La vérité était surcotée ; elle était rarement pure et jamais simple, c’était cela la vraie vérité qu’elle connaissait depuis son enfance.
Ses mensonges formaient une gaze fine, délicate, inextricablement intégrée dans le tissu même de sa vie et chaque jour renouvelée.
Il était presque une heure du matin quand Parvez rentra à la maison sentant le Brandy et la contrition.
Le problème, lorsqu'on a quelque chose de bien, remarque t-il, c'est qu'on s'y habitue et que, lorsqu'elle vient à nous faire défaut, cette chose nous manque plus qu'elle ne nous a profité au départ. On ressent la perte plus qu'on ne jouit de la possession. "C'est comme les relations amoureuses", dit-il.
Dans ce monde, il n'y a que deux tragédies. La première est de ne pas obtenir ce que l'on veut, et la seconde est de l'obtenir.
Oscar Wilde

"Conçue dans le mensonge et née dans la maison d'un menteur, la petite Shona couleur de l'or grandit inévitablement dans l'idée qu'il valait toujours mieux réconforter quelqu'un ou dissimuler quelque chose par un mensonge que le blesser ou le révéler en disant la vérité. Plus tard, quand elle se surprendrait à invoquer des prétextes insensés pour expliquer pourquoi elle rentrait tard du travail, pour complimenter quelqu'un sur sa nouvelle coupe de cheveux, elle se découvrirait incapable de dire si ce besoin de mentir était inné ou si elle l'avait appris, dès le berceau, de sa mère et de son grand-père maternel. Quelle que fût cette origine, naturelle ou culturelle, l'enfance de Shona fut un champ de bataille dont la vérité ne sortit jamais victorieuse, et dont Shona savait fort qu'il était parfaitement illusoire d'attendre une révélation. Ses mensonges formaient une gaze fine, délicate, inextricablement intégrée dans le tissu même de sa vie et chaque jour renouvelée. Elle en avait fait une toile aux mailles si fines et si serrées qu'elle seule savait vraiment ce qui était vrai et ce qui ne l'était pas, et qu'elle parvenait parfois à se tromper elle-même, si bien qu'elle ne s'en souvenait plus." (Gaïa - p.29)

Henné avait treize ans quand elle fut allègrement offerte en mariage au fils aîné d'une des meilleures familles de Calcutta, mariage qui fut conclu grâce à un audacieux tissu de mensonges, aussi raffiné et impudent que les motifs dorés sur le sari écarlate qu'elle portait le jour de ses noces. Dans sa famille paternelle, on était menteur de profession : commerçants du Bengale, ils avaient amassé leur argent en vendant en secret aux expatriés britanniques condamnés au purgatoire que représentait un poste au sein d'un gouvernement régional dans l'Inde d'avant l'Indépendance des poudres et pommades d'origine douteuse, destinées à soulager leur ennui et leur lassitude. Ces jours bénis s'étaient envolés en même temps que les Anglais quelque dix ans auparavant, mais le père de Henné n'était toujours pas du genre à rater une bonne affaire : sitôt qu'il apprit que la famille Karim - de riches propriétaires terriens de Calcutta au teint exceptionnellement clair - allait visiter les fermes qu'ils possédaient dans les environs de Dhaka, il se lança sans perdre une seconde dans une opération de reconnaissance efficace.
Au départ, son modeste plan avait été de nouer une alliance commerciale, mais il gagna en ambition en découvrant qu'une alliance nettement plus lucrative et durable était peut-être à sa portée. Il apprit que leur fils Rashid, qui préférait qu'on l'appelle Ricky, était en âge de se marier mais qu'il affichait des goûts si singuliers que ses parents, pour leur plus grande frustration, n'avaient pas encore réussi à lui dégotter une épouse. Il avait fait ses études à l'étranger et insistait pour que sa femme fût une personne qu'il pût «aimer», une fille lettrée et de bonne éducation qui partagerait les mêmes centres d'intérêt que lui.
Nadim Rub observa sa fille, têtue et précoce, qui ratait constamment l'école, se montrait insolente à l'égard de ses professeurs et volait les magazines de cinéma de sa tante pour se repaître des photos de stars avec un enthousiasme de petite fille. Elle était suffisamment athlétique pour lui échapper chaque fois qu'il tentait de la battre en punition de ses méfaits, s'enfuyant parfois avec agilité par les toits voisins où il ne pouvait pas la suivre. Elle avait hérité de sa ruse à lui et de la beauté de sa défunte mère. Elle possédait encore une minceur d'adolescente mais sa poitrine s'était assez développée ces derniers temps pour qu'elle puisse passer pour une femme et non une fille. Il lui décrivit son plan.
Dans l'agréable étreinte au parfum de café qui s'ensuivit, à ces heures matinales, alors qu'il donnait à Verity ses chocolats à la menthe poivrée favoris, il se dit que tisser un mensonge était comme tisser des fils de chocolat chaud, cela fondait dans la bouche avec douceur et rendait le tout bien plus facile à avaler.
Récemment, j'ai recommencé à penser à Oscar Wilde, étendu dans le caniveau d'une rue de Paris, en train de regarder les étoiles, et j'ai songé à ce qu'il disait sur le fait qu'il n'existait que deux tragédies : ne jamais réaliser ses rêves et les réaliser tous.
"Mon frère ennemi. Il y aura toujours une place pour toi dans mon cœur mais il n'y a plus de place pour toi dans mon pays. La terre verte et douce est rouge de sang d'hommes braves, de femmes brisées et d'enfants innocents, et les cris de vengeance ne doivent pas être étouffés et ne le seront pas. Mon frère, mon ennemi. Il est temps de cesser le combat et de rentrer."