Citations de Samuel Delage (54)
Lui aussi cachait ses plaies. Elle aurait aimé le lui dire, apprendre ce qu'il avait vécu pour qu'il sache à son tour ce qu'elle avait traversé. Mais c'était une tâche immense que de confier son cœur.
Un instant, elle crut toucher au fond d’elle-même, là où se tenaient tapis ses fantômes. Mais, ce soir là, elle n’y rencontra qu’un soupir qui avait le parfum du bonheur. Portée par la musique de Chopin, son âme s’était mise à danser.
Elle se doutait de l’état dans lequel elle retrouverait son amie, plus seule que jamais. La disparition aussi soudaine soit-elle, n’imprime l’être en profondeur que dans les jours et semaines qui suivent. Comme un choc à la surface des flots, avant que les débris disloqués ne s’enfoncent dans les eaux sombres, froides et abyssales de l’oubli et l’abandon.
Le cordon était coupé pour la seconde fois. La première avait donné la vie, la seconde, invisible, la fit disparaitre.
Cet art topiaire commence à lui sortir par le nez. Tout comme la statuaire disséminée dans les jardins. Tant qu'on y est, l'ordre classique, la symétrie, les décors, les trompe-l'oeil dans tous les coins, les vieilles pierres, il en a sa claque. Ce bel écrin renferme trop de miasmes. Il se sent plus à l'aise dans les quartiers périphériques de l'est romain, au milieu d'un squat encombré d'ordures calcinées ou devant le cadavre d'une prostituée égorgée dans un studio miteux de Testaccio, qu'à marauder du matin au soir dans ces allées princières.
Le Caire et ses seize millions d'habitants, la plus grande métropole d'Afrique et du Moyen-Orient, semblaient avoir aboli l'individu. C'était un cratère humain qui infusait, débordait, se répandait jusque dans les venelles ombragées où tanneurs, épiciers et vendeurs de tissus tenaient boutique.
Hassan respirait le désert et semblait absorber le vide alentour pour s’y fondre tout entier. Il oubliait les dunes de sable, cet immense linceul recouvrant le berceau du monde nilotique qui le fascinait depuis toujours. Un sourire ironique courut sur ses lèvres. Cette enflure de Menes le prenait pour une lope, mais ici, il était le Min de Coptos armé de son fléau, le dieu reproducteur qui fécondait chaque soir la déesse de la lumière pour donner naissance au soleil.
Excellent thriller. A consommer sans modération
Il jeta un dernier coup d ' oeil à sa voiture.
- Si c 'est pour le parking, ne t ' inquiètes pas, même la fourrière n ' en voudrait pas.
Yvan la regarda, toujours aussi sérieux.
- En revanche, si les éboueurs passent..., ajouta-t-elle.
Tout deux s ' esclaffèrent.
( page 118 )
Décidément, quand rien ne va, tout s'en va.
C'est souvent au moment le plus creux de la situation que le miracle opère !
Nous sommes tous chronométrés, on n'échappe pas au temps !
La raison n'est pas toujours celle qui appelle les cordes à répondre aux vents.
La vie nous apporte beaucoup, elle nous réjouit mais nous fait aussi souffrir parfois.
Mais ce n'était qu'un exutoire. L'envie le reprenait d'enrichir sa collection de nouveaux trophées, d'explorer la terreur chez des proies toujours plus jeunes et plus tendres.
Il devait se ressaisir, il avait fait un pacte avec Alice : ne jamais renoncer. Pourtant, aujourd'hui il se voyait à la barre d'un voilier à la dérive, perdu au milieu d'un océan, essuyant la colère du ciel. Les vents violents sifflaient, hurlaient et faisaient claquer toutes les drisses de l'embarcation. Ce n'était plus la mer qui l'entourait, mais des montagnes d'eau dépassant plus de trois fois le mât. L'écume bruissait au sommet de ses mâchoires aquatiques aussi acérées que menaçantes. Balancé de part et d'autre, glacé devant la force des éléments déchaînés, son esprit ne voulait pas se résoudre à l'impuissance.
– Mais pourquoi venir au Caire ? Vous n’êtes pas son mari. Fiancés peut-être ?
Provocation.
– Non, non… Si je suis là, c’est pour la retrouver, lui éviter des ennuis ou, qui sait, la protéger de certains dangers… commença-t-il à s’emporter.
– Lesquels ? Elle n’est pas en danger, monsieur Sauvage, elle est en fuite. Et vous en savez le motif, votre ambassade a dû vous l’apprendre. Elle a tenté de voler une pièce exposée dans une vitrine du musée égyptien. Elle a été confondue par un gardien et le conservateur en chef lui-même. Connaissez-vous Kamal Nasser ?
Chez Menes, fonctionnaire sorti du moule bureaucratique de l’ère Sadate, les formules de politesse se limitaient au strict minimum. On était reçu par un matricule. Menes avait fait ses classes dans les services de renseignement de l’armée.
Kamal Nasser, un talkie-walkie à la main, avait donné l’ordre d’inspecter toutes les salles, les bureaux, les locaux techniques, les toilettes, et de poster des hommes aux endroits stratégiques. D’après les premiers témoignages, la jeune femme aurait été aperçue dans le grand escalier puis dans l’allée centrale, d’autres assuraient l’avoir croisée dans la section des lapidaires gréco-romains. Partout et nulle part.
Inauguré en 1902, le musée de style néo-classique avait été, dès sa mise en chantier, le premier bâtiment conçu à cette fin. Ce n’était pas un édifice ancien qu’on avait réhabilité pour abriter des collections. Son architecte, un Français, l’avait dessiné en s’inspirant des temples égyptiens de la Basse Époque. Les visiteurs y circulaient librement, comme à l’intérieur d’un sanctuaire. Une vaste galerie à colonnades courait autour d’un hall central et desservait les salles d’exposition. Un handicap pour qui voulait s’y déplacer discrètement, un atout quand il y avait foule.