Les oursons vont se payer ta tête, mais regarde le point positif : tu vas pouvoir encore planer et sortir de ton corps. Puis tu dormiras comme tu n’as jamais dormi. Vas-y !
Le Charlatan me poussait à accepter.
— Promis. Tiens-moi au courant.
Les oiseaux de nuit ne connaissent aucune limite et leur corps est habitué aux épreuves imposées par l’obscurité.
Je ne pouvais pas parler d’Helen sans que le souvenir de l’accident ne remonte à la surface.
— Et pourquoi vous n’êtes plus ensemble ?
L’alcool la met en confiance.
— Parce qu’elle m’a quitté pour partir loin.
Elle est morte. Par ma faute.
— Je suis désolée, je n’aurais pas dû te questionner… Et tu as beaucoup souffert ?
Les larmes guettaient mes yeux et je dus faire un effort pour les maîtriser. Comme d’habitude. Un tel traumatisme ne s’oublie pas facilement.
— Énormément.
Mais grâce aux drogues, je ne souffre plus.
— Et comment ça va, aujourd’hui ?
Elle continuait à pousser.
— Plutôt bien. Il m’a fallu du temps pour oublier et ça n’a pas été facile.
Je venais de comprendre l’importance de l’alcool et des drogues dans ce genre de circonstance car, sobre, il était impossible de supporter autant de gens si déchirés. Il fallait atteindre le même niveau pour se supporter mutuellement.
Jusqu’où étais-je prêt à aller ? Vers quelle destination inattendue me mènerait le mode de vie des gentils oursons en peluche ? Mais surtout : quel inconnu étais-je en train de réveiller au fond de moi-même ?
La jeune femme me ramena sur Terre, car j’étais parti dans des mondes nuageux, imaginant de gros ours accueillants de toutes les couleurs qui m’incitaient à entrer.
Je hais les gentils ours en peluche.
… La Haute Tour. Personne ne l’avait jamais vue et nul ne savait où elle se trouvait. Elle contenait, disait-on, le cerveau de l’Hémisphère, sa moelle épinière et l’origine de ses nerfs tentaculaires. On racontait dans les contes que la Haute Tour représentait le cœur du monde, sa flamme vitale et la pensée créatrice de l’univers des Désignés. Était-ce réel ? Ou bien la Haute Tour n’était-elle qu’une légende ? Personne ne se posait la question : les contes ne pouvaient mentir…
Je levai les yeux du document.
— Vous êtes une merde, monsieur Riley… murmura le bonhomme.
Je pris un air de défi et sautai des paragraphes. L’attente avait assez duré.
— Je vous passe les détails, monsieur... Vous connaissez la teneur de ce courrier. J’étais simplement venu vous informer que vous êtes… licencié.
Enfin je l’ai dit !
Je lançai le papier sur le bureau et sortis sans un regard en arrière.

Un grand éclat de rire partit de sa bouche. Elle se tapait les mains sur les cuisses.
— Je me sens bizarre. On passe au lit ?
Je terminai rapidement le cône de peur qu’elle en redemande et me rapprochai.
— Pourquoi au lit ? Je pourrai te faire l’amour ici, sur le canapé.
— Non, parce que je ne sais pas si j’aurai la force de me lever pour me mettre au lit après. Je sens des tremblements dans les jambes.
J’éclatai de rire face à sa spontanéité. Terry avait cette énorme qualité : celle de dire exactement ce qu’elle pensait. Je la comparais à une enfant innocente qui ne connaissait rien de la vie difficile des adultes. Et j’étais en train de la pervertir avec les démons lubriques qui me torturaient.
Je voudrais qu’elle reste telle qu’elle est, mais est-ce possible si elle reste avec moi ?
Ma douce riait de plus belle en m’entraînant vers la chambre. Mes pires pulsions refirent surface. Le Charlatan m’incitait à la prendre par-derrière, à lui lacérer le dos et les fesses. Elle avait fumé et ne sentirait rien...
Ouf, elle est partie !
Je restai quelques secondes debout, à contempler les arbres sous le souffle du vent, les mains dans les poches.
Les directeurs d’agence commencent à s’entrebouffer.
La lutte pour le pouvoir ne faisait pas exception à l’agence. De manière explicite. À la banque, les employés étaient tout de même plus subtils. J’avais toujours été habité par mes démons et mes manies, mais j’avais le mérite de n’avoir jamais marché sur les platebandes d’un collègue pour arriver à mes fins. Sauf une seule fois, pour un bonus de fin d’année, mais je l’avais regretté par la suite.
Je me remis au travail, à l’écoute du moindre bruit venant de l’extérieur, espérant de toutes mes forces entendre arriver Rachel ou Marco afin d’avoir leurs versions. Je ne pouvais pas me lever pour aller à leur rencontre, sinon Emy aurait compris que j’avais été informé de leurs projets. J’attendais donc impatiemment dans ma grotte.