre femme au temps de Louis XIV

Grand spécialiste du XVIIe siècle, auteur de plusieurs biographies de référence d’auteurs de l’époque, Roger Duchêne s’est particulièrement intéressé aux femmes qui ont vécu pendant ce que l’on a appelé le grand siècle, ou le siècle de Louis XIV. Dans ce livre, il présente la condition féminine et le quotidien des femmes dans une large perspective, qui fait en grande partie le tour de la question.



Nous sommes à une époque charnière, pendant laquelle un certain nombre de savoirs et de représentations ancestrales sont en train de bouger, sous l’influence de la science qui réalise des progrès à une vitesse inconnue jusque là, et aussi à tous les ébranlements et repositionnements entraînés par la religion réformée et les réponses qui y sont apportées par les catholiques. Ainsi, c’est la médecine expérimentale, qui pratique la dissection qui montre que la femmes n’est pas un homme inachevé ou manqué, mais qu’elle est un être spécifique, différent et complémentaire de l’homme du point de vue physique.



Une des conséquences du concile de Trente, qui reconnaît l’importance de la femme en tant que potentielle zélatrice de la foi, pouvant de par son influence entraîner sa famille, et en particulier son époux, est la légitimation de son instruction, certes élémentaire, pratique et tournée vers la religion, surtout pas identique à celle de l’homme de par son contenu et ses ambitions, mais néanmoins une légitimation réelle.



Certains hommes reconnaissent que les femmes sont capables d’apprendre, qu’elles peuvent en avoir envie, et les dames de milieux privilégiés s’adonnent de plus en plus aux apprentissages. Elles se cultivent d’une autre façon que les hommes dans les collèges, grâce à la lecture d’oeuvres en français (et non pas en latin que sauf des rares exceptions elles ne connaissent pas), en particulier des romans, genre réputé leur être réservé, et aussi par des échanges dans des lieux de sociabilité mixte, où la conversation « galante » est censée s’adapter à ceux qui savent le moins, et qui doit avant tout ne pas être pédante. Cette nouvelle culture les autorise à juger, en particulier les œuvres littéraires, ce qui n’est pas sans provoquer des réactions de ceux qui estiment qu’elles n’ont pas de légitimité pour le faire. Certaines vont même jusqu'à s’essayer à écrire, mais surtout dans les genres jugés mineurs (lettres, romans etc) et sans forcément revendiquer leurs œuvres ouvertement, voire en niant les avoir écrit. Car si le droit d’apprendre et de savoir commence à leur être reconnu, c’est à condition de ne pas l’étaler, ne pas concurrencer les hommes. Le chemin sera long, mais quelque chose débute là.



De nombreux autres aspects seront successivement abordé dans ce livre, en partant du corps, de la maternité (fonction essentielle de la femme), du mariage, des lois, du travail, de l’éducation, du sentiment amoureux et de ses représentations etc. Il n’est pas possible de tout citer, tant le livre est riche. L’auteur part toujours des textes, surtout littéraires, mais donne aussi des chiffres, des statistiques. Extrêmement rigoureux, il est visiblement engagé également. Passionnant à lire de bout en bout, son livre nous fait voyager dans le temps, dans les mentalités, mais conserve incontestablement des résonances contemporaines.
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Les précieuses ou comment l'esprit vint aux f..

La préciosités, et les femmes censées l’avoir portée, les Précieuses, sont définitivement associées au XVIIe siècle comme une de ses marques les plus distinctives. En reprenant mon Lagarde et Michard (désolée pour les plus jeunes qui n’ont pas connu ce monument aussi incontournable qu’horripilant ) je trouve tout un chapitre qui détaille la préciosité, la littérature précieuse, accompagné de quelques (rares) textes : Voiture, l’Astrée, Mlle de Scudéry… Et la fameuse carte du tendre. C’est à cette représentation officielle que s’attaque Roger Duchêne : qu’est-ce que la préciosité au XVIIe siècle, et surtout qu’est ce que la Précieuse qui l’aurait incarnée ? A-t-elle seulement existé ? N’est-t-elle que ridicule et affectation ? L’auteur est allé chercher à la source, dans les textes de l’époque pour essayer de trouver une définition, cerner son identité et préciser les enjeux qui se cachent derrière cette dénomination.



Précieuse en tant que substantif apparaît uniquement en 1654, c’est à dire tard dans le siècle, bien après la plus grande époque de la chambre bleue de L’Hôtel de Rambouillet, réputée le net plus ultra de la préciosité et des précieuses dans les manuels. Précédemment, utilisé comme adjectif, il est entièrement positif et attribué aux grandes dames que l’on souhaite flatter. Même en tant que substantif, il est régulièrement associé aux dames les plus en vue : nièces de Mazarin, des dames d’honneur de la reine etc. Des personnes influentes, censées être belles, intelligentes, spirituelles et qui donnent le ton à la bonne société. Sans forcément avoir grand-chose de commun entre elles ni avoir particulièrement à faire avec la littérature.



