
- Je voudrais égaler mes frères, répondit simplement Lindsey, mais je n'ai malheureusement pas leur force.
- Ni leur poids, grâce à Dieu! Il n'empêche : vous avez su retenir ce misérable, en attendant de l'aide. S'il s'était trouvé en ma présence, ce spadassin aurait sans difficulté donné de quoi se réjouir à Ruthven et à ses complices. Il m'aurait tuée, avec le futur roi que je porte.
En proie à des préoccupations différentes, ni Darnley ni Jamie ne releverent le propos. Le mari de la reine craignait surtout pour sa propre vie. Quant à James Mac Donald, il s'interrogeait en vain sur le commanditaire de l'intrus. Puisqu'il n'avait pu suivre Mac Leod, il fallait bien qu'il ait été tenu au courant de la retraite secrète de la reine. Mais par quel indicateur? Ni Mary Seton, ni l'écuyer qui l'avait emmenée a Dunbar ne savaient rien de sa présence à Lochspearen. Des renforts allaient se regrouper au château, où la sécurité serait bientôt renforcée. Le mystère de cet aventurier solitaire n'en demeurait pas moins préoccupant.
Dans la mythologie grecque, les dieux se plaisaient à faire croire aux hommes qu'ils étaient maîtres de leur destin. Ils leur lançaient donc de bien alléchants appâts pour mieux les livrer au danger. Et ce dans le seul but de prouver que, réduits à leurs propres moyens, les simples mortels couraient toujours à leur perte. Alors, les dieux intervenaient pour les sauver, démontrant ainsi leur toute-puissance.
Celui qu'on appelait Dillon devait paraître avenant aux femmes de sa race, sans doute, et à bien y réfléchir, elle aurait souscrit à cette assertion n'eût été cette balafre qui courait de sa joue à ses lèvres, et que l'ont devinait sous sa barbe courte. Il ne portait nulle chemise sous son manteau et elle avait du mal à détacher ses yeux du mouvement souple de ses muscles jouant sous la peau hâlée de sa poitrine. Certes, aucun anglais n'aurait souffert de se présenter en un tel appareil devant une dame, mais pour quelque étrange raison, elle restait fascinée par ce spectacle qu'en d'autres circonstances elle aurait certainement trouvé offensant.
-S'il est si parfait, pourquoi donc me tient-il prisonnière dans cette geôle ? Avant de répondre, le moine balaya du regard la pièce où ils se trouvaient, le feu crépitant devant eux, et les fauteuils confortables et couverts de fourrures épaisses.
-Je me demande si vous croyez vraiment que ses frères jouissent d'un confort équivalent à celui qui vous est offert ici, milady, sincèrement, ou s'ils ne croupissent pas plutôt dans quelque donjon glacé. Leonora resta figée, saisie par la honte, incapable de répondre.
... Aimer, quelle souffrance
A vous broyer le cœur...
Au plus secret d'elle-même, elle ressentait ce vide, cette lassitude, cette peur de lendemains tous semblables.
-J'ai pensé qu'après un si long voyage, vous seriez bien aise de vous changer. Dillon n'éleva nullement la voix, mais ses paroles claquèrent comme la lanière d'un fouet :
-Nous sommes des guerriers, milady, des Highlanders. Nos vêtements peuvent vous paraître frustres et grossiers, mais croyez qu'ils ont été tissés avec amour.
Il devait avouer qu'elle faisait preuve d'une résistance surprenante pour une habituée à vivre dans le luxe. Une telle équipée devait représenter pour elle le summum de l'inconfort et de l'aventure. N'empêche, lui qui s'attendait à la voir gémir sans cesse et se plaindre à l'envie, il la trouvait diablement forte et courageuse.
Cela semblait incroyable, mais à peine se touchaient-ils que des étincelles semblaient jaillir entre eux. Et l'innocence qu'il pensait avoir devinée chez elle semblait confirmée elle aussi. Il soupçonnait le contraire jusqu'à-là, mais à présent, il aurait juré être le premier l'homme qu'elle eût jamais embrassé.
L'Amour... c'était bien l'amour qui lui gonflait le cœur, s'épanouissant à chaque mot. L'amour entaché par l'angoisse, chaque jour plus précise, de voir un
jeune frère s'éloigner, d'une manière ou d'une autre. Amour et souffrance seraient-ils toujours indissociables ?
L'expérience qu'il venait de vivre l'avait laissé sous le choc, plus encore qu'une savate en pleine tripe, lancée par un expert en karaté. Aucune chanteuse ne l'avait bouleversé à ce point, n'avait fait naître en lui une telle ivresse.