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Critiques de Scholastique Mukasonga (321)
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Notre-Dame du Nil

Voir un film est une chose, lire le livre qui l'a inspiré en est une autre… tout à fait indispensable !



Au cinéma, Atiq Rahimi a beaucoup épuré l'histoire, en a retiré plusieurs épisodes mais voir son très beau film, avant de lire le roman de Scholastique Mukasonga, m'a permis de visualiser scènes et paysages. Par contre, la lecture m'a aidé à comprendre certaines situations à peine suggérées à l'écran.

Lorsque Notre-Dame du Nil est sorti en librairie, en 2012, j'avais vu l'autrice en parler et je m'étais promis de lire son roman, ce que je viens de faire enfin ! Les Prix Ahmadou-Kourouma (Salon international du livre et de la presse de Genève) et Renaudot l'avaient justement récompensé.

Ce que raconte Scholastique Mukasonga sur son pays est troublant car elle permet de comprendre que le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, n'était pas une première, un terrible épisode unique. Déjà, en 1959, puis en 1963, une épuration dite ethnique avait eu lieu et ici nous ne sommes qu'en 1973.

Les Hutu, en majorité cultivateurs, se disent peuple majoritaire, paysans dominés par les Tutsi, plutôt éleveurs mais dont certains sont riches. Déjà écartés des principaux postes, les Tutsi subissent la loi des quotas – par exemple, 10 % d'élèves Tutsi au lycée – et les Hutus veulent encore se venger, poursuivre l'horrible épuration des années précédentes, traitant leur frères d'Inyenzi, de cafards, pour pouvoir les détruire.

Scholastique Mukasonga raconte l'histoire de ce lycée pour jeunes filles de la haute société. S'inspirant de ce qu'elle a elle-même vécu, elle imagine cet établissement construit spécialement près d'une des sources du Nil, à 2 500 m d'altitude. Elle émaille son récit de quantité de mots de la langue du pays, le kinyarwanda, alors que le swahili est écarté par les Hutu parce que parlé par des musulmans. Surtout, elle fait bien comprendre que ce sont les Blancs, les colons, qui se sont évertués à créer des races parmi les indigènes qu'ils rencontraient et traitaient avec beaucoup de condescendance. Des mesures, des arguments pseudo-scientifiques étayaient leurs théories et nous savons tout le mal, tous les morts que de telles classifications ont causés un peu partout dans le monde.

Alors, j'ai suivi ces jeunes filles comme Gloriosa, Goretti, Immaculée, Godelive, Frida, Veronica, Virginie, principales protagonistes d'une histoire tragique plongée dans les traditions d'un peuple, perverti par les Blancs, qu'il ne cesse de vouloir imiter. Je précise que les vrais prénoms de ces filles sont bien différents mais il leur faut un prénom plus européen pour l'école…

Le lycée est catholique, religion imposée, dirigée par une mère supérieure et un aumônier hutu, un pervers, qui ne fait qu'attiser les haines. Parmi les profs, trois coopérants français sont bien pâlots, sauf M. Legrand qui fait sensation avec ses longs cheveux blonds. Je dois aussi citer M. de Fontenaille, sorte d'illuminé qui a tenté de faire fortune dans le café et qui s'obstine à relier l'histoire des Tutsi à la Haute-Égypte.

J'ajoute enfin que j'ai apprécié l'épisode des gorilles, absent du film, très instructif pour le rapport des Rwandais avec la nature et la vie sauvage.



Notre-Dame du Nil est un roman superbement écrit, passionnant, instructif, précieux pour l'Histoire mais que c'est dur de constater tous les dégâts causés par nous, les Européens, sur le continent africain, en croyant apporter la civilisation alors que nous ne faisions que détruire celle qui existait.
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Notre-Dame du Nil

Notre-Dame du Nil, Prix Renaudot 2012, premier roman de Scholastique Mukasonga est également le nom de ce pensionnat catholique de jeunes filles perché sur une colline qui reçoit l'élite féminine du pays, le Rwanda. Y sont scolarisées les filles de notables, de militaires, de commerçants, et de politiques, Hutus. Cette institution est tenue par des enseignants français et des religieuses belges et il ne peut y avoir plus de dix pour cent d'élèves Tutsis, dont font partie Veronica et Virginia. L'histoire se passe dans les années 1970. Gloriosa, fille de ministre Hutu va distiller peu à peu sa haine des Tutsi, persuadée de leur nocivité, et se dresser face à Veronica et Virginia. Les sœurs belges et les professeurs français, se garderont bien d'intervenir, préférant fermer les yeux, lorsque les troubles éclateront.

J'ai été touchée par ces jeunes filles qui, pour certaines ne connaissaient que la vie au village et découvraient là d'autres façons de vivre. J'ai participé avec elles au partage des provisions préparées par leurs mères et ainsi appris à connaître les principaux mets consommés au Rwanda, participé également à la décoration de leur coin de dortoir avec quelques photos de chanteurs. J'ai aussi assisté à leurs premiers émois d'adolescentes, à la découverte de leur corps et leurs premiers amours, et à leur rêve de vie en Europe.

