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Citations de Romain Verger (20)


Tu m’avais dit marions-nous le 21 juin, au solstice d’été. C’est le jour le plus long. À Rochecreuse, à la montagne, où le soleil consume longtemps les cimes.
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Il ne nous aura guère fallu une vie entière pour qu’à l’image de ces couples que de longues années de vie commune façonnent l’un en miroir de l’autre, nous en venions à nous confondre.
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Pour te retrouver, te voir, je suis du bout des doigts les nouveaux traits de mon visage, cette page de braille qu’est devenue ma face : arêtes, séracs, fissures, escarpes, l’exact calque en trois dimensions de ce pays montagneux dans les plis contractés duquel a couvé notre union.
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Cela fait sept ans que tu réclames ce congé de formation et maintenant qu’on te l’a octroyé, tu te demandes si tu ne ferais pas mieux de décamper et de profiter de l’été indien. Tu signes, puis tapotes l’épaule de ta voisine de devant pour lui faire passer la feuille, et lorsqu’elle se retourne, tu reconnais dans son visage poinçonné de deux yeux vitreux de poisson celui du défi piteux que tu t’es lancé. Tu ne feras pas le tour du monde sur les mains, tu n’exploreras ni les monts de Kong ni le Mont Analogue, tu ne traverseras pas le triangle des Bermudes à la rame ni ne descendras le superbe Orénoque. Tu redeviens ce que tu as été il y a longtemps déjà : un poulet de compétition prêt à en découdre pour décrocher ton label et vendre plus cher ta peau. (« L’année sabbatique », nouvelle n°7)
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Jamais Eirik n’avait songé à quitter son poste. Le sémaphore était de ces virus opiniâtres et jaloux qui réclament toujours plus de sang et d’oxygène. Kjartan, son père, lui en avait inoculé la passion. Très tôt, Eirik avait appris de lui à reconnaître les vents, à localiser les courants, à déceler les dérives d’icebergs dans la nuit, à déterminer l’influence de la houle et des marées sur le déplacement des bancs de sable. Enfant, il fixait les repères sur la terrasse, les faisait coulisser de droite à gauche en suivant du regard les gestes de son père. Il hissait boules et drapeaux, tenait son propre journal de bord où il consignait le nom des bateaux qu’il avait héroïquement sauvés du péril de la passe. Mais ce n’est qu’à neuf ans, lorsque sa mère Hedda disparut, que le sémaphore s’imposa à lui comme une évidence. C’était un jour de tempête, la mer écumant jusque dans les terres battait à rompre la vitre du sémaphore. Pour rentrer plus rapidement de la sécherie, Hedda avait pris ce soir-là le sentier côtier. Kjartan et Eirik l’avaient attendue en vain toute la nuit. À l’aube, Kjartan avait refait le chemin, fouillé les criques et scruté les poches d’écume grise prisonnières des rochers ; nombre d’habitants s’étaient mobilisés, ratissant la côte sur des kilomètres, du port au cap Krigh. Mais jamais la mer ne rendit son corps. Si la vocation d’Eirik procédait jusqu’ici d’une inclination juvénile quelque peu naïve, faite d’imitation et de fascination pour un père lui-même soucieux de voir son fils prolonger son existence, elle prit tout son sens avec ce drame. Il savait dorénavant qu’il consacrerait sa vie à surveiller la mer, qu’il n’aurait de cesse de la traquer du regard, de la soumettre à ses mesures, que chaque bateau arraché à sa dévoration l’affamerait un peu plus, les vengeant son père et lui de cette précieuse vie qu’elle leur avait raflée. (« Le dernier homme », nouvelle n°6)
