Critiques de S.I. Charpentier (3)
J'ai toujours su que Raskolnikov avait quelque chose de Dostoïevsķi.
Ce roman-historique a ceci de formidable qu'il est résolument littéraire. On a l'impression de se replonger dans Crime et châtiment, de se retrouver enfermés dans le tristement célèbre Château d'If aux côtés d'Edmond Dantès, et de percevoir le désespoir et les tourments du Dernier jour d'un condamné.
Alors qu'il a 28 ans, Dostoïevski est arrêté et conduit à la Forteresse Pierre et Paul, accusé d'avoir comploté avec dix-neuf autres jeunes contre Nicolas Ier. Il s'agit de l'une des plus grandes affaires politiques du XIXe siècle en Russie à laquelle se trouve mêlé celui qui deviendra l'un des plus grands romanciers du siècle.
L'histoire est racontée par l'un des hommes qui furent envoyés afin de procéder à l'arrestation de Dostoïevski. La vie du narrateur se voit bouleversée car il est aussi un fervent admirateur de la plume de l'auteur qu'il doit conduire en prison et il a sensiblement le même âge.
Dans ce procès, c'est toute la jeunesse qui est visée. Celle qui subit la violence de la censure et la violence de la répression.
La frontière entre le narrateur et l'auteur est à ce point poreuse que je me suis parfois demandée qui de l'auteur ou du narrateur raconte l'histoire. C'est qu'à l'instar du premier, le second exhume les comptes-rendus et les documents liés à ce terrible procès.
La peur du narrateur de découvrir des preuves écrites de la main de Dostoïevski qui tendraient à constater qu'il a dénoncé ses camarades dans le but de sauver sa vie est aussi celle de l'auteur et de la lectrice que je suis. Admiratrice absolue de Dostoïevski, mes mains tremblaient lorsque je tournais les pages. Et pourtant, Dostoïevski est humain et, comme l'écrit l'auteur, on aurait tort de juger celui qui voit la mort de près.
Je m'étonne de ne pas avoir eu connaissance de ce livre plus tôt et je ne peux que remercier Babelio et Trakt éditions de m'avoir choisie pour le lire lors de la Masse critique.
Merci à l'auteur pour son travail de recherche et pour son talent. Son style envolé, sa poésie, son empathie et sa justesse m'ont permis de partager la cellule numéro 9 avec Dostoïevski le temps de ma lecture.
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Saint Petersbourg, avril 1849. Il est 4 heures du matin quand la police pénètre dans l'appartement de Fiodor Dostoïevski. Avec lui, une vingtaine d'autres jeunes gens (le cercle de Petrachevski) qualifiés de révolutionnaires sont arrêtés et incarcérés à la prison Pierre et Paul avant d'y être interrogés et jugés.
C'est sur cet évènement que S.I. Charpentier base son roman paru en 2011. L'auteur y décrit l'arrestation de notre écrivain alors âge de 28 ans et de ses comparses puis son séjour au sein de la forteresse Pierre et Paul.
À cette époque, le monde est encore sous le choc du Printemps des peuples, mouvements révolutionnaires et insurrectionnels qui s'étendirent de la France à la Pologne. La Russie, sans doute alors le plus « archaïque » et autoritaire pays d'Europe (le servage n'y sera aboli que 12 ans plus tard) craint une révolution et le régime tsariste se méfie tout particulièrement de la jeunesse libérale dont Petrachveski et les siens sont l'emblème.
L'ambiance paranoïaque et oppressante qui règne au sein des fonctionnaires et militaires russes (qui n'est pas sans rappeler celle que l'on trouve dans le Double) est très bien racontée par l'auteur et constitue un des points forts du roman. Alors qu'on pourrait craindre un certain ennui du fait de la quasi-absence d'action et du sujet très précis du roman, Charpentier se débrouille adroitement pour alterner les narrateurs, et entretenir le suspense sur de possibles dénonciations mutuelles entre prisonniers tout comme sur le sort final réservé aux révolutionnaires. D'ailleurs, la scène finale (véridique) est digne d'une pièce de théâtre et permet de comprendre le titre du livre.
En revanche, le lecteur qui voit là une biographie de Dostoïevski restera sur sa faim : en effet, on apprendra assez peu sur Dostoïevski dans ce roman. L'écrivain apparait assez conforme à l'image qu'on se fait de l'auteur de Crime et Châtiment et de Les Possédés : un corps frêle, presque maladif balloté par l'histoire. Fiodor Mickailovitch semble alors davantage spectateur qu'acteur dans sa propre vie.
Du chemin qui l'a mené jusqu'au cercle Petrachevski, du bagne et de la lente transformation du jeune écrivain libéral et fasciné par les idées européennes en un croyant fervent et slavophile, on ne saura rien (ou presque)…
Un roman historique réussi mais le lecteur qui cherche une biographie de l'écrivain russe devra trouver son bonheur ailleurs.
Un grand merci aux éditions Trakt et à Babelio pour ce livre reçu dans le cadre de Masse Critique.
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Tout d'abord, merci à Masse critique pour la découverte de cet ouvrage.
En 1849, Dostoïevski est arrêté et détenu dans la forteresse Pierre et Paul pour avoir participé aux réunions du cercle des pétrachevstsy, des réunions abordant des sujets littéraires, philosophiques et politiques. Nicolas 1er décide alors de réprimer ce mouvement en emprisonnant l'ensemble des participants . Au cours de leur détention, les individus seront questionnés sur la teneur de leur réunion et sur l'identité des meneurs. Les interrogatoires ne donnant rien, les geoliers donnent alors aux détenus une autre alternative, coucher sur le papier leurs aveux mais surtout la dénonciation de leurs comparses. Je ne dévoilerai pas les écrits de Dostoïevski, je vous laisse les découvrir par vous même.
Tout au long de cet ouvrage l'auteur m'a plongée dans l'ambiance sordide, noire, humide, anxieuse de cette détention. Je ne dévoilerai pas l'intrigue si je vous dis que Dostoïevski échappera à une exécution. Le titre de cet ouvrage est très certainement lié à l'issue de l'histoire, toutefois à travers les pages j'ai senti la première mort de Dostoïevski, pas une mort physique, mais celle de l'esprit, privé de lecture, privé d'écriture, sa mort débute bien avant la sentence.
Mais la première mort de Fiodor Mikhaölovitch s'est aussi les pensées de ce dernier pour son enfance, les liens avec son frère. Cet ouvrage dévoile à mon sens un être torturé et c'est là très certainement le secret de son oeuvre.
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