Et puis il y a la pluie : « La pluie pendant de longs mois, c'est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d'autrefois ou le président d'aujourd'hui, la Pluie, c'est celle qu'on attend , qu'on implore, celle qui décidera de la disette ou de l'abondance... »

Ce roman, par le biais de cette micro société représentée par ce pensionnat nous amène à entrevoir comment ce génocide a pu avoir lieu, comment la division des classes, la disparité économique et ne l'oublions pas le colonialisme ont créé un terreau toxique propice au ressentiment, et sur lequel la haine ethnique a pu se développer et se renforcer.

Scholastique Mukasonga décrit dans ce récit tout en finesse la progression de la haine qui va déclencher un vrai massacre. Elle parvient de façon magistrale à nous faire comprendre cette montée en puissance de l'horreur; cette vague de violence qui emporte le pays dans les années qui suivent la décolonisation, prémices du génocide qui surviendra vingt ans plus tard en 1994, génocide que l'auteure a subi de plein fouet, près de trente membres de sa famille y ont péri, dont sa mère. Si elle n'avait pas été alors en France, elle y aurait également laissé la vie...

Ce pourrait être un récit sur la vie quotidienne de jeunes filles dans un pensionnat mais les tensions entre Tutsis et Hutus qui sous-tendent celle-ci en font un huis clos poignant et qui nous tient en haleine jusqu'au bout, ce conflit fratricide étant le sujet principal du roman.

J'ai eu la chance de voir le film éponyme réalisé par Atiq Rahimi, belle adaptation du roman. Lire le roman et voir le film, c'est l'idéal !


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Inyenzi ou les Cafards

« Où sont-ils à présent ? Dans la crypte mémoriale de l’église de Nyamata, crânes anonymes parmi tant d’ossements ? Dans la brousse, sous les épineux, dans une fosse qui n’a pas encore été mise à jour ? Je copie et recopie leurs noms sur le cahier à couverture bleue, je veux me prouver qu’ils ont bien existé, je prononce leurs noms, un à un, dans la nuit silencieuse. Sur chaque nom je dois fixer un visage, accrocher un lambeau de souvenir. Je ne veux pas pleurer, je sens des larmes glisser sur mes joues. Je ferme les yeux, ce sera encore une nuit sans sommeil. J’ai tant de morts à veiller ».



Il y a des livres incritiquables, des livres dédaigneux de nos jugements à l’emporte-pièce, de nos avis, de nos remarques, encore moins de nos sentiments et de nos ressentis…Ils sont, et le fait qu’ils soient, simplement, est précieux. Ils sont et nous ne pouvons que remercier leur auteur de nous avoir offert le témoignage poignant qu’ils contiennent. Ils existent juste pour transmettre, pour que nous sachions, pour ne pas oublier. Ils existent pour réhabiliter la dignité d’un peuple massacré. Ils méritent tout notre respect, notre silence, notre recueillement. Ils élargissent nos horizons et font entrer une part de nous-même dans le devoir de mémoire d’un peuple, partie de l’Humanité.



« Inyenzi ou les Cafards » de Scholastique Mukasonga fait partie de ces livres. Un livre témoignage pour raconter l’évolution des rapports entre Tutsis et Hutus depuis la fin de la colonisation à la toute fin des années 1950 et le génocide rwandais. Si Scholastique Mukasonga, qui fait partie de l’ethnie Tutsi, n’a pas vécu le génocide rwandais de 1994, étant déjà en France à ce moment-là depuis deux ans, elle a vécu les années qui ont préparé le génocide. Les décennies de violence, de fuite, d’humiliation, de déplacement. Elle fut une réfugiée. Le point d’orgue du génocide des Hutus contre les Tutsis, elle le vivra de loin. Avec la conscience terrible de savoir toute sa famille tuée. Dans des conditions inhumaines. A la machette sans doute. Sans sépulture. Ce livre est un livre autobiographique écrit en 2006, les mots et la littérature comme pansement, catharsis salvatrice pour faire sortir l’innommable. Avec en tête la dernière image vaporeuse et fantomatique de sa maman, forme légère et frêle dans un pagne, « une petite silhouette qui disparaît au détour de la route ».



L’auteure est née en 1956 au Sud-Ouest du Rwanda à l’orée d’une grande forêt d’altitude hébergeant les derniers éléphants de forêt. Hébergeant aussi des singes batailleurs et chapardeurs. C’est un pays vert, foisonnant, une terre de blé, où la petite Scholastique se tient au côté de sa maman qui travaille aux champs et joue parfois avec les Batwa, groupe mis à l’écart de la population rwandaise que les premiers européens ont appelés à tort Pygmées. Ce sera une enfance légère dont l’innocence sera brève.



« Les premiers pogromes contre les Tutsi éclatèrent à la Toussaint 1959. L’engrenage du génocide s’était mis en marche. Il ne s’arrêterait plus. Jusqu’à la solution finale. Il ne s’arrêterait plus ».



