Trailer du roman Le Châle de Cachemire, de Rosie Thomas.
Prix du Grand roman en Angleterre
C'était peut-être cela, vieillir: prendre conscience de plus en plus que tout ce qui vous arrive recouvre des souvenirs plus anciens, déclenche de nouvelles vagues d'associations, jusqu'à ce que chaque événement vous semble autant la résonance du passé que la réalité présente.
Manali était située dans les contreforts de hautes montagnes et l'air y était merveilleusement frais, vivifiant et parfumé. Les corniches surplombant la vallée étaient couvertes de sapins d'un vert profond. Les paysages rappelaient la Suisse à Nerys, bien qu'elle n'y soit jamais allée.
Elle se promenait le long d'un ruisseau à l'eau transparente comme le cristal et regardait les aigles tournoyer au-dessus des rochers escarpés. Son esprit s'élevait comme ces oiseaux.
Une fois que tes deux parents sont morts, ça y est, tu n'as plus d'excuse. Tu dois être responsable parce qu'il n'y a plus personne pour te protéger. Tu vois ce que je veux dire ?
Comme c'est étrange, pensa-t-elle, que deux personnes puissent avoir une conversation tout haut et, simultanément, en avoir une autre dans leurs cœurs.
Puis on attrape une tasse ou une assiette qu’on utilise tous les jours, une qu’on aime et dont on se sert si souvent que la main qu’on tend a déjà adopté la position voulue pour s’adapter à ses courbes. On est certain qu’hier elle était à sa place, mais à présent il n’y a plus rien. Un espace vide. On a perdu quelque chose de si familier, qui faisait partie si intégrante de notre vie qu’on ne la cherchait pas. On s’attendait juste à ce qu’elle soit là, comme toujours.
Voilà le sentiment que procurent les souvenirs importants, ceux qu’on ne veut pas perdre. C’est le fragment de notre passé qui explique pourquoi on a vécu notre vie ainsi et pas autrement.
Son chagrin était lourd comme une pierre, mais elle le contint. Ce n'était que ce soir, ce dernier soir dans cet endroit charmant, qu' il lui semblait trop dur à porter.
« (...)elle se rendit compte que ce qu'elle éprouvait était un sentiment de liberté. (...) Elle tendit la main et toucha le châle,(...) J'ai réfléchi à une chose. Je vais peut-être voyager. Tu sais maintenant que papa est parti et, comme tu dis il ne reste plus que nous. Je pensais aller en Inde- peut-être voir ce que je peux découvrir sur Grand-maman et son châle. Je percerais certains mystères de l'histoire de la famille (...).
"Comme c'est étrange, pensa-t-elle, que deux personnes puissent avoir une conversation tout haut et, simultanément, en avoir une autre dans leurs cœurs"
"Justement, c'était une femme entravée par les conventions, car ces mêmes conventions étaient ce qu'elle s'était engagée à respecter. Ce n'était qu'à présent qu'elle avait la réelle possibilité de les bafouer qu'elle prenait pleinement conscience de la fermeté de ses convictions"
Elle se sentit épuisée par l'effort permanent que demandait le simple fait d'exister en Inde.

Depuis que je parle et que je marche, pensait Mair,
je me suis écartée du chemin emprunté par mon frère et ma sœur.
Au lieu de suivre leurs pas dans une bonne université, elle avait quitté la maison et le pays de Galles à l'âge de dix-sept ans, réalisant une promesse de longue date, à mi-chemin entre une plaisanterie familiale et une menace d'adolescente rebelle : partir rejoindre un cirque. Et au Cirque Floyd, elle avait rencontré Harriet Hayes, ou Hattie le Clown. Ensemble, elles avaient élaboré un petit numéro de trapézistes. Leurs soirées au cirque étaient maintenant loin derrière elles, mais elles étaient restées très amies depuis.
Entre-temps, Mair avait aussi été gérante d'une boutique de robes, chanteuse dans un groupe, réceptionniste, responsable RP, assistante dans une crèche, libraire, et autres incarnations sur le marché du travail, avec plus ou moins de succès, mais une certaine satisfaction en général.
Non, même Hattie ne me qualifierait pas de responsable, admettait-elle.
Et Hattie était bien plus frivole qu'Eirlys [la sœur de Mair].
[Mair hésite à partir en Inde sur les traces de ses grands-parents, même si elle est intriguée par un vieux châle en cachemire qui aurait appartenu à sa grand-mère. Eirlys, sa sœur, la pousse à partir dans cette quête.]
Mair n'avait encore jamais été en Inde, elle ne connaissait ni les plages de Goa, ni les paysages de Jaipur, alors un village isolé dans l'Himalaya ...
Malgré sa fierté de femme indépendante, elle n'avait pas non plus l'habitude de voyager seule. Quand elle avait les moyens de partir en vacances, elle se retrouvait en général en Espagne ou dans les îles grecques, avec un nouveau petit ami ou un qu'elle avait l'intention de quitter, ou bien avec un groupe d'amis dont Hattie, presque toujours.
Comme à l'accoutumée, Eirlys avait raison quand elle avait fait remarquer que Mair rompait rarement avec son absence de routine très étudiée.