"En jouant, en écrivant Molière & Cie" paru aux Editions du Seuil
« le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière a donné lieu à quantité de publications, de représentations, de manifestations diverses pendant un an. J'ai rédigé des préfaces et des notes personnelles, répondu à des journalistes, joué Orgon dans Tartuffe et repris deux mises en scène des Fourberies de Scapin et du Bourgeois gentilhomme. J'appartiens à la Comédie-Française dont Molière est le saint patron, l'emblème et l'apanage. Ma fréquentation de l'oeuvre s'est finalement à peine intensifiée cette année-là en regard des années précédentes, mais la publicité générale que produit une commémoration m'a fait réfléchir, a suscité des questions dont ce livre est le résultat, la collection, le prolongement. Il est fait aussi et surtout du goût, de l'appétit, du besoin presque buccal que j'ai de Molière. »
Denis PodalydèsDenis Podalydès est sociétaire de la Comédie- Française depuis 2000. Il a mis en scène une quinzaine de pièces, parmi lesquelles "Cyrano de Bergerac" (cinq Molières en 2007, dont celui de metteur en scène). Également acteur au cinéma, il lit et enregistre régulièrement des oeuvres littéraires : Proust, Céline, Diderot, Jack London (Grand Prix du livre audio La Plume de Paon pour "Martin Eden" en 2020). Il est l'auteur de "Scènes de la vie d'acteur" (Seuil, 2006), "Voix off" (Mercure de France, Prix Femina essai 2008), "La Peur Matamore" (Seuil/Archimbaud, 2010) et de l'Album Shakespeare (La Pléiade, 2016).
Rencontre animée par Simon Daireaux
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Eh ! par la mort, Monsieur le Coquin, je trouve que vous êtes bien imprudent de demeurer en vie, après m'avoir offensé ! Vous qui ne tenez lieu de rien au monde, ou qui n'êtes au plus qu'un clou aux fesses de la Nature ; vous qui tomberez si bas, si je cesse de vous soutenir, qu'une puce, en léchant la terre, ne vous distinguera pas du pavé ; vous enfin, si sale et si puant qu'on doute en vous voyant si votre mère n'a point accouché par le derrière.
(à propos de d'Assoucy), Œuvres, édition P. Lacroix, tome II, 1858.
Si les coups de bâton s'envoyaient par écrit, vous liriez ma lettre des épaules ; et ne vous étonnez pas de mon procédé, car la vaste étendue de votre rondeur me fait croire si fortement que vous êtes une terre, que de bon cœur je planterais du bois sur vous, pour voir comment il s'y porterait. Pensez-vous donc qu'à cause qu'un homme ne saurait vous battre tout entier en vingt-quatre heures, [...] je me veuille reposer de votre mort sur le bourreau ? Non, non.
(N. B. : il s'agit de la véritable lettre de Cyrano de Bergerac à Montfleury qui inspira à Edmond Rostand sa fameuse scène du théâtre dans sa pièce. Il est à noter qu'il s'agissait d'une lettre et que Rostand en fait une joute verbale directe.)
[A]fin que vous sachiez pourquoi en ce pays tout le monde a le nez grand, apprenez qu’aussitôt que la femme est accouchée, la matrone porte l’enfant au Prieur du Séminaire; et justement au bout de l’an les experts étant assemblés, si son nez est trouvé plus court qu’à une certaine mesure que tient le Syndic, il est censé camus, et mis entre les mains des gens qui le châtrent. Vous me demanderez la cause de cette barbarie, et comme il se peut faire que nous chez qui la virginité est un crime, établissons des continences par force? Mais sachez que nous le faisons après avoir observé depuis trente siècles qu’un grand nez est le signe d’un homme spirituel, courtois, affable, généreux, libéral, et que le petit est un signe du contraire.
CHÂTEAUFORT : Il est vrai, Dieu me damne, que votre fille est folle de mon amour. Mais quoi ! c'est mon faible de n'avoir jamais pu regarder une femme sans la blesser. La petite gueuse toutefois a si bien su friponner mon cœur, ses yeux ont si bien su paillarder ma pensée, que je lui pardonne quasi la hardiesse qu'elle a prise de me donner de l'amour.
Acte I, Scène 1.
GRANGER LE JEUNE : Voyez un peu comme on devient riche à force de boire : je pensais n'avoir qu'une maison tantôt, j'en vois deux maintenant.
Acte IV, Scène 8.
Une heure après la mort, notre âme évanouie
Sera ce qu'elle était une heure avant la vie...
Déjà vos jambes et votre tête se sont tellement unies par leur extension à la circonférence de votre globe que vous n’êtes plus qu’un ballon.
GRANGER : Il serait bon, ce me semble, d'avoir tout prêts des lieux communs pour chaque passion que je voudrai vêtir. Il faudra faire éclater, selon que je serai bien ou mal reçu, le dédain, la colère ou l'amour.
Ça donc, pour le dédain :
" Quoi, tu penserais que tes yeux eussent féru ma poitrine au défaut de la cuirasse ? Non, non, tes traits sont si doux qu'ils ne blessent personne. Quoi, je t'aurais aimé, chétif égout de concupiscence, vase de nécessité, pot de chambre des affamés ! Hélas, petite gueuse, regarde-moi seulement, adore et te tais. "
Pour la colère :
" Ô trois et quatre fois Mégère impitoyable, puisse le Ciel en courroux ébouler sur ton vertical des hallebardes au lieu de pluie ! Puisses-tu boire autant d'encre que ton amour m'a fait verser de larmes ! Puisses-tu cent fois le jour servir aux chiens de muraille pour pisser ! Enfin, puisse la destinée tisser la trame de tes jours avec du crin, des charbons et des étoupes ! "
Pour l'amour :
" Soleil, principe de ma vie, vous me donnez la mort, et déjà je ne serais qu'une ombre vaine et gémissante qui marquerait de ses pas la rive blême de l'Achéron, si je n'eusse redouté de faire périr en moi votre amour, qui ne doit pas moins vivre que sa cause. Peut-être, ô belle tigresse, que mon chef neigeux vous fait peur. Je sais bien aussi que les jeunes ont dans les yeux plus de feu et moins de rouge que nous ; que vous aimez mieux notre bourse au singulier qu'au plurier. [...] Mais sachez qu'un jour l'âge, ayant promené sa charrue sur les lis et les roses de votre teint, fera de votre front un grimoire en arabe. "
Acte III, Scène 1.
GRANGER : Il est vrai qu'à l'âge où vous êtes n'avoir point de barbe, vous me portez la mine d'être, de même que le phénix, incapable d'engendrer. Vous n'êtes ni masculin, ni féminin, mais neutre.
Acte I, Scène 1.
CORBINELI : Vous n'y êtes pas. Il faut tout au moins cent pistoles pour la rançon.
GRANGER : Cent pistoles ! Ha ! mon fils, ne tient-il qu'à ma vie pour conserver la tienne ? Mais cent pistoles !... Corbineli, va donc lui dire qu'il se laisse pendre sans dire mot ; cependant qu'il ne s'afflige point, car je les en ferai bien repentir.
Acte II, Scène 4.