Sonnet du Baiser
Entêtante et douée pour un bonheur fragile,
Je volerai vers toi comme on va vers la mer,
Paris soudain figé devant l’hôtel de ville,
Doisneau et son Baiser à jamais sont offerts.
Ou bien je glisserai mes creux en tes épaules,
Nos têtes entrelacées quand nos âmes se frôlent :
Le Baiser de Rodin et nos corps fracassés
En cet amour de bronze sur mes ailes brisées.
Alanguie telle un ange en lisière de vie,
Au doux Baiser de Klimt, abandonnée, je ris.
L’or poudroie en tourmentes, mes yeux clos voient le ciel.
Je ne crois plus aux fleurs, j’ai prononcé mes vœux.
Mon printemps a fané, mes espoirs ont pris feu.
Mais ton baiser promis lèvera l’arc-en-ciel.
La nuit des loups.
Apprendre à composer, à se décomposer. Les arpèges bleus de nos espérances, de free jazz se font marche militaire.
Ne plus être dépositaire de soi même, vivre en poste restante. Les colifichets ont cédé la place aux colis fichés.
Ne plus oser être sauvage, dompter l'animal, mais vivre dans la perte de nos savanes et steppes.
Le lion est mort ce soir. Peuple des loups, adieu.
Nous vivions à bout de souffle, le cœur au bord de l’âme. Dans le papier millimétré du quotidien, nous traçons à présent notre avenir à la règle.
Ecran dégrisé de nos nuits blanches. Jours sombres de ces nuits qui ne servent plus qu’à dormir : elles ont perdu leur ontologique fonction de mères maquerelles.
Au cinéma Paradisio, les strapontins mités s’effritent, tandis que nous branchons les écrans plats de la facilité. A l’aulne de la mire, nous contemplons des miradors aux allures d’éoliennes. Il est si facile de nous faire prendre nos désirs expurgés de sens pour de belles réalités.
Même les rêves sont banalisés, canalisés, dévalisés de sens ; on espère une promotion, une PROMOTION, alors que nous voulions changer la vie…Rimbaud poète de cour. Abyssinie au fin fond du Gers.
«Je » n’est plus un autre, Je est cette entité parfaitement sociabilisée qui n’oublie jamais de passer au pressing. Je a perdu ses semelles de vent, il est adscriptus glabae dans la corvée des bienséances.
Ne plus connaître le nom des chanteurs et des groupes, premier symptôme de l’Alzheimer des libertés. Ecouter « Mord moi la langue » et être choqué au lieu de frissonner. Compteur bloqué sur Drucker ou Sébastien, ne plus regarder « Taratata ». Nos notes bleues évaporées cèdent la place au bal des vampires de la médiocrité.
Rouillées au fond d’un garage aux étagères ordonnées ou d’une mémoire de plages atlantiques, les sardines de la tente sont symboles de notre ascension sociale ; nos enfants ne connaissent même pas l’expression « dormir à la belle étoile ».
Chalouper le long des allées d’IKEA. Autrefois, passer des heures au fil d’un voyage immobile, sur des coussins en patchwork, à refaire le monde en écoutant Pink Flyod. Le Che en affiche rouge a aujourd’hui des allures de portrait présidentiel.
Faire calculer sa retraite, pendant que la génération d’avant pense à l’achat d’une concession. Logarithmes de plomb. Nous comptions, autrefois, les étoiles. Leur doux frou-frou s’est cristallisé sous la glèbe de nos deuils.
Dans la salle de bains, l’armoire à pharmacie prend plus de place que l’étagère des produits de beauté. Belle de nuit évaporée au gré des ordonnances : nos soieries se font flanelle.
Ne pas rater une seule réunion de copropriétaires, mais ne connaître aucune des nouvelles capitales européennes. Notre univers se rétrécit au fil des barbelés de notre morale. Accrochées tels drapeaux de prières vides de sens, nos souvenirs rouillent et claquent au vent mauvais.
Où êtes-vous, orages désirés ? Nous avons muselé nos tempêtes et encordé nos rêves. Endeuillés d’espérances, nous nous contentons d’un quotidien sans tambour ni trompettes, regard rivé au sol des sordides.
Cheveux longs idées courtes, mais la plage mugissait sous nos pavés jetés. Peroxydées de banalités ou en attente de calvitie, nous feuilletons les catalogues de la compromission. N’est pas Karl Lagerfeld qui veut.
Nous avions faim d’univers, nous avions soif de mondes. Etanché, notre appétit devient anorexie sociale.
Peuple des loups, sortez des bois ! Rêves, reprenez du poil de la bête !
Animale, j’ai retrouvé le sens des âmes. Esprit libre, j’ai appris à respecter mon corps.
Si tu attrapes ma main, nous sauterons à pieds joints de la falaise du non sens vers l’océan des impossibles.
Je t’attends.
Passer mon cœur à l’encaustique
Un bateau de glycines comme amarré au port, et les renoncules qui font la révérence ; la lampe tempête, phare des absences.
L’été, elle m’accueille comme une luciole apprivoisée. En hiver, l’écho des fumeroles ajoute un parfum à mes retours.
Pierre angulaire d’une vie tourmentée, la maison devient campement de mes rêves ; nomade, je me sais blottie en ses murs. Nichée en pré carré ovoïde, j’y apprends à voler.
Passer mon cœur à l’encaustique ; les piles de draps de lins aux broderies d’ancêtres asservies et patientes m’apprennent le fil du temps. Grains de lavande, perles lilas des jours heureux.