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La tempête est maintenant loin derrière, plombant les falaises d’un gris de cendre mouillée. Pas même un ciel de traîne ici pour témoigner de ces quelques heures déchaînées. L’eau et le vent ont épuré la côte, lissé les reliefs et la végétation, et lessivé la route qui serpente le long de la corniche. Tu avances, et chacun de tes pas ravive cette brûlure au ventre qu’aiguisent le sel, le frottement de ta ceinture, le soleil et l’absence. Ce n’est ni la faim, ni même une nausée résultant d’un excès de boisson. Et pourtant tu as bu, beaucoup bu en compagnie de Donvor, mais la marche et le vent qui souffle depuis l’aube t’ont dessoûlé, et la sensation lancinante du vide persiste, se creuse et te recreuse sans cesse, poursuivant le travail de Donvor : cet abîme ouvert en toi d’où nul écho ne répondrait à la chute d’une pierre, au cri de ton nom. Tu ne sais où tu es, où tu vas, qui tu es. Tu ne te souviens de presque absolument rien. Tu pourrais lever le pouce et gagner la sympathie d’un automobiliste, mais que lui dirais-tu ? Comme vous, au premier carrefour ou à la prochaine ville… En seras-tu plus avancé ? Les routes, les voitures existent, tout comme les villes et les falaises qui plongent dans la mer, et le ciel qui pèse sur tes épaules. De cela tu ne doutes pas, pas plus que tu ne t’étonnes de ce que tes jambes te portent. L’oubli n’est pas allé jusqu’à effacer ça. (« Donvor », nouvelle n°2)
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Je me suis étendu sur le lit et j’ai inspecté mes mains. L’une et l’autre, paume et dos. J’ouvrais et fermais le poing et leurs veines bleues saillaient sous la levée des tendons puis se dégonflaient, soulignant les sillons de ma peau de lézard. Avec le temps et les ridules, le lentigo et ces poils grotesques qui en recouvraient les phalanges, elles me rappelaient ces mains de singes cramponnées aux cordes et barreaux des zoos, comme je l’étais moi-même à cet été de mon enfance. Malgré la fenêtre close, j’entendais la mer fricasser dans mon crâne, l’infatigable mer dérouler ses barbules sur le sable, de son increvable obstination. J’ai tenté de lire un moment, mais pages et paragraphes défilaient, comme détachés du livre lui-même, voguant à la dérive. Je revenais en arrière, raccrochais le fil, puis mon regard déviait et se fixait sur le rideau de velours empesé de poussière dont les plis me ramenaient aux ondulations de l’estran et au château. Qu’avais-je eu besoin d’y retourner après tout ce temps ? (« Le château », nouvelle n°1)
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Ruisselant, Anton se tenait debout devant elle, son anneau croulant de poissons, la bouche bleue et la taille lacérée par leurs nageoires. Il déposa sa pêche sur le sol et s’assit en tailleur entre les jambes de Lena. C’étaient invariablement les mêmes poissons qu’il pêchait, les seuls qu’il sortait quotidiennement de l’eau. Ils avaient proliféré avec les années, supplantant toutes les autres espèces dont vivait autrefois le village, à moins que celles-ci ne se soient peu à peu conformées à cette même et unique apparence : de superbes bêtes aux couleurs chatoyantes, aux ouïes bayantes et foliacées et aux yeux de mercure, couvertes de rayons multicolores tranchants comme des lames de canif. Avec le temps, Lena avait appris à neutraliser l’âcreté de leur chair en les fourrant et en les enveloppant d’herbes pour la cuisson. Lena frictionna Anton, attendrit son corps dur et glacé comme la pierre, elle goûta au sel marin d’un baiser sur sa nuque et inspecta son crâne nu, ses épaules, son dos et ses cinq bras un à un. Elle redoutait toujours d’y trouver ces mêmes taches qui parsemaient son propre corps depuis des mois et qu’elle avait vues chez tant de pêcheurs promis à une mort certaine, ces taches qui allaient et venaient d’une zone à l’autre de sa peau, qui s’unissaient pour n’en former plus qu’une, se divisaient, se creusaient, s’induraient et saignaient ou changeaient inexplicablement de couleur d’un mois sur l’autre, virant du rose au brun ou inversement. Taches dont Anton était miraculeusement épargné. Au fil du temps, le corps du jeune homme avait même gagné en fermeté, se doublant d’une seconde peau lustrée et vernissée, totalement imberbe et dénuée de pores apparents. (« Anton », nouvelle n°8)
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Je repense à Ariel, à je ne sais quoi d'Ariel puisqu'on ne sait rien d'elle, ni le timbre de sa voix, ni la teinte de ses cheveux qu'elle dissimule sous un chapeau. On ignore l'âge d'Ariel, le sourire d'Ariel, où habite Ariel, si elle est femme, mère ou célibataire. On ne sait rien d'Ariel et sur Ariel sinon qu'elle aime nager à la piscine municipale.
