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Citations de Roland Dorgelès (177)


C'est vrai, on oubliera. Oh ! je sais bien, c'est odieux, c'est cruel, mais pourquoi s'indigner : c'est humain... Oui, il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le coeur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond...
On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le soeur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois.
Non, votre martyre n'est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore, quand la bêche du paysan fouillera votre tombe.
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Voici la feuille blanche sur la table, et la lampe tranquille, et les livres... Aurait-on jamais cru les revoir, lorsqu'on était là-bas, si loin de sa maison perdue ?

On parlait de sa vie comme d'une chose morte, la certitude de ne plus revenir nous en séparait comme une mer sans limites, et l'espoir même semblait s'apetisser, bornant tout son désir à vivre jusqu'à la relève. Il y avait trop d'obus, trop de morts, trop de croix; tôt ou tard notre tour devait venir.

Et pourtant c'est fini... La vie va reprendre son cours heureux. Les souvenirs atroces qui nous tourmentent encore s'apaiseront, on oubliera, et le temps viendra peutêtre où, confondant la guerre et notre jeunesse passée, nous aurons un soupir de regret en pensant à ces années-là.

Je me souviens de nos soirées bruyantes, dans le moulin sans ailes. Je leur disais: "Un jour viendra où nous nous retrouverons, où nous parlerons de nos copains, des tranchées, de nos misères et de nos rigolades... Et nous dirons avec un sourire "C'était le bon temps !"

Avez-vous crié, ce soir-Ià, mes camarades! J'espérais bien mentir, en vous parlant ainsi. Et cependant... C'est vrai, on oubliera. Oh! je sais bien, c'est odieux, c'est cruel, mais pourquoi s'indigner: c'est humain... Oui, il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le coeur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond...

On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le coeur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois.

Non, votre martyre n'est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore, quand la bêche du paysan fouillera votre tombe.

Les maisons renaîtront sous leurs toits rouges, les ruines redeviendront des villes et les tranchées des champs, les soldats victorieux et las rentreront chez eux. Mais Vous ne rentrerez jamais.

C'était le bon temps.
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Il a fallu la guerre pour nous apprendre que nous etions heureux.Oui,il a fallu connaître la misere.Avant nous ne savions pas,nous etions des ingrats...
Maintenant,nous savourons la moindre joie,ainsi qu'un dessert dont on est prive.Le bonheur partout:c'est le gourbis ou il ne pleut pas,une soupe bien chaude,la litiere de paille sale ou l'on se couche,l'histoire drole qu'un copain raconte une nuit sans corvee...
Le bonheur?Mais cela tient dans les deux pages d'une lettre de chez soi,dans un fond de quart de rhum.Pareils aux enfants pauvres,qui se construisent des palais avec des bouts de planche,le soldat fait du bonheur avec tout ce qui traine.
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Roland Dorgelès
Le voyage pour moi, ce n'est pas arriver, c'est partir. C'est l'imprévu de la prochaine escale, c'est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c'est demain, éternellement demain.
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mes morts, mes pauvres morts, c'est maintenant que vous allez souffrir, sans croix pour vous garder, sans coeurs où vous blottir. je crois vous voir rôder, avec des gestes qui tâtonnent, et chercher dans la nuit éternelle tous ces vivants ingrats qui déjà vous oublient.
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Mais elle n'était pas au bout de ses surprises.
Se retournant, elle venait de découvrir près de la porte d'entrée un suisse d'église tout galonné, un panier à salade en guise de tête et coiffé d'un bicorne à plume.
A défaut de hallebarde, il s'appuyait sur un balai.
- Et celui-là, qu'est-ce que c'est ?
- Mon copain Anatole. Je l'ai déguisé avec un costume ramené du bal des Quat'z'arts.
- Et qu'est-ce qu'il y a d'écrit sur son écharpe ?
- A bas l'argent ! ...
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Et dans le jour mourant qui frotte d'un éclat glacé le dos ciré des chaises, il me semble que je vais voir, penchées sur lui, toutes les ombres de nos morts, pour qui l'horloge égrène son rosaire.
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Et maintenant, arrivé à la dernière étape, il me vient un remord d'avoir osé rire de vos peines, comme si j'avais taillé un pipeau dans le bois de vos croix.
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Depuis la mort de Nourry il était arrivé deux lettres à son nom. On aurait pu les retourner avec le brutal avis de décès, dans le coin : "Le destinataire n'a pu être atteint." Demachy avait cru mieux faire de les prendre. Il les sortit de sa cartouchière, les déchira sans les ouvrir, et sur cette tombe réglementaire de soldat, carrée comme un lit de caserne, il effeuilla les pétales de lettres, pour qu'il pût au moins dormir sous des mots de chez lui.
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Un tas de colis devant lui comme un éventaire de camelot, le fourrier appelait les lettres en souffrance, au milieu d’une cohue de soldats qui jouaient des coudes et s’écrasaient les pieds. C’était à notre porte, entre le lavoir communal, si petit que trois laveuses n’auraient pas tenu sous son auvent, et la maison du notaire, qui portait en sautoir une écharpe rouge de vigne vierge. Grimpés sur le banc de pierre, nous écoutions.