Roger Duchêne pointe une confusion entre la galanterie et la préciosité. La galanterie était surtout un art de vivre, un comportement social parfait dans la société qui l’a vu naître. Il s’exprime avant tout dans la conversation, c’est un art de plaire, qui exclu une approche trop sérieuse, art du brillant et de la distanciation. Le galant homme (et la dame galante sans rien de péjoratif) remplace l’honnête homme du XVIe siècle en tant qu’idéal de l’homme social. La galanterie suppose la présence des femmes, mais l’amour n’est pas le seul, ni même le sujet principal. La galanterie s’intéresse à tout, il s’agit d’être plaisant, agréable, non pédant. Les galants sont les tenants d’une nouvelles culture, délivrée de l’emprise des doctes et de leurs règles, ne supposant pas des études poussés des Anciens, acquise par la conversation et la littérature en langue vulgaire, poésie et roman. Une culture accessible aux femmes, qui même issues de la meilleures société ne font pas d’études poussées, en particulier n’apprennent pas le latin. Il y a eu une littérature galante, en réalité, ce que notre vieux Lagarde et Michard classe en littérature précieuse, était appelé en son temps littérature galante. Cette approche galante permettait aux femmes de s’exprimer, de prendre position, de juger des œuvres littéraires, et des œuvres de l’esprit en général, puisqu’elle ne nécessitait pas des connaissances qui à l’époque, sauf des rares exceptions, n’étaient pas accessibles aux femmes. Elles en sont les bénéficiaires, mais cette nouvelle culture correspondait aussi à l’aspiration des hommes du monde, qui même mieux éduqués que leurs compagnes, préféraient une culture moins savante et moins rébarbative.



Parmi tous les textes qui évoquent les Précieuses, le plus fouillé et riche, est un roman de l’abbé de Pure, La précieuse ou les mystères des ruelles (les ruelles étant l’équivalent de ce qu’on appellera plus tard les salons). Malgré sa longueur, il n’arrive pas à définir réellement ce qu’est une Précieuse. Plusieurs pistes sont explorées, sans arriver à une conclusion. Les femmes de ce texte expriment une aspiration à une vie de l’esprit, se revendiquent comme êtres de raison et non pas uniquement de sensibilité et passion, et veulent juger dans le domaine de l’art et de la morale pratique. A l’époque du roman, cette revendication n’a rien de novateur, l’humanisme et la Réforme avaient déjà permis à des femmes d’exprimer ce genre d’aspirations, ce n’est pas une caractéristique suffisante de la Précieuse. Dans un tome suivant, l’abbé de Pure passe à d’autres questions, ceux de la condition de la femme, son rapport à l’amour et au mariage. Même si les femmes du roman discutent d’une façon très libre sur ces sujets, en se demandant par exemple s’il faut supprimer le mariage (questions déjà largement débattues par le courant philosophique libertin), elles finissent par une sorte de soumission aux normes sociales même si elles les déplorent. Elles s’émancipent plus dans la dernière partie de l’ouvrage, avec des revendications qu’on pourrait qualifier de féministes, en insistant par exemple sur l’éducation des filles.



Au final, le roman de l’abbé de Pure donne un panorama des questions et débats autour des femmes de son siècle dans leur ensemble, aussi bien critiques à leur égard que celles qui les défendent. Il est difficile de voir en quoi cela peut définir spécifiquement un groupe d’entre elles, les Précieuses. Mais le terme devient dans l’air du temps, et Molière va s’en emparer en 1659. Il y a un avant et un après Les précieuses ridicules ; le succès phénoménal de la pièce fait qu’on se réfère à elle pour dire ce que sont ces mystérieuses Précieuses.



Malgré tout, le vocable de Précieuse va continuer à être attribué à certaines femmes réelles de manière positive (la quintessence de la dame galante). Mais à côté, un aspect négatif va s’attacher au terme : une prétention au savant jusqu’à l’abscons, le refus du mariage voire de la sexualité, un désir de réglementer le langage, un côté affecté et maniéré. A quelques rares exceptions qui sentent le règlement de compte, ces aspects négatifs ne seront pas attribués à des personnes précises, mais à un groupe brumeux supposé, parfois qualifié de « fausses précieuses ». Un certain nombre d’attaques contre ce groupe relève d’une sorte de misogynie de toujours : vieilles filles laides, femmes à la sexualité frustrée, voire lesbiennes, qui cherche à discréditer sans vouloir mettre en discussion les supposées revendications de ces femmes. Les aspirations à une vie de l’esprit et une forme de liberté, y compris dans les rapports hommes-femmes se heurte à un mur de préjugés et un refus de remettre en cause les prérogatives masculines traditionnelles.



Je laisse la conclusion à Roger Duchêne :



« On doit plus généralement affirmer que la vraie précieuse, comme la précieuse ridicule, est une construction de l’esprit, une représentation, favorable ou défavorable, non d’un groupe de femmes défini dans le temps et dans l’espace, mais des questions que posait désormais la présence des femmes dans une société mondaine devenue mixte, où leur loisir et leur curiosité pour des sujets jusqu’alors défendus leur donnait une influence naissante, et même prépondérante ».