Scholastique Mukasonga raconte l’histoire familiale faite de déplacements, de peurs, de morts, d’humiliation, d’espoirs aussi permis avec l’école, qu’elle insère et contextualise dans la grande Histoire de sa terre natale : elle nous relate savamment l’Histoire particulière du Rwanda, pays où coexistent deux grands groupes ethniques, les éleveurs Tutsis et les agriculteurs Hutus. En cela ce livre est indispensable et riche d’enseignements. Nous apprenons que le Rwanda fut un pays colonisé par la Belgique, rattaché au Congo belge. En 1962, les Hutus proclamèrent l’indépendance du Rwanda, chassèrent et déportèrent les Tutsis (nous vivons avec l’auteure cette déportation et son arrivée au Burundi). Juvénal Habyarimana devint président après un coup d'état. Les Tutsis exilés fondèrent le Front Patriotique Rwandais qui chercha à renverser ce président hutu : une véritable guerre civile éclate alors et le président est assassiné en avril 1994 ; plus de huit cent mille tutsis vont être massacrés dans des conditions atroces que nous connaissons entre avril et juillet 1994, ce malgré les interventions de l'O.N.U. Rafles, monstruosité dans la façon de tuer, l’organisation méticuleuse et systématique n’est pas sans rappeler les arrestations massives et les camps d’extermination nazis.



Ce fut important pour moi de comprendre la genèse du génocide, d’en comprendre les étapes, l’escalade et l’engrenage meurtrier.



Son regard est d’abord celui d’une petite fille, dans une langue épurée, simple, qui dit sans fioriture ce dont elle est témoin, ce qui est d’autant plus troublant. Derrière son regard, certaines scènes sont réellement glaçantes tant la petite fille les décrit de façon brutale, sans détour, comme elle est les voit.

Puis le regard est celui d’une jeune femme, regard plus subtile, subissant avec courage et dignité les humiliations, le mépris, toujours affublée du sobriquet de « Inyenzi », c’est-à-dire Cafard, insecte grouillant, sale, malodorant, prompt à fuir et à se cacher. Une pestiférée qui réussira, à quel prix, à sortir de cet enfer grâce aux études. Une miraculée.



La communauté internationale, les organismes internationaux, l’église auraient pu arrêter bien plus tôt cet engrenage, témoins impuissants et hypocrites des atrocités perpétrées.

« Il était bien seul Bertrand Russel quand il dénonçait : « le massacre le plus horrible et le plus systématique depuis l’extermination des juifs par les nazis ». La hiérarchie catholique, l’ancienne autorité mandataire, les instances internationales n’y avaient rien trouvé à redire sinon à dénoncer le terrorisme des Inyenzi ».



« Inyenzi ou les Cafards » vient compléter ma lecture de « Petit pays » de Gaël Faye et « Une saison de machettes » de Jean Hatzfled, selon une approche différente car permettant de brasser les décennies précédant le génocide et donc la genèse de cette monstruosité. Un livre important et nécessaire, même si certains passages, notamment le chapitre consacré au génocide, sont très délicats à lire (il m'est impossible de vous donner une seule citation de ce chapitre, sans doute par respect pour les victimes). Qui pose la question en filigrane du pardon et de la reconstruction après de telles horreurs. A lire absolument.

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Notre-Dame du Nil

Notre-Dame-du-Nil est perchée tout en haut des sources du Nil. Dirigée par des religieuses, elle reçoit le gratin de la population Hutus mais aussi par un quota imposé, quelques jeunes filles Tutsis. Même en prenant de la hauteur, les premiers soubresauts d’un grand malheur gagnent petit à petit le lycée.

Scholastique Mukasonga choisit par de petits évènements de montrer la montée de la terreur. On sent bien, qu’au-delà des bonnes manières, se prépare l’inacceptable. Au nez des professeurs étrangers (français) et de la direction du lycée (belge).

Mesquineries, brimades, les dominants sont près à tout pour faire exploser leur haines des « Inyenzi » (cafards, nom donné à leurs camarades Tutsis).

Au fil des pages, l’angoisse monte, les masques tombent jusqu’à l’explosion inacceptable du génocide. Le livre de Mukasonga montre avec un sacré talent de conteuse, par petites touches, la folie qui va frapper le Rwanda en cette funeste année 1994. Comment peut-on en arrivé là ?

4 étoiles
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Notre-Dame du Nil

Au Rwanda, le lycée de Notre-Dame du Nil veut former l’élite féminine de demain. Il s’agit surtout de préserver la virginité de ces filles qui feront l’objet de mariages glorieux ou juteux. Pour une famille rwandaise, une fille représente une richesse précieuse. « Elle était assurée que sa fille recevrait au lycée Notre-Dame du Nil l’éducation démocratique et chrétienne qui convenait à l’élite féminine d’un pays qui avait fait la révolution sociale qui l’avait débarrassé des injustices féodales. » (p. 28) Perdu dans les montagnes et situé tout près de la source du Nil, l’établissement accueille un quota de filles issues de l’ethnie tutsie, mais cela ne plaît pas à toutes les élèves. Le microcosme du lycée reproduit naturellement la société rwandaise et les élèves Hutu dédaignent leurs camarades tutsis. Parmi elles, Gloriosa se voit déjà à la tête du parti du peuple majoritaire. Mais il y a aussi Immaculée la rebelle, Modesta la métisse, Véronica la rêveuse et Virginia qui ne pleure jamais.



Non loin du lycée, le vieux M. de Fontenaille est obsédé par l’ethnie tutsie et il est persuadé d’avoir trouvé l’incarnation de la déesse Isis. « Dans leur exode […], les Tutsi avaient perdu la Mémoire. Ils avaient conservé leurs vaches, leur noble prestance, la beauté de leurs filles, mais ils avaient perdu la Mémoire. Ils ne savaient plus d’où ils venaient, qui ils étaient. » (p. 72) Fontenaille en est persuadé : les Tutsi sont les descendants des pharaons noirs de Méroé. Étrangement, tout le monde croit détenir sa propre vérité sur les Tutsi, mais ce sont encore eux les plus lucides. « J’ai aussi appris que les Tutsi ne sont pas des humains : ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes. » (p. 153) Leur histoire est aussi mystérieuse que le sang mensuel des femmes et la statue de Notre-Dame du Nil. Est-elle une ancienne vierge belge peinte en noir ? Une Tutsi ? Une Hutu ? Une déesse égyptienne ?



