"Bienvenue aux éditions P.O.L", un film de Valérie Mréjen. Pour les 40 ans des éditions P.O.L, quelques un(e)s des auteurs et des autrices publié(e)s aux éditions P.O.L écrivent une carte postale et laissent un message aux éditions P.O.L.
Avec par ordre d'apparition de la carte postale: Violaine Schwartz, Jean-Paul Hirsch, Lucie Rico, Emmanuel Lascoux, Jacques jouet, Philippe Michard, François Matton, Frédéric Boyer, Catherine Henri, Suzanne Doppelt, Lamia Zadié, Marianne Alphant, Suzanne Duval, Laure Gouraige, Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Elisabeth Filhol, Célia Houdart, Nicolas Fargues, Nicolas Bouyssi, Louise Chennevière, Frédérique Berthet, Marie Darrieussecq, Jocelyne Desverchère, Jean Frémon, Kiko Herrero, Julie Wolkenstein, Emmanuelle Bayamack-Tam, Liliane Giraudon, Frédéric Forte, Pierric Bailly, Valère Novarina, Hélène Zimmer, Nicolas Combet, Christian Prigent, Patrice Robin,, Emmanuelle Salasc, Alice Roland, Shane Haddad, Mathieu Bermann, Arthur Dreyfus, legor Gran, Charles Pennequin, Atiq Rahimi, Anne Portugal, Patrick Lapeyre, Caroline Dubois, Ryad Girod, Valérie Mréjen / Dominique Fourcade, Marielle Hubert, Robert Bober, Pierre Patrolin, Olivier Bouillère, Martin Winckler, Jean-Luc Bayard, Anne Parian, Nathalie Azoulai, Julie Douard, Théo Casciani, Paul Fournel, Raymond Bellour, Christine Montalbetti, Francis Tabouret, Ryoko Sekiguchi,
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On croit parfois universels certains concepts qu’on estime essentiels à la vie, et on s’étonne d’apprendre qu’ils ne s’appliquent pas partout. C’est le cas, par exemple, des notions de « société », de « liberté » ou d’« amour », qui n’existent en japonais que depuis l’ouverture du pays au XIXe siècle, comme concepts traduits des langues européennes. Le constat étonne toujours les non-Japonais.

The Last Leaf d’O. Henry est l’histoire d’une jeune femme qui s’identifie à une saison. Johnsy, atteinte de pneumonie, est au seuil de la mort. Par la fenêtre du modeste appartement qu’elle partage avec d’autres artistes, elle contemple les quelques feuilles de lierre restées accrochées sur les branches et annonce qu’elle mourra lorsque les dernières feuilles seront tombées. Selon le médecin, c’est surtout l’envie de vivre qui lui manque : elle ne saurait guérir si elle ne reprend pas goût à la vie. Behrman, son voisin du dessous et vieux peintre alcoolique, répète à qui veut l’entendre qu’il peindra un jour un chef-d’œuvre. Il rabroue gentiment la mélancolique Johnsy. Après une nuit de tempête, il ne reste au matin qu’une seule feuille au lierre. Les rafales de vent et de pluie ont beau se poursuivre le lendemain, la feuille tient bon contre le mur. C’est cette feuille qui rend à Johnsy son espoir en la vie, et la jeune femme retrouve peu à peu ses énergies. En revanche, Behrman s’éteint deux jours plus tard, de froid et de fatigue. La dernière feuille de lierre sur le mur, c’est lui qui l’avait peinte. Johnsy comprend alors que c’était là le chef-d’œuvre promis.
Il y a une expression en japonais, "aji wo mukae ni iku", qui pourrait se traduire par "aller chercher un goût". En cas de rencontre véritable entre deux ingrédients, il arrive que l'un aille "chercher le goût" de l'autre, pour en extraire la meilleure part. Pour peu que l'échange soit mutuel, on pourra découvrir une saveur qui n'existait pas tant que les ingrédients menaient leur vie séparément.
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Lors de l'assemblage, au début, la sensation que l'on éprouve s'apparente à celle d'une marche dans la montagne.On ne voit pas forcément tout le chemin à parcourir jusqu'à la cime, parfois la brume nous cache la vue. Mais au fur et à mesure que l'on avance, que l'on réfléchit, il arrive un moment où l'on parvient au sommet et l'horizon s'ouvre devant soi. Et l'on embrasse alors l'ensemble du paysage, avec ses collines et ses vallées. On comprend pourquoi les vallées existent ici, les collines par-là, et les rivières qui coulent entre les deux.
Hervé Deschamps
Il est des idées qui ne naissent que dans le dialogue : à l'état de germe, elles attendent parfois d'être réveillées par les échanges entre deux personnes qui partagent le même esprit.
Il paraît qu'être digéré par un nuage est une expérience exquise, irrésistible, comme tomber dans les bras de Morphée.
Les odeurs vous entourent, font sens et constituent le monde.
Tant que sa voix existe.
Le surgissement partiel et cruel
D’une personne qui n’est plus.
De sa vie restera une onde.
Tous les écrits qui traitent du travail des hommes avec la matière appellent des rencontres concrètes. On ne peut pas parler d'agriculture sans voir la terre.

La coutume de l'o-miokuri surprend souvent les Occidentaux en visite au Japon. Elle consiste à raccompagner la personne qui s'en va, comme cela se pratique dans beaucoup d'autres cultures, et comme elle s'est pratiquée longtemps dans les gares et les ports. Au Japon, cependant, elle ne concerne pas seulement les grands départs. En ce moment que je suis au Japon, ma mère reste sur le pas de la porte tous les matins quand je sors de la maison, et agite la main jusqu'à ce que j'aie tourné le coin de la rue. Dans les restaurants traditionnels de Kyoto, le chef et la patronne sortent chaque fois qu'un client quitte l'établissement, et continuent de les saluer jusqu'à ce qu'il ait disparu de leur champ de vision. Omiokuri, c'est "raccompagner (okuru) du regard (mi)".
Chaque fois que je me rendais chez mon grand-père, au moment de se quitter, il faisait "omiokuri" jusqu'à ce que j'aie monté la pente et que l'on ne se voie plus. C'est le regard qui prolonge le lien entre deux personnes, même après le départ.
Est-ce parce que nous, Japonais, n'avons pas d'autre geste pour ponctuer la séparation, comme la bise? Toujours est-il que la séparation, comme une queue de comète, laisse une trace; ce n'est pas tourner la page brusquement.
(...)
Ce ne sont pas seulement les personnes; parfois, un lieu peut vous accompagner. Lorsque l'on prend le train, le bateau ou la voiture, et que l'on regarde s'éloigner le paysage du lieu qu'on quitte, n'avez-vous pas senti parfois ces montagnes, ce port, vous accompagner encore un moment?
Aucun départ, nulle séparation, ne se fait en un instant. Même si le moment du départ dure à peine une seconde, il reste encore les vagues, la lumière qu'a laissée le temps passé ensemble.