Subaru-D

Il faut dire, l'ésotérique aujourd'hui, c'est un peu comme les sushis. C'est "hype" alors tout le monde consomme mais entre ceux qui trouvent ça dégueulasse, ceux qui y sont allergiques et ceux qui le font pour ne vexer personne, on passe quand même bien pour un con quand on affirme qu'on bosse dedans.

L'oni renifle et attrape un petit miroir de poche ainsi qu'un rouge à lèvres, qu'elle entreprend de se passer. Je ne suis pas certain d'être capable de vous restituer cette scène proprement surréaliste d'un démon enduisant de maquillage ses lèvres où percent des crocs jaunes de requin.

Les premières gouttes s'écrasaient déjà sur les pavés, faisant presser le pas à la foule qui s'agglutinait dans les rues du quartier des usines. Les immenses portes qui tapissaient les avenues centrales étaient closes pour le moment mais l'horloge qui surmontait chacune d'elle indiquait qu'il serait bientôt l'heure.
"Tant mieux" Songe tout le monde "Mieux vaut être dans les machines et les tapis roulants que sous cette foutue pluie.". Les uns se disent que leur toit en tôle va rouiller un peu plus et rapproche l'échéance de devoir donner six sous au maréchal-ferrant pour en avoir un nouveau, les autres pensent qu'il ne va pas faire bon promener dans la rue ce soir, même pas pour aller boire un verre ou manger une douceur aux invendus des pâtisseries. Non, ce soir, comme ce matin, il ne faudra pas s'attarder, se coucher tôt en espérant que la pluie ne tape pas trop fort contre le toit et les murs. Et ne pas penser aux six sous pour changer la toiture...

Au moins ils étaient près des portes : une fois que celles-ci étaient ouvertes, l'horloge se mettait à sonner et il fallait rentrer tant que l'aiguille tournait. Sans quoi, l'usine se refermait et on perdait une journée de salaire.

En fait, ce soir-là, j'ai réussi à comprendre le sentiment d'égarement profond des parents qui rentrent après avoir laissé des marmots turbulents livrés à eux-mêmes.

Déjà, la porte était enfoncée. Gros moment de panique. Je me rue à l'intérieur et j'ai droit à une mini crise cardiaque: Fumiyo est étendue sur le sol, inconsciente, le mange-crasse assis sur le ventre en train de lui lécher la figure, Shinkin est au téléphone et demande une ambulance... Et Gekkô, ce foutu kyûbi contemple la nounou d'un air intrigué.

La pause que je préfère, c'est aller boire quelque chose de chaud dans un petit café où j'ai mes habitudes. Outre le fait que le café et le thé n'y sont pas trop mal, il a pour lui d'être très souvent vide et de n'avoir que ses habitués, discrets et silencieux. Forcément, depuis que j'y viens, calme, ça l'est moins: il y a toujours quelqu'un pour venir m'emmerder.

Il faut que je vous parle de cette femme délicieuse qu'est Mariko Kondo. Il s'agit de la soeur de mon père et si je devais être bref concernant nos rapports,.. Je dirais que seule la décence inculquée par le clan l'empêchera de danser sur ma tombe le jour où je claquerai.

Et parce que vous avez vu cette pièce, je vous tuerai, sans effusions de sang - je serais contrarié de salir mon "exposition". Car un bon intérieur n'est rien d'autre que ça à mes yeux: l'affichage de ce que vous voulez être aux yeux des autres, qui s'y arrêteront.

Je descends d'un clan d'onmyôji qui existe depuis des décennies et assure l'équilibre et la sécurité du Japon. On m'appelle "celui qui parle aux démons".
Enfin parler... je leur botte le cul plutôt. Ca les dissuade de bouffer mes congénères.