Le Rwanda veut écrire sa propre histoire loin des Belges et loin des blancs, mais les dérives ne sont pas loin et même les plus jeunes en conscience. « Mon père dit qu’on ne doit jamais oublier de faire peur au peuple. » (p. 186) Dans ce pays nouvellement débarrassé de la domination européenne, tous les moyens sont bons pour s’emparer du pouvoir et le garder : « Ce n’est pas des mensonges, c’est de la politique. » (p. 194) Rescapée des massacres qui ont ensanglanté le Rwanda, l’auteure mêle avec talent l’histoire légendaire des Tutsi de l’époque pharaonique à l’histoire contemporaine. On voudrait croire que le roman n’est que fiction, mais les accents de la vérité ne trompent pas. Ce qui passe dans l’enceinte du lycée Notre-Dame du Nil n’est pas un beau catéchisme ou une légende antique, ce n’est que l’expression banalement terrible d’un peuple qui se perd en croyant affirmer son identité.

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La femme aux pieds nus



Le génocide rwandais grondait depuis des années.

Scolastique Mukasonga raconte :

En 1960, déjà, les Tutsis sont «  déplacés » depuis la capitale Kigali jusqu’à une région infertile, non construite, non plantée : le Nyamata.

Ce livre émouvant, puisque l’on apprend le sort de beaucoup de personnes de sa famille (son frère, dit-elle, a engendré neuf enfants, pas un n’a survécu) est une ode très particulière rendue à sa mère, Stefania, et à ses efforts journaliers pour faire face au malheur et sauver ses enfants « d’une mort programmée par un incompréhensible destin ». Ces souvenirs d’enfance rappellent les dangers la nuit, où sa mère «  la femme aux pieds nus » guette les soldats qui peuvent toujours venir, mettre le feu aux maisons, dévaster tout et tuer.



Stefania passe ses jours, dans les champs, à planter des haricots, des patates douces, du maïs, des bananes, des plantes médicinales, du tabac ; Scolastique remarque que la plupart de ces plants viennent d’Amérique du Sud, et que les Rwandais n’ont pas eu besoin d’agronomes. La mère veille à préparer des cachettes d’herbe sèche, ou des termitières, où les enfants peuvent se cacher, dans la brousse et même dans la case qu’elle a construite avec l’aide de son fils ainé.

Quand je dis une ode particulière adressée à Stefania, c’est la manière très terre à terre de parler d’elle : les recettes n’existent pas, les habits presque pas non plus, les chaussures inexistantes, la maison réduite à ses quatre cloisons, la nourriture consiste principalement en haricots et sorgho, dont bière de sorgho, pourtant la personnalité de la mère habite cette pauvreté et lui donne presque du bonheur. Lorsque les petites doivent marcher de nuit dans un champ empli de cailloux et de souches coupantes, portant la cruche sur la tête et rentrant les pieds ensanglantés, «  Quand tu marches, conseillait-elle, c’est à ton cœur qu’il faut s’adresser, c’est lui qui répand la lumière dans tout le corps. Alors dis-lui de rappeler à tes orteils qu’ils doivent voir où tu mets les pieds, et il leur dira : “C’est la nuit. Ouvrez les yeux. Moi, je regarde devant ; vous, vous regardez en bas.” »

Apprentissage de la vie pour cette adolescente, qui se croit chargée de protéger sa mère (cf citation), hymne dédié à Stefania, et présentation de la vie comme elle va :

le pain tant désiré, les mariages, où la dot donnée par l’homme doit être une vache

(souvenir des troupeaux possédés avant les tueries par les Tutsis )les coutumes et les difficultés à les respecter. Une fille violée est immariable, or les jeunes Hutus considèrent le viol des Tutsis comme un acte révolutionnaire.



Stefania réclamait une seule chose : être enterrée avec un pagne, mais non, nous apprenons à la fin de ce très court livre que ses os seraient perdus au milieu des autres dans les fosses communes.

Écrits en 2008, ces souvenirs bouleversent par la simplicité austère, la description de la vie quotidienne, et la volonté qui y est mise de remplacer par la chose écrite l’absence de tombes de toute la communauté décimée.

Il n’y a pas de pagne assez grand.

Alors, Mukasonga écrit.

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Notre-Dame du Nil

Le lycée Notre-Dame du Nil est un internat catholique pour jeunes filles de la bonne société rwandaise, destinées à devenir l'élite féminine du pays. Perché dans les montagnes à 2500 mètres d'altitude, à proximité des sources du Nil et loin de Kigali la tentatrice, il est tenu d'une main de fer par des religieuses belges, dont l'objectif est aussi (surtout) de préserver la virginité des adolescentes qui y sont scolarisées, et ainsi leur garantir un beau et riche mariage.



