J'entends gronder le vent sur les étables
et marcher la nuit délicieuse au grenier
j'entends croître un pur sommeil dans la mare
ton visage me vient si tendre de mémoire
ta voix ta jeunesse les chemins du temps
l'ambre illuminé de tes mains enfantines
ton port de tête et ta dix-huitième année
ô douce ô secrète ô vêtue de laurier
je te dédie ce vent né des combles (...)
Vous êtes le vent du songe
au travers des basses branches
l'appel égaré de la chevêche
et le rire des flammes
Les ombres
Il descendit parmi les ombres; celles qui erraient n’étaient pas les moins aimables; les immobiles, il s’en détournait avec effroi; ombres entre les coudriers, phantasmes derrière les aulnes; une d’elles portait une aigrette de feu, ses paupières baissées paraissaient intérieurement illuminées; elle ne bougeait pas. A peine un tressaillement des lèvres, parfois, comme un qui va pleurer et fait encore un dernier effort qui se prolonge mais c’en est trop soudain. Il vit bientôt que les larmes libératrices ne pouvaient pas naître et qu’éternellement ces lèvres trembleraient d’un impossible sanglot.
ANALOGUES
Lucie faisait rire, Marthe faisait mourir ; le ventre d’Anne était de miel et ses reins d’armoise ; Lucienne imitait la chevêche, Renée la caille. Mais Anne, l’hermine et sa bouche était de gel, son haleine de châtaigne, sa voix de brouillard. Valérie dormait souvent, Liliane toujours, mais Anne jamais, dont la sueur avait le goût de maïs, le sein de lactaire et le poil d’orgueil.
Dans le miroir saigne la chouette et brûle un signe de sel ; c'était
près des remparts d'une ville impériale où nous fûmes, jadis ; une
maison très noire sous la pluie, un vent de feu derrière les rideaux.
C'est dans le miroir qu'agonise la petite nuit et que marchent les
oiseaux agiles du sommeils ; ils portent plumage d'iris et bec de verre ;
le jeu parfois leur arrache un gémissement trop tendre pour n'être pas
amoureux. Furieuse syntaxe à notre gantelet, faucons de silex.
Oiseau violet emplumé
Une eau sur la grande main du songe, l'aboie-
ment derrière les arbres ; noire, nuit noire et la rose
déplie ses feux.
Une parole bientôt achevée ; le champ, l'odeur
des lilas, la muraille battue d'un vent contraire.
Nulle image, ombre des grands fonds, passe
de la pitié.
Je suis parti, mes os font un poids léger sur
la neige.
Nul ici parmi les feux du serpent ; nul ni rien ; la porte est close.
— Nulle retraite ; je ne sais nulle pierre creuse où vous cacher, vieux
profil ;
peut-être convient-il à grands cris de fuir,
que l'oubli tisse en nous l'étrangère moire, qu'il veloute votre sein
d'une aimable poussière,
et s'il se peut, qu'une arme y rougeoie.
LES HAUTES ERRES
LE PREDECESSEUR
Celui-là qui avait ouvert sa gorge personnelle avec maladresse, il fallut le soigner, réussir une opération délicate, lui offrir un liquide roboratif et le passer par des armes dont le mécanisme nous fut enseigné. Quand donc cesserez-vous bouche mousseuse, de palpiter vainement ; quand cesserez-vous ce râle de colombe, ô lèvres vives ; et vous, pelage humain, qu’une sueur d’agonie faisait luire, vous, prédécesseurs, assistez-nous au moment qu’en nous grognera la même tempête.
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DEMAIN
Le vent demain lèvera mes ombres ;
le poisson arrondira ses lèvres blanches sur mon nom ;
la voix du feu secondera la mienne et le fil n’aura jamais
été plus tendu ni plus musical.
Demain.
L’eau, la première, la très noire, dans ses gestes lavera
le souffle qui ne m’appartient plus,
la bouche que je n’ouvrirai pas sinon pour entrer dans
la tendre mort — et vous aurez tenu mes mains dans les
vôtres —
Ah, demain, seulement demain ;
il faut pour l’heure s’efforcer de ne pas défaillir à tâcher
de pénétrer dans l’aiguille par sa pointe.
… Vint un jour où le port fut définitivement ensablé ; on traça
des rues, édifia des maisons et ce n'est pas le moindre attrait de notre
ville que ces vaisseaux fichés dans les squares ou bien entre des
thermes. Aucune lumière ne s'allume plus le soir aux hublots.