Alors que j'allais finir par ne plus y croire, Pierre avait enfin réussi à se garer dans une place dans laquelle il pouvait stationner deux voitures comme la sienne. Il pestait à présent sur Paris et sa circulation démentielle, son périphérique crasseux, ses rues bondées. Il avait souhaité faire le déplacement pour m'accompagner à une conférence sur Aung-San-Suu-Kyi organisée à La Sorbonne, dans le Ve arrondissement, et je le regrettais amèrement. Je n'avais pourtant jamais remarqué qu'il affectionnait l'Asie. Encore moins cette femme légendaire. Il n'aimait pas non plus l'ambiance de la Ville lumière, mises à part des promenades à Orsay ou au Centre Pompidou, ou au pire une balade sur les quais de Seine, la nuit tombée, afin de capturer quelques clichés. Alors pourquoi venait-il polluer mon univers ?
En y repensant, il avait bien réalisé une peinture sobrement intitulée l'Irrawaddy, l'année dernière. J'étais tombée dessus avec stupéfaction, au détour d'un des couloirs de son immense demeure. Au premier plan, une pagode peinte en jaune et vert ornée d'une ancre flottait tranquillement, moteur relevé, alors que ses passagers étaient occupés à contempler un dauphin qui nageait à leurs côtés, dévoilant à peine son rostre. Je l'avais brièvement questionné à ce propos, mais il était resté vague, presque gêné de devoir en divulguer les secrets de fabrication.