Savina Dolores Massa

Dans la rue j'ai compris que je n'étais personne,

que savoir, parler, être avec les autres

ne m'apportait plus aucune satisfaction.

Maintenant, et je ne sais pas me l'expliquer,

toute pensée naît et se bloque dans mon cerveau.

Ça ne me servirait à rien d'informer les autres de cette dégringolade dans les épines.

Rire ou pleurer, aimer abondamment ou rester seul

ne sont que des inventions pour remplir la journée,

pour être capable d'aller se coucher convaincu de la valeur de notre existence.



Puis, un jour maudit nous avons vieilli encore un peu.

Nous n'avons pas repoussé la fin des jours.

Je me suis rendu compte que mon âme avait été giflée.

Ce n'était pas le cœur, je le jure,

ce n'était pas le foie ou un coup sur les reins.

C'était une gifle à toute volée à ma personne.

Je sais que, si je l'avais raconté, tout le monde m'aurait dit,

Va, va avec Maddalenina, que vous êtes bien pareilles.



Mon âme en est restée blessée, elle est tombée malade.

Le prunier l'a compris, lui il a compris, c'est mon reflet.

Je guéris des squelettes de personnes et de parapluies,

mais pour mon âme stupide je connais pas de remède :

elle n'est pas portée par des os.

Aucune chose,

selon lui destinée toujours à trouver sa conclusion,

ne méritait que l'on s'y attachât et moins encore qu'on la pleurât.

Cela compris, une forme de paix et de désenchantement permettait que le temps passe

sans qu'il doive goûter à la terreur que sa signification inspirait au plus grand nombre.

Aucun enfant procréé ne peut aider à justifier notre présence sur la terre,

quoique hommes et femmes continuent à s'accrocher comme du chiendent

à cette échappatoire au médiocre mourir.

On laisse bien peu de marge à ma rébellion,

mais j'ai compris que pour toute chose que l'on me fait penser

je reçois en échange une portion de mémoire qui m'a appartenu qu'à moi,

pas grand-chose en fait, mais qui me réchauffe

comme de brefs éclairs de celle que je suis vraiment.



Comme vous voyez, qui que vous soyez,

j'ai arrêté de discuter, en attendant la fin de cette violence

que vous m'infligez.

Que ce soit un rêve ou non, je n'en ai plus rien à faire.

Je subis.

- Rappelle-toi quelques belles phrases d'amour et de sentiment, toi tu en connais.



- Mon âme les connaissait, jeune fille.

Elle les a dites rarement, mais les a pensées souvent,

adressées à des hommes que je ne devais pas avoir.

Et ceux que j'ai pris en cachette ne les ont pas entendues,

ainsi mon péché a pu sembler moins grave.

Et le leur aussi, faute d'amour, a été moins coupable.

Des spécialistes en blouse blanche ont rempli des flacons et des flacons

avec l'eau du palais des Lucente,

ils les ont mis sous de puissants microscopes,

mais ils ont découvert seulement que c'était une eau mi-douce mi-salée,

transparente quand ça lui chantait,

muette ou bavarde selon son humeur,

en somme identique à n'importe quelle eau qui circule sous terre.

La mort, on y arrive certains d'avoir raté presque tout,

et il n'y a personne à qui demander pardon, même pas à nous-mêmes,

ou à supplier.

Maintenant, j'ai compris, je ne me tromperais plus,

si vous me laissiez réessayer...



On meurt avec un poids immense sur les épaules

c'est pour ça que les os se cassent tout seuls.

Je touche leurs os et j'y lis la poussière proche et définitive.

J'évite de croiser d'autres yeux,

au cas où on pourrait mal interpréter mon regard amer.

Je n'aime pas entendre des voix lassées par les mots d'un vocabulaire

de plus en plus essentiel :

douleur, peur, absence.

Mieux vaut les taire.

Elle ne comprend pas la chance qu'est sa différence :

être stupide c'est commander au monde

et des comptes on n'en rend à personne,

ni de ses erreurs ni de ses mérites.



Je l'envie, celle-là, toujours pardonné par sa conscience.

Ils voudraient au moins éviter le reflet d'une vieille illusion,

quand ça semblait qui sait quoi, la vie.

Arrivé à ce point de désenchantement,

on peut être capable de ne craindre aucun enfer posthume.