En ce début des années 70, le Rwanda est indépendant depuis une dizaine d'années et cherche à se faire une place et une identité parmi le concert des nations. Autant dire que le jeune Etat part sur de mauvaises bases, puisque la ségrégation des Tutsis est à l'oeuvre depuis longtemps. Leur mise à l'écart touche l'enseignement aussi, et le lycée ne peut accueillir qu'un quota de dix pourcents d'élèves tutsies, isolées au milieu des représentantes du "peuple majoritaire" hutu. Parmi ces dernières, Gloriosa, fille de ministre, s'érige bien vite en meneuse intolérante, entourée d'une cour de suivantes qui soit partagent son dégoût des Tutsis (surnommés "Inyenzi", cafards), soit sont trop lâches ou trop bêtes pour s'opposer à elle.



Entre pèlerinage annuel à la statue de Notre-Dame du Nil et visite de la reine Fabiola, l'année scolaire s'écoule de moins en moins paisiblement, les insinuations indélicates de Gloriosa à l'égard de ses condisciples tutsies laissant peu à peu la place à un discours haineux et va-t-en-guerre, et cela dans le silence assourdissant des religieuses et des enseignants, qui ne veulent surtout pas prendre parti. Ensuite, des paroles aux actes, le pas sera aisé à franchir.



D'une chronique parfois cocasse de la vie quotidienne d'un pensionnat select pour jeunes filles à un final dramatique et sans espoir, "Notre-Dame du Nil" explique, à l'échelle du microcosme d'un lycée isolé, la montée de la terreur et de la haine qui déclencheront, 20 ans plus tard, un massacre d'une violence exponentielle.



A hauteur d'adolescence, l'auteure montre bien le rouleau compresseur hutu symbolisé par Gloriosa face aux "cafards" tutsis impuissants et qui ne trouveront que rarement une échappatoire. Elle dénonce le non-interventionnisme des Blancs, et plus largement, cible la politique de la Belgique, ancienne puissance colonisatrice : en fonction de ses propres intérêts, fluctuants, celle-ci a d'abord privilégié les Tutsis, avant de changer de stratégie et de se concilier les bonnes grâces des Hutus, semant les germes d'une rivalité raciale aux conséquences tragiques.



Malgré des personnages un peu caricaturaux, on se laisse prendre par le style simple et efficace, et par le talent de conteuse de l'auteure. Elle sait s'y prendre pour nous faire ressentir la progression de l'angoisse et pour nous immerger dans la société et l'histoire rwandaises. Une question me reste cependant : imaginait-on, à l'époque, l'ampleur du massacre de 1994 ?
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L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

La dédicace / citation de Michel Leiris, à la première page de l’Iguifou de Scolastique Mukasonga, peut nous donner une piste :

L’Afrique - qui fit – refit - et qui fera.



Avec lyrisme, et en plusieurs nouvelles du même sujet, l’auteure parle de ce cruel magicien dont les Tutsis ont été frappés au cours du génocide. Ce qui fit l’Afrique, malgré ses magnificences, et en particulier Nyamata, ou l’Iguifou ricane au fond des ventres. Avec sa famille, ce sont des déplacés à Nyamata, où rien ne pousse, dans de misérables cases.

“Mon père espérait obtenir un peu de riz à la mission, ce

qui n’arrivait pas souvent, ou gagner quelques pièces pour

acheter du sel en rédigeant la lettre ou le formulaire administratif d’un gendarme ou d’un notable illettré”

Le faim, c’est toujours plus que la faim, et pour Scolastique et sa petite sœur, cherchant dans le fonds d’une casserole en terre des débris de nourriture, eh bien, mieux vaut dormir si on peut, car l’iguifou déchire leurs ventres de toutes ses griffes.

L’iguifou, c’est la faim.

Ce que l’Afrique fit, et refit, ce sont les rêves, comme ceux qui assaillent la petite Colomba.

Un monde si beau !

Entre rêves d’un monde qui n’existe plus, puisque l’héroïne meurt de faim, les croyances et les interdits de manger tel ou tel mets, même si cela conduit à la mort, par exemple (honteux)boire du lait de chèvre au lieu du lait de vache.

Il n’y a plus de vaches, tuées par les militaires, plus de lait, plus de vie.

La peur s’installe, qui poursuit l’auteure jusque dans des boulevards européens. Va-t-il me tuer ? se demande-t-elle, comme elle devait se le demander devant un militaire, un milicien, un inconnu.

Car la mort est partout, en embuscade. En contraste, la « belle Hélène » dont la beauté a fait le malheur, deuxième bureau d’un homme pas clair, et je ne parle pas de la couleur de peau, puis d’autres, dont Mobutu Sese Seko, aux assauts duquel elle doit être livrée puisqu’aucune Zaïroise, aucune Burundaise, n’accepterait.

La mort des Tutsis, précédée par la mort des vaches, leur principale fortune, la faim la peur le génocide, et la visite à tous ces morts, leurs morts.

Dire tout de même que le régime rwandais est Tutsi depuis 1994.

L’Afrique, qui fera.

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Un si beau diplôme !

"Comment sauver son enfant d’une mort certaine ? Faut-il, comme le croit le père de l’auteur, faire confiance à l’école afin qu’elle obtienne un «beau diplôme»? Ainsi elle ne serait plus ni hutu ni tutsi : elle atteindrait le

statut inviolable des «évolués».



