Quel statut pourrions-nous lui conférer [à la Déclaration universelle des droits de l'homme], pour la sauver de ce naufrage historique ? Pour pourvoir à cet objectif [...], je vois au moins une hypothèse de travail : reconnaître la Déclaration universelle comme "Testament des Lumières"; c'est-à-dire de reconnaître, dans un registre qui n'est pas limité au droit, les vertus culturelles testamentaires de la Déclaration. Reconnaître la Déclaration universelle comme "Testament" permettrait d'éviter sa destruction politique, philosophique et symbolique, sa négation; d'éviter le discrédit, le rejet et la perte définitive de la parole de la Déclaration universelle; d'éviter son enfouissement dans les sables de la banalisation de l'histoire de l'Humanité inhumaine. En effet, la Déclaration universelle est la création littéraire la plus aboutie de la culture humaniste des Lumières. Et cette culture humaniste est restée [...] sans "Testament" philosophique. A ma connaissance, rien ne devrait s'opposer, sur le plan de l'histoire culturelle, à ce qu'il existe un "Testament" qui ne soit pas fondé par la foi en Dieu, mais qui soit fondé par la foi en l'être humain.
A plusieurs reprises dès ma jeunesse, j'avais donc énoncé, de manière d'abord anodine au détour d'une conversation, combien j'estimais nécessaire de considérer la Déclaration universelle [des droits de l'homme] aussi comme un "grand texte sacré". Dans sa conception et son organisation littéraire, la Déclaration universelle relève du "chef d'oeuvre". La facture du texte, tracée d'un compas sûr, cisèle une langue fine, nuancée et largement accessible. Ce sont la multiplicité et la profondeur de son inspiration qui lui confèrent un tain constellé : chaque article témoigne de la profusion des lumières dans la plus rigoureuse épargne des mots. C'est sa grande lisibilité, comme une voûte étoilée par temps clair. Le dessein général de l'oeuvre offre une géométrie cohérente; ainsi apparaît-elle, comme les plus belles nuits d'été, aux premiers regards : aussi éclairée qu'éclairante.