Il y a quelque chose de sacrilège à vouloir écrire un tel livre, (Dieu est mon aventure)
dit un ami — et cependant je continuai de le faire.
Dès mon adolescence, j'ai toujours été attiré par ces régions de la vérité que les religions officielles s'interdisent d'explorer. Ceux qui se targuent d'y avoir pénétré exercent sur moi le même genre de fascination que sur d'autres les artistes célèbres, les explorateurs ou les hommes d'état. Tels sont les hommes qui font l'objet de ce livre. Venus d'Orient, d'Europe et d'Amérique, certains d'entre eux, par un simple clin d'oeil, nous font entrevoir la vérité ; d'autres parlent du ciel et de l'enfer avec une précision de mathématiciens. Je les ai tous rencontrés, et j'en ai suivi quelques-uns jusque dans leur vie quotidienne.
La route qui le menait vers l'établissement définitif de sa doctrine le fit bifurquer vers la théosophie, dont il devint le secrétaire général pour la section allemande. L'idée théosophique de la réincarnation du « Roi du monde », sous la forme du jeune Hindou Jiddu Krishnamurti, obligea Steiner, en 1913, à adopter une attitude d'antagonisme qui amena son expulsion. Aux yeux d'Annie Besant et de Leadbeater, comme à ceux de la plupart des Théosophes, Krishnamurti devait devenir le parfait véhicule du Christ réincarné. Pour Steiner, il était criminel de décerner une telle puissance à quelqu'un sur les seuls fondements de la réincarnation. De plus, il pensait que le Christ ne pouvait s'incarner qu'une seule fois et que cette attente d'un « deuxième avènement » était erroné. Il avait le plus grand mépris pour tout amateurisme, pour tout manque de respect envers l'idée de Karma et de réincarnation, et l'affaire Krishnamurti lui semblait en être un exemple.
La science commence d'admettre que le monde de l'esprit et le monde de la matière ne sont pas antithétiques ; de même, pour les mondes naturel et surnaturel. Le Professeur Jeans avoue encore que la conception scientifique de l'univers tel qu'on l'entendait précédemment, était erronée et que la frontière entre le monde objectif manifesté dans la nature et le monde subjectif exprimé par l'esprit, est à peine visible. Dans son discours présidentiel de la réunion annuelle (1934) de l'Association Britannique d'Aberdeen, il dit : « La nature que nous étudions consiste moins dans la chose perçue que dans nos perceptions ; elle n'est pas l'objet... mais la relation en elle-même. Il n'y a, en fait, aucune division nette entre le sujet et l'objet. » Il y a vingt ans, une telle déclaration eût été considérée comme de la démence.
Autour de moi, certaines personnes qui, jusque là, avaient été matérialistes, paraissaient maintenant animées du même besoin spirituel.
Un jour, au cours d'un déjeuner chez une femme que je ne connaissais que par sa réputation mondaine, j'usai d'un de ces sots adjectifs tels que « divin » ou « formidable ». Mon hôtesse m'interrompit brusquement et me dit à voix basse : « Vous ne devriez pas employer des mots qui n'expriment certainement pas votre pensée. Vous n'ignorez pas, j'en suis très sûre, que les mots ont, par eux-mêmes, une signification plus profonde que celle que nous leur accordons machinalement. »
Au bout d'un certain temps, j'arrivai à comprendre que l'idée dominante de l'enseignement de Krishnamurti était une complète libération, synonyme de bonheur total. Celle-ci est obtenue par l'amour et dépend d'un pouvoir inhérent à nous seul. Krishnamurti, plus tard, eut cette définition : « Le but de tout sentiment humain est un amour parfait en soi, entièrement détaché, ne connaissant ni sujet ni objet ; un amour qui se donne également à tous sans demander quoi que ce soit en retour, un amour qui est à lui-même son éternité. »
Je compris dès le premier jour qu'il ne serait pas facile d'obtenir là des réponses aux divers problèmes que se posaient une grande partie des jeunes générations. La principale difficulté à trouver une solution satisfaisante à nos problèmes résidait sans doute en nous-mêmes. Elle consistait en une impossibilité à formuler clairement les questions. Peut-être aurais-je dû, en journaliste avisé, les préparer d'avance et compter sur Keyserling pour m'en donner des réponses explicites et absolues. Mais les problèmes en eux-mêmes manquaient de précision et ce n'était pas qu'une affaire de curiosité intellectuelle. Nous voulions que l'on nous indiquât une manière de penser juste, une discipline juste du sentiment. Certains d'entre nous avions des tas d'idées sur la nécessité du célibat. Nous avions tous barboté dans le yoga et la discipline médiévale, mais cela demeurait assez vague et, tout en nous prétendant plus instruits que nous ne l'étions, nous espérions que quelqu'un nous enseignerait clairement une règle de conduite. Nous étions trop jeunes pour savoir que les règles générales s'élaborent plus facilement dans une usine que dans une pareille assemblée.