À la librairie Le port de tête en 2013.
- Connais-tu Proust?
- Ecrivain français auteur d'A la recherche du temps perdu. Six lettres.
- Voilà. Ce truc-là, c'est l'Everest. Quelque chose comme quatre mille pages. Là-dedans, le narrateur goûte au début à une madeleine et ça fait revenir à sa mémoire toute son enfance. Tu te rends compte? Le gars a sorti le monde entier d'un biscuit.
-C'est pas vraiment un biscuit , une madeleine.
-Je sais. Mais moi j'ai rien qui se rapproche de ça. J'ai pas de madeleine. Tout ce dont on avait faim, quand on était des enfants, c'était de MacDo.
[…] les histoires que j’aime sont inracontables ou perdent à être racontées ou s’autodétruisent dans l’exercice même de leur formulation.
San Andreas, en temps que simulateur de vie urbaine, fournit à la culture hip-hop ce que les médias de représentation ne pouvaient lui offrir, un “récit interactif“qui place le spectateur dans le rôle de participant.
Les pâtisserie ancienne évoquent notre enfance pour nous seuls, et encore, si on prend le temps de le mastiquer comme il faut, on doit bien avouer qu'elles ne goûtent plus la même chose. P.11
(...) l'idée que l'objet du désir n'a jamais rien à voir avec le désir lui-même; l'idée que la satisfaction du désir ne le comble pas plus qu'il ne le fait disparaître, qu'au milieu de toutes les choses voulues le désir demeure en nous et se dessèche en remords et en regrets.
page 18
L'Amérique est une mauvaise idée qui a fait du chemin. C'est ce que j'ai toujours pensé et ce n'est même pas une image.
J'aurais dû dire : l'Amérique est une mauvaise idée qui a fait beaucoup de chemins. Une idée qui a produit des routes interminables qui ne mènent nulle part, des routes coulées en asphalte ou tapées sur la terre, dessinées avec du gravier et du sable, et tu peux rouler dessus pendant des heures pour trouver à l'autre bout à peu près rien, un t'as de bois, de tôle et de briques, et un vieux bonhomme planté debout au travers du chemin qui te demande :
-Veux-tu bin me dire qu'est-ce que tu viens faire par icitte?

Pour la vieille, ils avaient manqué de cartouches.
Pour la vieille ils avaient pris leurs poings et leurs pieds et la crosse de leur fusil. Peut-être que ça avait été un réconfort pour elle de savoir que son mari ne pouvait pas voir ça. L’inspecteur-chef Leroux regarda le cadavre du vieux monsieur par terre, les vêtements souillés, la moitié de la tête arrachée par les plombs de fusil, du sang partout. Probablement pas. Pour la vieille ils avaient pris leurs poings et leurs pieds et la crosse du fusil. Ça veut dire qu’ils n’étaient pas venus pour tuer, mais qu’ils avaient quand même apporté un .12 chargé.
Leroux balaya la cuisine du regard. Les vieux avaient été maintenus sur leur chaise pendant que les tueurs fouillaient. Deux hommes pas plus. Il imagina une fille dans le coin avec un trou dans ses jeans au-dessus du genou droit, un perfecto et de longs cheveux blonds sans éclat. Il imagina une fille et lui dessina deux visages, le premier paniqué et terrorisé, le deuxième curieux et pervers, mais non. Il la laissa s’effacer sur le tabouret comme une parole sans écho. Il se tourna vers le légiste qui s’activait au-dessus du corps de la vieille femme et de la bouillie immonde qu’était devenue sa figure. Il dit :
- Ils étaient deux.
- Pourquoi tu dis ça ?
- C’est le genre de folie qu’on fait à deux. Tout seul, t’as pas le courage. À trois ou quatre, tu te raisonnes.
C’était une réponse aussi bonne qu’une autre.
Les pâtisseries anciennes évoquent notre enfance pour nous seuls, et encore, si on prend le temps de les mastiquer comme il faut, on doit bien avouer qu'elles ne goûtent plus la même chose.

En fait, à travers CJ, c’est toute l’opposition binaire entre récit et jeu que San Andreas déconstruit. En refusant de les considérer comme des catégories nécessairement complémentaires ou contradictoires, San Andreas propose l’alternative de leur coexistence hétérogène.
Cette coexistence ne va pas toujours de soi. Une tension est vécue assez tôt dans San Andreas. Durant la première partie du jeu, je m’aperçois rapidement que mon soi-disant homie Big Smoke est un traître. Tous les signes sont là : il a déménagé dans un quartier sous contrôle Ballas, se fait évasif à chaque fois que mon frère Sweet réitère sa décision de ne pas impliquer les familles de Grove Street dans le trafic de drogue et reçoit les visites de l’officier Tempenny, au sujet desquelles il refuse de s’expliquer. Ce que je comprends très vite, CJ refuse de le voir. Je ne peux ainsi agir selon ce que je sais parce que CJ, lui, l’ignore. Hors des missions et des cinématiques, Big Smoke n’est repérable nulle part dans le monde numérique. je n’ai d’autres choix que d’accepter les tâches qu’il me confie pour faire progresser le récit, conscient à chaque pas de mon incapacité à commettre la seule action logique : tuer ce sale traître.
Périodiquement, on évoque l'intronisation éventuelle de la ville au patrimoine mondial de l'Unesco. Je pense qu'ils en parlaient en la construisant. C'est le même running gag entre mon père et moi. Quand on passe devant une maison arvidienne envers laquelle les années n'ont pas été tendres, un duplex dont les propriétaires ont peint leur moitié de couleurs différentes ou un gazon entretenu avec laxisme, l'un de nous deux dit : - Celle-là, y seraient mieux de pas la montrer aux gars de l'Unesco