Cette petite phrase introductive dit l'essentiel de ce texte autobiographique d'une dame , qui reçut le prix Renaudot, en 2012... avec "Notre-Dame du Nil"... [qu'il me restera à découvrir ! ]



Un texte aux sujets douloureux, rappelant les horreurs survenues au Rwanda... dans les années 1990. Le père de l'auteur se battra pour tenter de sauver ses enfants par l'école, les filles y compris !



Mais le talent suprême de Scholastique Mukasonga... est de ne jamais être dans les pleurs, le drame... de rester dans la vie , en dépit des pertes insupportables [ le massacre de sa famille], elle se bat pour ce fameux diplôme d'"assistante sociale", qu'elle veut obtenir envers et contre tout; Elle affronte toutes les difficultés, les exils, les adaptations aux différents pays où elle doit vivre...et travailler !



Beaucoup de mal à parler de cette lecture, qui m'a très fortement émue !...



"Cosmas, mon père, je peux dire que je lui dois deux fois la vie. D'abord, c'est mon père, mais c'est lui aussi qui m'a encouragée à aller à l'école, moi qui, petite fille, préférais trottiner accrochée au pagne de ma mère (...)

C'est grâce à lui que le français, qu'il ne connaissait pas, est devenu pour moi cette seconde langue qui fut mon passeport et mon sauveur. Mon père s'était juré de sauver au moins un de ses enfants par l'école, et il ne s'est pas trompé. "(p. 174-175)



Un très beau récit ainsi qu' un hommage infini à son père et sa mère...aux siens. Les mots, l'instruction, les livres ...les études pour tous les enfants, les garçons comme les filles.. .pour lutter contre toute BARBARIE !



Le récit, la mise en valeur également de l'Afrique, des coutumes, des traditions...Un livre qui de façon incroyable déborde de Vie, d'enthousiasme, de détermination... des plus communicatives... des plus exemplaires... !

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Notre-Dame du Nil

Quand un livre évoque un sujet aussi puissant et dramatique que les prémisses d'un génocide et qu'on ne l'a pas trop aimé, on marche sur des œufs pour en faire une chronique. C'est mon cas avec 'Notre Dame du Nil', roman unanimement salué par la critique mais qui m'a prodigieusement ennuyée, à l'exception notable des 30 dernières pages, fortes et bouleversantes.



J'ai acheté le livre au moment du club de lecture Babelio (en février, je crois) mais j'avais plusieurs autres lectures en cours, et l'ai donc prêté à ma mère qui n'est, je le précise, ni une réactionnaire raciste, ni une idéaliste naïve, mais une grande amatrice de documentaires pas effrayée de retrouver dans les livres la noirceur du monde. Verdict : 'ce livre est nul; il n'y a pas d'histoire, juste un horrible fait divers; les personnages sont soit demeurés, soit lâches, soit illuminés, soit pervers, soit les quatre à la fois; ça donne vraiment une mauvaise image des Rwandais et de l'homme en général; en plus, c'est mal écrit, je ne comprends pas ce que tout le monde trouve de si formidable'. Dont acte. Je me dis qu'elle a toujours eu la dent dure et que peu de livres trouvent grâce à ses yeux. Pas découragée, j'entame donc ma lecture.



Mais, au bout de 10 pages, je m'ennuie et ça ne fait qu'empirer au fil de ma découverte de ce pensionnat de jeunes filles rwandaises qui sont, au choix, arrogantes et stupides, ou soumises et stupides. En plus, je suis agacée par les innombrables clichés : le religieux libidineux, le vieil ermite original et sympathique, l'ambassadeur amateur de chair fraîche qui se croit tout permis, la directrice qui ne se préoccupe pas des élèves mais des convenances, les gorilles qui apparaissent en guest-stars, la fille qui panique lors de ses premières règles... Bref, ça ne me plaît pas du tout. Au point que j'ai sérieusement envisagé d'abandonner autour de la page 180. J'ai pourtant continué, essentiellement parce que ça se lit vite.



Bien m'en a pris, parce que la fin m'a nettement plus touchée et intéressée. On a enfin des vraies personnalités qui se dessinent, notamment la 'résistante' qui garde son indépendance face à la pression du groupe et fait ce qu'elle croit juste, et surtout la 'dangereuse' avec son idéologie du 'peuple majoritaire', sa haine et sa soif du pouvoir... Et autour d'elles beaucoup de soumis, d'indifférents ou de lâches qui regardent ailleurs pendant que le pensionnat bascule dans l'horreur. Comme c'est arrivé de nombreuses fois dans l'histoire, au Rwanda et ailleurs. Rien que pour ce terrible rappel, ce livre mérite probablement d'être lu.
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Un si beau diplôme !

Voici le beau récit autobiographique de l'auteur de retour au Rwanda, des années aprés le génocide de 1994, qui explore entre joie et tragédie, humanité , force et modestie cette quête obstinée surtout ," d'école en école" , du fameux diplôme "d'assistante sociale "qui selon son père, Tutsi, pour qui faire confiance à cette institution était primordial, afin que celui - ci lui ouvre des portes prometteuses . ......

Devenir "assistante sociale "la hisserait , elle, de condition modeste, au dessus du statut --ni Hutu ni tutsi----: "elle atteindrait le niveau inviolable des évolués", elle , si courageuse et si forte...