Un livre vraiment remarquable d’intelligence, d’érudition et de clarté.
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Madame de Sévigné

Les Lettres de la Marquise firent mes délices bien avant que les hasards de la vie ne fassent de l’épistolière ma voisine ( Montélimar et Grignan sont tout proches) . La biographie très fouillée et érudite de Roger Duchêne permet de mieux connaître , dans ses moindres détails , la vie de cette femme hors du commun de son époque. Généalogie, stratégies matrimoniales, embrouilles patrimoniales et financières sont certes parfois un peu fastidieuses mais ce travail minutieux permet de mieux appréhender l’arrière-plan de l’œuvre littéraire (mais qui ne l’est devenue que de manière posthume et n’avait pas été conçue comme telle) .
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Marseille. 2600 ans d'histoire

Très gros volume mais il faut bien cela pour balayer une pareille histoire .

De Gypsis et Protis à (J.C.Gaudin (beurk…) au MUCEM , 2600 ans d’existence ! Personnellement natif d’Aix en Provence , j’ai longtemps regardé Marseille de haut et puis , une demoiselle de la Belle de Mai m’a fait changer d’avis et découvrir les beautés de cette ville fascinante . Je me suis mis à aimer son cosmopolitisme, sa jactance , et , mais oui , sa vie culturelle ( MUCEM, La Criée, La friche…) . Pour mieux la connaître plonge-vous dans ce livre mais vous pouvez aussi l’aborder par le roman ( Izzo par exemple) , le cinéma (Guédiguian , ou pour la mythologie Pagnol) ou tout simplement la flânerie.
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Marseille. 2600 ans d'histoire

Livre passionnant, où l' on reconnaît bien la griffe de Contrucci. Accessible, agréable à lire et rempli d' anecdotes. Pour le plaisir plus que pour un livre d' histoire vraiment rigoureux...
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Jean de La Fontaine

L'auteur nous livre le récit d'une belle vie de ce poète si méconnu ! Les Fables certes, mais pas que, loin de là (contes, épitres, pièces de théâtre …) Duchêne est un merveilleux conteur !

Cette biographie est la meilleure, avec celle de Jean Orieux, dédiée à La Fontaine.
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Madame de Sévigné

Une biographie très documentée, mais au style un peu lourd : les références aux nombreuses personnalités de la noblesse, les multiples chiffres et calculs ( pour les questions d'héritage par exemple), rendent la lecture un peu indigeste par moments. Cependant, on apprend beaucoup de données intéressantes sur les circonstances de composition des œuvres, et sur le milieu dans lequel évoluait cette auteure classique majeure, mêlant intrigues politiques et galantes et échanges érudits et spirituels (Je retiens notamment les relations de Madame de La Fayette avec ses contemporains comme le grammairien Ménage ou Mme de Sévigné et le Duc de la Rochefoucauld). Une femme exceptionnelle, reconnue comme telle par ses contemporains, mais qui jamais ne s'avoua auteur. une biographie érudite, mais un peu rébarbative.
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Ninon de Lenclos ou la manière jolie de faire..

Ninon de Lenclos est une célèbre courtisane du XVIIème siècle. Fille d’un libertin, contraint d’abandonner sa famille suite à une affaire d’adultère, Ninon et sa mère se trouve rapidement dans la misère. Contrainte à aller jouer du luth dans les quartiers chauds de la capitale pour survivre, elle succombe aux charmes d’un jeune homme. Du coup, ayant perdu sa virginité, elle commence à se faire entretenir par des hommes. Mais très vite, Ninon comprend que, si elle veut briller dans ce domaine, c’est à elle d’imposer ses choix et non l’inverse. Féministe avant l’heure, Ninon va s’imposer par son esprit et son intelligence et collectionner les amants, dont messieurs de Sévigné, père et fils, pour le plus grand malheur de la Marquise. Ninon fut même très amie avec madame Scarron, future madame de Maintenon. Jusqu’à sa mort en 1705, le salon tenu par Ninon ne désemplit pas et elle reçoit même la visite du jeune François Marie Arouet, futur Voltaire.

J’ai découvert la vie de cette courtisane que je ne connaissais que de nom avec plaisir. Féministe avant l’heure, possédant un grand sens de la répartie, cette femme avait tout pour me plaire. Cependant, cette biographie est à réserver aux passionnés de ce personnage historique. En effet, l’auteur, dans un souci de démêler le vrai du faux parmi ce qui à été écrit sur Ninon, analyse tout dans les détails, ce qui a pour conséquence de casser le rythme de lecture. L’auteur n’hésite pas à aller à l’encontre de ce que l’on croit généralement savoir sur Ninon et remet en cause beaucoup de chose établie, comme notamment la bigoterie supposée de la mère de Ninon. Pour cela, il s’appuie sur beaucoup de source d’époque, des archives et il étudie la façon de penser de cette période historique. Pour conclure, je dirai donc qu’il s’agit d’un livre très complet, voire trop pour une néophyte comme moi.
Lien : http://hellody.canalblog.com..
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