— Duclou Maurice, 1re section.

— Il a été tué à Courcy, cria quelqu’un.

— Vous en êtes sûr ?

— Oui, des copains l’ont vu tomber devant l’église… Il avait reçu une balle. Maintenant, hein, je n’y étais pas…

Dans le coin de l’enveloppe, au crayon, le fourrier écrivit : « Tué. »

— Marquette Édouard.

— Il doit être tué aussi, dit une voix.

— T’es pas louf, protesta un autre… Le soir qu’on dit qu’il s’est fait descendre, il est allé à l’eau avec moi.

— Alors, demanda le fourrier, il serait à l’hôpital. Mais on n’a pas reçu sa fiche.

— À mon idée, il a été évacué par un autre régiment.

— Mais non, il était blessé ; les Boches ont dû le ramasser.

— C’est malheureux, c’est toujours ceux qui ont rien vu qui ont le plus de gueule.

Tout le monde parlait à la fois dans un tohu-bohu d’affirmations contradictoires et de démentis insultants. Le fourrier, pressé, les mit d’accord.

— J’m’en fous. Je le porte « disparu »… Brunet André, 13e escouade…

— Présent pour lui.
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-- Non, je mange avec vous, chez le bistrot qui vous a fait la croûte... C'est Gilbert qui m'a invité, parce que je lui ai juré d'aider Sulphart à le ramener, si des fois il était blessé.
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Vieublé s'était dégagé de l'angoisse, d'un coup de collier. Blême de rage, il bondit dehors en braillant.
--Il est fou, s'écria Bréval. Qu'est ce qu'il fait ?
On courut après lui. Il avait grimpé sur des sacs de terre, et, sorti de la tranchée jusqu'au ventre, le cou tendu, il hurlait :
-- Vous pouvez creuser, tas de vaches, on vous em... On sautera peut-être tous, mais on vous em...
Sulphart l'avait pris à bras-le-corps.
-- Vas-tu te taire, grand c...
Bréval aussi le tirait par le bras, mais l'autre résistait.
-- Faut que j'en bute un avant de sauter...
Je veux pas crever comme une lope, rugissait-il, il m'en faut un !
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Les fleurs, à cette époque de l'année, étaient déjà rares; pourtant on en avait trouvé pour décorer tous les fusils du renfort et, la clique en tête, entre deux haies muettes de curieux, le bataillon, fleuri comme un grand cimetière, avait traversé la ville à la débandade.
Avec des chants, des larmes, des rires, des querelles d'ivrognes, des adieux déchirants, ils s'étaient embarqués. Ils avaient roulé toute la nuit, avaient mangé leurs sardines et vidé les bidons à la lueur d'une misérable bougie, puis, las de brailler, ils s'étaient endormis, tassés les uns contre les autres, tête sur épaule, jambes mêlées.
Le jour les avait réveillés. Penchés aux portières, ils cherchèrent dans les villages, d'où montaient les fumées du petit matin, les traces des derniers combats. On se hélait de wagon à wagon.
- Tu parles d'une guerre, même pas un clocher de démoli!
Puis, les maisons ouvrirent les yeux, les chemins s'animèrent, et retrouvant de la voix pour hurler des galanteries, ils jetèrent leurs fleurs fanées aux femmes qui attendaient, sur le môle des gares, le retour improbable de leurs maris partis. Aux haltes, ils se vidaient et faisaient le plein des bidons. Et vers dix heures, ils débarquaient enfin, à Dormans, hébétés et moulus.
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La compagnie avançait par à-coups, arrêtée ici par les fusées, plus loin par les blessés qu'on emportait.