La romancière évoque , à l'aide de son écriture imagée , enjouée, ses mots et ses images , maniant la langue comme personne , les exils , les déplacements successifs, les humiliations de sa communauté méprisée comme de sa famille .....du Rwanda jusqu'au Burundi ....

Avant que le massacre de huit cent mille Tustis d'avril à juillet 1994, n'élimine tous les siens .

Mariée à un français , elle vivait alors en Normandie ......

Ce qui est remarquable dans ce récit solaire , infiniment émouvant ,c'est sa volonté inébranlable de devenir une femme "libre" et éduquée, sa fierté d'être Africaine, riche des coutumes ancestrales et du savoir - faire de son peuple, sa capacité d'accueil, sa dignité , sa pudeur , sa politesse, ses traditions immuables .

Sa lutte opiniâtre grâce à son beau diplôme ce " talisman" , cette source d'énergie inépuisable qui lui permettront de surmonter désillusions, humiliations , mises à l'écart, désespérances et déconvenues donnent une force incroyable aux savoureuses anecdotes de sa jeunesse.....

Elle fait revivre à sa manière positive, enthousiasmante, déterminée, jamais négative la culture de son peuple , les subtilités de sa langue , en forme d'hommage à ses parents disparus , une communauté dévastée et sacrifiée .

Un récit pétri d'humour et de fantaisie qui rend passionnant le récit des ses souvenirs , si douloureux --- soient-ils !

J'ai lu plusieurs livres sur le drame du Rwanda mais jamais vu du côté positif et déterminé , une force de vie et une générosité telles malgré un parcours si difficile et chaotique !

C'est la grâce de l'entreprise littéraire !

Mais ce n'est que mon avis , bien sûr !

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Notre-Dame du Nil

Pluie bienfaisante, végétation luxuriante et intervention magiques au pays des mille collines…



Un roman d’atmosphère, une école de filles au Rwanda dans les années 70, avec les interrogations et les petites intrigues d’adolescentes, mais dans un milieu et un contexte politique tout à fait particuliers.



Vingt ans avant le massacre de 1994, la haine raciale fleurissait déjà dans ce couvent catholique, c’est un rappel des prémices de ce qui deviendra un moment horrible de l’histoire.



Une belle écriture, des descriptions vivantes et qui sonnent juste, un bon moment de lecture dans un pays dont on connait mal les réalités.

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Inyenzi ou les Cafards

Scholastique Mukasonga n'a pas vécu le génocide rwandais. Elle ne l'a connu que de loin, depuis la France où elle était arrivée deux ans plus tôt. Par chance, serait-on tenté de dire. Mais où se situe exactement la chance dans le fait d'avoir survécu à la mort atroce et brutale de la quasi-totalité de sa famille ?

Écrit dans une langue simple et directe, sans la moindre coquetterie stylistique, ce livre est le récit d'une enfance et d'une jeunesse au Rwanda, puis au Burundi voisin. Il s'agit d'un témoignage précieux si l'on veut comprendre à quel point le génocide ne devait rien au hasard des circonstances, et tout à un régime d'apartheid méthodique qui a écrasé les Tutsi pendant plus de trente ans. Scholastique Mukasonga le dit et le répète, et le lecteur n'a aucun mal à la croire : toute l'histoire du Rwanda indépendant semble conduire jusqu'à ce génocide de 1994. Nulle surprise lorsqu'il advient enfin : les Tutsi le redoutaient depuis un quart de siècle. Refusant pour les uns de croire à l'impensable, s'accrochant pour les autres aux espoirs les plus minces ou choisissant plus lucidement l'exil.



Pendant ces trente années, les pays occidentaux ne font pas grand chose. L'auteure n'en parle guère, d'ailleurs, sinon pour souligner que les missions internationales passent tandis que le pouvoir Hutu aboie. Il y a bien quelques missionnaires étrangers qui s'efforcent de protéger leurs ouailles Tutsi. Mais ils n'agissent qu'à l'échelle de leur propre engagement et de leur propre foi. A l'échelle des institutions, le livre souligne amèrement que l'Église rwandaise et les missions occidentales se contentent de fermer les yeux, voire d'approuver la ségrégation. C'est une réflexion que l'on se fait en cours de lecture : la foi est individuelle ; dès qu'il est question de la transformer en une affaire collective, la Religion pointe le bout de son nez, et ce n'est plus dès lors qu'une question de pouvoir et d'emprise sur le groupe. Voilà au passage pourquoi je peux avoir le plus grand respect pour un croyant sincère – et même une vraie curiosité pour cette foi que je ne partage pas –, tout en éprouvant la détestation la plus viscérale de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un clergé constitué. Je renvoie sur ce sujet à l'admirable Tolstoi et à son essai Le Royaume des cieux est en vous.



Un autre des point d'intérêt du récit de Scholastique Mukasonga est son évocation de l'après-génocide. Curieusement, aucun des Hutu qu'elle rencontre n'a rien vu ni rien fait. Comme par extraordinaire, ils se trouvaient ailleurs ces jours-là, ces semaines-là. On leur a raconté que. Ils ont entendu dire que. Rien de plus. Dès lors que peut-on vraiment attendre des tribunaux Gacaca, ces juridictions villageoises que le gouvernement met en place pour juger les acteurs du génocide, et pour s'efforcer de trouver le chemin vers une improbable réconciliation ? Là encore, l'auteure ne se berce pas assez d'illusions pour s'attarder sur le processus. Lapidaire, un rescapé observe devant elle que beaucoup des juges siégeant dans les Gacaca auront eux-mêmes du sang sur les mains. Et il conclut de façon sinistre, en espérant qu'au moins ce ne sera pas du sang d'enfants.
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La femme aux pieds nus

" Maman, je n’étais pas là pour recouvrir ton

corps et je n’ai plus que des mots — des mots

d’une langue que tu ne comprenais pas — pour

accomplir ce que tu avais demandé. Et je suis

seule avec mes pauvres mots et mes phrases, sur

la page du cahier, tissent et retissent le linceul de

ton corps absent."