Ce silence aux veloutés d’orfraie ; la nuit chuchote et crisse, parfois l’Autan crie comme femme en gésine, et les sapins semblent fantômes au garde-à-vous.
La source, abreuvoir des miracles, légère en ses tons de cresson et d’abeilles. Ecouter sa fraîcheur.
Cristal en fusion du ruisseau, flambée de sarments aux éclats de vendanges, terre lourde en sillons d’avenir, immensité de l’estive ensoleillée : quatre éléments me constituent liberté.
Carreaux gauchis et fenêtres aux bois gourds ; j’aime ces aspérités qui dérangent l’ignare et le moderne. Ne faire qu’un avec la trace, je deviens réceptacle, bénitier des mémoires.
L’horloge : granit de sa sérénité, force tranquille du balancier contre nos dispersions informatiques.
Cieux immenses de nos étés toujours renouvelés ; partir à la pêche aux étoiles. Mon âme bat la chamade à la lune orangée.
Pailler nos joies, greffer nos connivences, étayer nos certitudes ; j’engrange les leçons de choses.
Tu n’es pas là, qu’importe. L’imposte des pierres chaudes raconte histoire sans fin. Je me construis au chaume de l’innocence.
Un jour d’automne ou de printemps, tu fouleras le serpolet ou les bruyères ; et si je suis partie, tu me liras. Les pierres auront gardé la douceur des sourires.
Au fil des jours, le langage SMS d’Enzo va se transformer, s’aérer, se structurer. Cette écriture, jamais en «T9 », ressemblera de plus en plus à un véritable échange épistolaire. Il écrit beaucoup, souvent, je reçois -et j’envoie- parfois jusqu’à quinze textos par jours. Et notre jeu poétique continue, s’enchevêtre à nos réels ; nous nous inventons des vers que nous postons ensuite sur le site, et nous envoyons de véritables citations d’auteurs. Je redécouvre Aragon, Neruda, je lui fais découvrir Marina Tsvetaieva, nous vivons par le feu des mots. Je lui ouvre l’âme en incandescence d’Emily Dickinson, il me plonge au cœur de Baudelaire...
Celle qui dit
J’aurais aimé pétrir une argile torride
Et de mes mains déesses créer de terre aride
Formes femmes fantasmes modelés tel destins
J’aurais été Camille aux côtés de Rodin
J’aurais aimé de mes yeux parcourir la planète
En devenir le chantre des gens et des bêtes
D’un objectif rageur capturer injustices
Ou simplement merveilles en beautés de solstices
J’aurais aimé devenir une toile infinie
Où mille couleurs d’intense seraient devenues vie
Tournesols ou marines ors flamands et sanguines
Ma peinture au soleil sentirait mandarine
J’aurais aimé danser en tutu de p’tit rat
Gracieuse ballerine merveilleuse Coppélia
Mon lac des cygnes aurait couleur d’immense
Isadora Duncan serait entrée en transes
J’aurais aimé vibrer au clavier tempéré
De cent accords divins de maîtres inachevés
Devenir concertiste adulée une artiste
Mes mains si assurées se feraient cantatrices
Mais je ne sais qu’écrire balbutier radoter
Raconter murmurer ravagée de pensées
Les mots me bouleversent l’émotion me décrit
Au clair de toutes lunes je suis celle qui dit.
J’aurais aimé sauver Celan.
J’aurais aimé sauver Socrate
Jeter sa ciguë aux orties
Conspuer tous ces démocrates
Faire d’Athènes son paradis
J’aurais aimé sauver Werther
Charlotte ne vaut pas une messe
Fou d’un bas bleu là le bât blesse
J’aurais enrayé revolver
J’aurais aimé sauver Rimbaud
Le rendre fou d’une vraie femme
Son Ophélie son oriflamme
J’aurais vendu tous ses chameaux
J’aurais aimé sauver James Dean
Au carrefour de l’impensable
J’aurais été sa Marilyn
Diamant dans sa décapotable
J’aurais aimé sauver Celan
L’empêcher de goûter la Seine
Pont Mirabeau couleur de haines
Les méridiens coupés de sang
J’aurais aimé sauver le monde
Soeur Emmanuelle en Bruce Willis
Avec l’amour comme seule police
Capable d’arrêter les secondes
Mais je ne sais que mélanger
Brasser les mots les injustices
Mes héros sur papier coucher
En attendant nouveau solstice.
Nos nuits de parole sont comme ces nuits valise où s’entassent tous les vêtements d’une vie, on les plie soigneusement, on les déplie, on se demande si on les amène en vacances ou si on les laisse au placard… Une de ces nuits compartiment de train, lorsque se retrouvent en huis clos délicieusement obscur, rythmé par quelques arrêts et crissements de frein, - « Mesdames et messieurs, notre train est arrivé en gare des Aubrais » - des passagers qui parleront jusqu’au petit matin, lorsqu’une gare parisienne avalera dans son anonymat les confidences nocturnes.
Nos nuits de parole sont comme ces nuits valise où s’entassent tous les vêtements d’une vie, on les plie soigneusement, on les déplie, on se demande si on les amène en vacances ou si on les laisse au placard… Une de ces nuits compartiment de train, lorsque se retrouvent en huis clos délicieusement obscur, rythmé par quelques arrêts et crissements de frein, - « Mesdames et messieurs, notre train est arrivé en gare des Aubrais » - des passagers qui parleront jusqu’au petit matin, lorsqu’une gare parisienne avalera dans son anonymat les confidences nocturnes.