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L’ours offert par Ana ne tarda pas à servir de doudou, à combler le vide laissé par la disparition de Mia. Il devint rapidement le meilleur auxiliaire de Mâchefer. Il avait suffi de quelques jours pour que l’enfant ne pût s’en séparer sans brailler éperdument. Il ne cessait de le mâchouiller, de le tétouiller, de le suçoter, le retournant avec sa langue d’un côté puis de l’autre, tantôt pour l’imprégner de sa salive, tantôt pour en tirer le jus, tout en veillant à éviter l’obstruction et l’asphyxie. Aussi gardait-il toujours un coin de bouche libre. Mais il arrivait par accident, la nuit notamment, que le doudou la lui emplit entièrement. Mâchefer était alors tiré de son sommeil par de brusques secousses. Il avait constaté par expérience que nul n’était besoin d’intervenir à ce stade : au bout de quelques minutes, à court d’air, l’enfant finissait par expulser spontanément son bâillon. Il suffisait alors de le ramasser au pied du lit et de le réemboucher. Mais il fallait faire vite afin d’éviter qu’il ne se réveillât et ne se mît à hurler. Pour autant, Mâchefer ne voyait pas l’ours d’un très bon œil : certes, il cachait un peu cette grande bouche obscène et lui assurait la paix ; l’enfant était devenu plus calme, moins colérique. Les crises s’étaient espacées. Quand il s’en présentait, il suffisait à Mâchefer d’agiter légèrement le doudou tout en le frottant contre la lèvre supérieure du gueulard pour que celui-ci le gobât et se tût. Mais l’écœurement l’emportait à la vue continuelle de cette succion car il ne pouvait s’empêcher de voir Ana dans l’ours et dans cette sorte de tétée continue un mode insidieux d’administration, de possession par lequel elle lui eût infusé, à distance et presque imperceptiblement, comme par perfusion, son doux, très doux et non moins inexorable venin."
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Bientôt, il n’eut plus assez de force pour rêver ; ses songes devinrent à leur tour des visions dénutries, des lieux abstraits qu’il traversait en flottant, comme en esprit, sans pouvoir jamais se poser, des étendues blanches désincarnées. Alors il dut quitter sa grotte et se persuader que ses rêves étaient son avenir, qu’il finirait par retrouver les siens et qu’à défaut, le monde qui l’entourait était suffisamment grand pour être comestible, qu’il lui fallait s’en nourrir par la marche, l’avaler par les pieds. Il savait que cette traversée des glaces jouait contre lui, qu’à s’épuiser dans le froid, il y laisserait ses dernières forces et qu’avec elles fondraient les dernières graisses qui l’empêchaient de se retrouver transi jusqu’aux os. Car un matin sans doute ne pourrait-il plus se lever, collé au sol, de la même matière que lui, les articulations et les poumons grippés. Mais pour l’heure, il pouvait marcher. Il n’y avait plus que cela à faire. Sa grotte était vide ; ses rêves étaient vides et peut-être était-il promis à cette même vacuité ; sa pensée tournait en rond, ne fonctionnait que par de squelettiques à-coups. Aussi, un matin, il partit.
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Qu’ont-ils fait de nous, Noëline, qu’ont-ils fait de toi ? Peut-on mieux dévoiler l’amour à ceux qui s’y destinent qu’en les séparant comme on tranche les siamois, en taillant dans la chair et brisant l’os iliaque, dans le vif des deux, en dédoublant le mal, en répliquant la nuit ? Pour te retrouver, te voir, je suis du bout des doigts les nouveaux traits de mon visage, cette page de braille qu’est devenue ma face : arêtes, séracs, fissures, escarpes, l’exact calque en trois dimensions de ce pays montagneux dans les plis contractés duquel a couvé notre union. Il ne nous aura guère fallu une vie entière pour qu’à l’image de ces couples que de longues années de vie commune façonnent l’un en miroir de l’autre, nous en venions à nous confondre.
