Citations de Rose Tremain (130)
Dans les rues, tout allait vite - les voitures, les tramways et la foule - , comme si chacun avait hâte de se trouver ailleurs.
Notre moniteur, M. Borloz, était un homme jovial d’une quarantaine d’années, bronzé par la réverbération du soleil sur la neige et la glace. Les Allemandes et une ou deux filles du contingent anglais savaient déjà slalomer ; elles ont été retirées du groupe de Borloz et ont grimpé plus haut sur la montagne avec le téléphérique. Nous, nous sommes restées sur les pentes pour débutants, passant de longues heures de chaque séance à monter en crabe pour retourner là où nous pouvions risquer quelques manœuvres pour glisser. Avant chaque descente, M. Borloz était obligé de nous rappeler que nous devions être face à la pente, et au vide. Son expression pour résumer cette directive était de rester « nénés côté vallée », ce que des filles de seize ans considéreraient non sans raison aujourd’hui comme une blague sexiste, mais qui en 1960 nous faisait simplement rire. Et toute ma vie, avec ma famille et mes amis proches, l’expression a été utilisée comme une invitation comique à persévérer et affronter bille en tête l’adversité – exemple pertinent de la façon dont l’humour peut désamorcer la peur.
(...)
Dans le calme de la nuit aux Diablerets, dans notre « Maison Chardon », Carol, Ginny et moi avons passé de nombreuses soirées à chuchoter en parlant de notre avenir. Mais qu’y avait-il à en chuchoter ? Notre enfance était terminée, et pourtant, il n’y avait pas grand-chose devant nous qui fût susceptible de nous donner envie d’avancer vers nos vies d’adultes. Un cours de secrétariat. Un travail monotone de secrétaire, à promouvoir les ambitions des autres. Les hommes. Le sexe. Une robe blanche. À mes yeux, cela ne suffisait pas. « Alors, m’a dit Carol, tu vas devoir t’armer de patience, La Rose. Que peux-tu faire d’autre ? Et pointe tes nénés côté vallée. »
Je sais que l'hiver approche, mais je ne sens pas le froid dans l'air. Je ne sens que les tempêtes à l'intérieur de moi.
- Vous faites quelque chose de votre vie en travaillant pour Belle Prettywood ?
- Oui, je suppose. Belle apprécie mon travail. Et vous, Sam Trench, qu'avez-vous fait de votre temps sur cette terre ?
- Je l'ai mis à profit, en toute modestie.
Je traque assidûment les criminels pour la police métropolitaine. Je suis commissaire maintenant. Section des enquêtes criminelles.
Lily a froid brusquement.
J'ai une vaste bedaine, elle aussi tachée de son, bien qu'ayant été fort rarement exposée au soleil. On dirait qu'un vol de mites minuscules s'y est posé durant la nuit.
J’aurai voulu savoir il y a des années que la recherche du bonheur était un droit. A Swaithey, ce n’en était pas un, n’est-ce pas ? – Non, c’était un tort. “
Mais elle se rendait compte enfin qu'elle n'éprouvait plus aucune curiosité
pour Joseph.
Car, lui semblait-il, savoir tout de l'autre est un enfer
et le mariage une calamité s'il impose cela.
Comment la société a t-elle pu avoir la sottise de décréter
que des époux, si distincts, si différents, ne devaient faire qu'un ??
Émilia regarde tomber la neige. Bénie soit la nature qui bouge et change sans cesse, procurant en permanence une distraction à ceux qui ont l'âme en peine.
« L’Europe s’avance, lentement, presque aveuglément , comme un somnambule vers la catastrophe. »
1937
L'Europe s'avance, lentement, presque aveuglément, comme un somnambule vers la catastrophe.
J'en suis arrivé à croire, dit-il, que l'esprit humain est comme un morceau d'étoffe. L'ennui avec le mien c'est... comment dire ? Le tissage s'est relaché.
Thomas Mann avait compris à la perfection qu'une passion secrète , si elle est inassouvie , mène inévitablement à l'effondrement physique et finalement à a mort .
- Et je me suis dit : bon Dieu, Christy Slane, p'têtre bien qu'après tout, tu pourrais arrêter d'picoler et te r'mettre au boulot. C'est la première fois d'puis des mois que j'me disais un truc pareil. Parce que, si tu veux savoir, la plomberie, j'aime ça. J'ai toujours aimé. J'suis capable de bander rien qu'à voir une série de joints de compression. C'est pas des blagues.
(p. 362)
- Quand j'étais plus jeune, Lev, je disais toujours aux gens ce que je croyais qu'ils avaient envie d'entendre. Je ne le fais plus. C'était cruel. C'est pourquoi je ne peux pas vous dire aujourd'hui que vous arriverez à vous en libérer [de la tristesse du deuil] et à passer à autre chose, parce que, tout simplement, je ne connais pas la réponse.
(p. 313)
Il y a dans l'inattendu quelque chose qui nous touche profondément. Comme si tout, dans la vie, se payait d'une manière ou d'une autre, sauf ces moments uniques qui, eux, seraient gratuits.
“Ce qui est arrivé, Mary, c’est ceci. L’Ange de l’Oubli commet lui-même, de temps en temps, un oubli. Il oublie d’effacer de nos mémoires toutes les traces de nos vies antérieures. Et quand cela se produit – comme cela s’est produit avec toi – la personne est hantée par la conviction qu’il ou elle ne se trouve pas dans la vie adéquate”.
Christy lui montra une liasse de billets.
- Du cash, tu vois, dit-il. Le liquide, c'est de l'or, n'oublie jamais ça, Lev. Moi, dans mon boulot [plombier], j'demande toujours du liquide, parce que je veux pas que mon argent serve à payer un crétin pour tailler des arbres ou creuser des trous dans la rue. Je refuse de subventionner les guerres à l'étranger ou d'aider à refaire les toilettes de la Chambre des communes. Tout ç'que j'gagne, c'est pour moi, point barre. C'est comme ça que je vois les choses.
(p. 136)
Il s'en voulut de perdre ainsi son temps à rêvasser. Rêver, c'était bon pour l'heure du déjeuner à la scierie de Baryn, mais on ne pouvait s'offrir ce luxe et survivre dans des villes telles que Glic ou Kor, sans parler de Londres. "Les villes, c'est des putains de cirques, avait fait remarquer Rudi un jour. Et les types comme toi et moi, on est les ours savants. Alors danse, camarade, danse, ou tu tâteras du fouet."
(p. 62)
Lev sentit la main libre du policier lui parcourir le corps : bras, torse, hanches, entrejambe, jambes, chevilles. Il se tint aussi immobile que possible, sans protester. Quelque part, très loin dans sa tête, il se demanda s'il allait être arrêté et renvoyé chez lui, et il songea alors à ces milliers de kilomètres à refaire en sens inverse, et à la honte de son retour à Auror, sans rien pour compenser les soucis et la souffrance qu'il avait pu causer.
(p. 43)
[ milieu 19e siècle ]
(...) une fois arrivé à la ferme aux Freux, vous n'aviez aucune envie d'en partir. Elle masquait l'immensité du monde extérieur. Impossible de se douter qu'à cent dix kilomètres se trouvait une ville telle que Londres, où l'on pouvait faire travailler les enfants comme ramoneurs ou leur casser les reins sur un métier à tisser, les nourrir d'os et les faire dormir à quatre ou cinq dans un lit.
(p. 16)