Le boyau évasé sortait parfois de terre, comblé par un obus, et, devant soi, on voyait émerger de l'ombre les camarades au dos rond qui galopaient à travers champs, l'arme à la main, puis ressautaient bien vite dans le fossé bouleversé. On ne parlait pas, on grognait à peine : nous filions, vite, comme si le bonheur nous avait attendu au bout.
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Tout le long de la berge, des croix de bois, grêles et nues, faites de planches ou de branches croisées, regardaient l'eau couler. On en voyait partout, et jusque dans la plaine inondée, où les képis rouges flottaient, comme d'étranges nénuphars.
Avec la crue, les croix devaient s'en aller, au fil de l'eau grise, pour accoster on ne sait où, près d'un enfant qui épellerait sur la planche rongée: "infanterie... pour la France", et s'en ferait un sabre de bois.On eut dit que ces morts fuyaient leurs tombes oubliées, et la file infinie des autres morts les regardaient partir, leurs croix si rapprochées qu'elles semblaient se donner la main.
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- Il a fallu la guerre pour nous apprendre que nous étions heureux, dit Berthier, toujours grave.
- Oui, il a fallu connaître la misère, approuve Gilbert. Avant, nous ne savions pas, nous étions des ingrats. […]
Un pavé, rien qu'un pavé où se poser dans un ruisseau de boue, c'est encore du bonheur. Mais il faut avoir traversé la boue pour le savoir.
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Souvent, quand un camarade n'avait pas de quoi acheter un bouquet à sa petite amie le jour de sa fête, il se glissait dans le vieux cimetière et chapardait les roses du dernier enterrement.
Maintenant, l'heure est venue de se mettre en règle : je vais rendre aux morts les fleurs que nous leur avons volées.
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La pluie ruisselait en pleurs le long de ses joues amaigries. Puis deux lourdes larmes coulèrent de ses yeux : les deux dernières…
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Sulphart avait passé sur son pantalon rouge, un joli pantalon de femme garni de dentelles, qui laissait voir par son ouverture son large derrière garance. Il avait endossé une sorte de matinée blanche, et, sur sa tête hérissée de charbonnier, il avait posé de travers une couronne de mariée, à l’oranger un peu jauni : la couronne de la notairesse qui dormait sous un globe.

Lemoine, qui ne riait pas, avait plutôt l’air soucieux d’un militaire en service commandé, s’était contenté d’un jupon écossais, tenue sans façon dont il corrigeait le regrettable laisser-aller par une redingote à revers de satin et un solennel chapeau haut de forme préalablement brossé à rebrousse-poil.
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Je me souviens de nos soirées bruyantes, dans le moulin sans ailes. Je leur disais: " Un jour viendra où nous nous retrouverons, où nous parlerons de nos copains, des tranchées, de nos misères et de nos rigolades… Et nous dirons avec un sourire: C'était le bon temps!"
Avez-vous crié, ce soir-là, mes camarades. J'espérais bien mentir, en vous parlant ainsi. Et cependant… […]
C'était le bon temps… Oui, malgré tout, c'était le bon temps, puisqu'il vous voyait vivants.
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