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Peut-on mieux dévoiler l'amour à ceux qui s'y destinent qu'en les séparant comme on tranche les siamois, en taillant dans la chair et brisant l'os iliaque, dans le vif des deux, en dédoublant le mal, en répliquant la nuit ?
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Je passe ici le plus clair de mon temps à écrire. Je n’ai que ça d’ailleurs, le temps. Et le terrible ennui. Je l’écosse. Je le décompte en cris, cachets et convulsions. Je l’égrène en mots.
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Je ne pensais qu’à Noëline, à cette perdition où la menaient inexorablement nos noces ; et assis là, il me semblait l’y pousser avec les autres, lâchement, comme si l’on m’eût moi-même tenu la main, bandé les yeux et chloroformé.
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Comment imaginer la nuit que nous venions de vivre, à voir le soleil pointer si haut et les massifs percer le ciel bleu de leurs incisives ? Comme un pansement qu’on arrache d’une plaie vive et le soleil éclatant pour la cuire.
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Des paquets de nuits tirés à bout portant tandis que j’avançais à tâtons vers la perpétuité.
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Je prends les choses comme elles reviennent, dans le plus grand désordre, les attrapant à la gorge quand elles percent de ma camisole chimique. Ce sont tes cris, Noëline, le visage fêlé de tes sœurs ou la fosse emplie de nuit et de silence, les vœux du prêtre, pluies de riz et giboulées de roses, d’interminables routes entaillées dans le vide ou j’avance sans garde-corps, rasades de vodka, éclaboussures de sang, l’éblouissant crépuscule que dévore les crevasses.
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Ne suis-je pas déjà mort cent fois, abandonné, perdu, tué ou laissé pour tel et revenu à la vie autant de fois qu'il le fallait ? S'y fait-on jamais... Je n'ai rien d'un avatar virtuel, rien du héros de ces jeux vidéo où l'on tue par milliers et où l'on meurt en boucles, sans conséquences ; et moins encore d'un mort-vivant de Romero qui revient à la vie d'un pas lent, le corps dégingandé. Je pensais m'y habituer, que les choses perdraient peu à peu de leur poids et de leur gravité, qu'ainsi j'irai me présenter à la mort - à la grande Mort - extasié, anesthésié ; en éternel enfant qui traverse un bois dans la nuit sans étoiles, jouant à se faire peur pour en sortir plus fort. Mais à présent, comme l'on est loin des contes, et des plus cruels qui soient : je trempe dans l'eau croupie jusqu'aux mollets. Et dans le nez cette odeur de feuilles macérées, de soufre et d'urine. L'effet de la terreur sur moi... sur nous, baignant tous deux dans l'infusion macabre. La nuit aura été terrible à traverser, de bout en bout, pour en arriver là, à ce silence parasité de sinistres borborygmes... au pied d'une aube grippée qui ne se lèvera plus.
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Pour aller là-bas, il fallait se lever à l'aube. Le train s'ébrouait sur le quai et m'emportait dans la nuit. J'allais aux confins de la banlieue. Deux mois plus tôt, c'est vers la ville qu'il m'emportait en flot. Je me souviens de ces quais comme d'embarcadères. Et maintenant, j'avance à contre-courant, dans la résistance, loin de la houle urbaine. Il faut s'y mettre à deux pour écarter les portes, choisir sa place, à l'étage pour surplomber le paysage pétrifié de l'aurore, ou dans le soubassement, et sentir l'épaisseur de la terre et les quais défiler comme des couteaux à hauteur de gorge. On suit la Seine sans jamais déboucher sur la mer. Roulant, j'imagine pourtant des bouts de fleuves digérés par la mer, des limons salivant aux approches du sel, dans l'euphorie d'un imminent engloutissement. Après tout, c'est peut-être la mer, ce long et maigre fil d'eau stagnant que déroule mon train dans l'été automnal, arrachant comme une croûte le paysage bordé de petits pavillons comateux, derrière la vitre griffée au cutter.
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