Ces mots sont pour Stefania, la mère de Scholastique Mukasonga disparue avec toute sa famille lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Scholastique vivait en France depuis peu après avoir fui au Burundi. Il lui aura fallu attendre 2004 pour avoir le courage de revenir au Rwanda , pour retourner dans le Bugesera cette région inhospitalière où les Tutsi avaient été "déplacés"....

Sonnée, je suis sonnée. Des pages inoubliables où l'amour d'une fille pour sa Mère, la Mère nourricière, la femme aux pieds nus , transcende chaque mot en cri d'amour. Ce roman inoubliable a été récompensé en 2008 par le Prix Seligmann contre le racisme et l'intolérance.
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Notre-Dame du Nil

Notre-Dame du Nil est un roman qui se passe de présentation. Il est paru en 2012, je suis donc un tantinet en retard... L’autrice Scholastique Mukasonga commence de façon anodine, en racontant l’histoire d’un collège réputé pour jeunes filles (dont le nom a donné son titre au bouquin), tenu par des religieuses. Perché au sommet d’une montagne près de la capitale rwandaise, à proximité d’une des sources du Nil, à proximité d’un lieu magique. La seule description de l’endroit et de ses environs est propice à l’émerveillement. Mais, graduellement, les événements du dehors viendront troubler la paix qui semblait y régner mais qui n’était qu’une apparence.



En effet, le début du roman est plutôt lent mais cela lui sied. L’autrice raconte l’histoire de ce lieu, sa construction relativement récente (plus mouvementée qu’on ne l’aurait cru, remplie d’anecdotes), puis on se familiarise avec ce lieu en même temps que les jeunes pensionnaires qui arrivent au milieu des années 90. Pour la plupart, filles de bourgeois, de diplomates, de militaires. Pour la plupart, Hutus. Comme elles, on jette un regard sur le collège, on commente les enseignants, surtout les nouveaux, ceux envoyés de France ou de Belgique. Surtout, on retrouve les copines et on papote. Certaines s’inquiètent des amoureux qu’elles ont laissé en ville (c’est l’occasion d’aller voir la « sorcière » locale), d’autres commencent à devenir des dames, leurs parents sont à les marier. C’est ce qui attend Frida, dont le père insiste pour qu’elle passe les fins de semaines à la maison auprès de son fiancé, ce qui est contraire aux règlements du pensionnat. On peut désobéir à la Révérende Mère? C’est la première fêlure.



Si le début de ce roman m’a enchanté, la succession de scènes/tableaux me semblait une jolie évocation de la vie de jeunes filles privilégiées d’un pays d’Afrique centrale. Ne dit-on pas que l’école constitue le microcosme de la société. Mais encore? Après plusieurs de ces tableaux, je me demandais si l’intrigue allait décoller. Je n’irais pas jusqu’à dire que je c’était assomant, loin de là, mais l’ennui n’était pas loin non plus. Surtout qu’il ne semblait pas y avoir une protagoniste : plutôt, on entrait dans le quotidien de ces jeunes filles. Quelques unes se démarquent mais pas tant. Pendant un bon bout de temps, ça m’a empêché de ressentir autant d’empathie que le méritaient peut-être les pensionnaires. Du moins, pendant les deux premiers tiers du roman.



Puis, fort heureusement, les choses se mettent à débouler dans le dernier tiers. Une des pensionnaires, Gloriosa, se plaint que la statue de la Madone (la fameuse Notre-Dame du Nil) a des traits qui ressemblent davantage à ceux des Tutsis. Honte! Quand les passions se déchainent dans la capitale, le génocide du Rwanda, leur écho se fait sentir dans le collège également. D’abord, les petites persécutions, les railleries, les mots blessant, visant à faire sentir à la minorité qu’elle n’est plus la bienvenue. Puis, les incitations directes aux meurtres raciaux contre leurs amies de la veille, les Tutsies dont Veronica et Virginia font partie. C’était horrible et poignant à la fois. Ah… ce que la haine et la soif de pouvoir peut amener les gens à commettre de pareilles atrocités!



J’ai lu Notre-Dame du Nil en quelques heures seulement. Je me suis laissé emporter d’abord par cette évocation de la vie dans ce lycée, dans ce pays, ensuite par le rythme effréné des exactions et des horreurs. Malgré le contexte historique complexe et les mœurs locales qui m’étaient étrangères, j’ai suivi sans difficultés cette intrigue que propose Scholastique Mukasonga. Pourtant, il est difficile d’écrire une histoire sur un sujet si lourd. Eh bien, elle y parvient haut la main. Son écriture est si fluide, si simple et, en même temps, si riche. J’ai beaucoup envie de lire autre chose de cette autrice.
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Notre-Dame du Nil

Année 1970, Rwanda, dans des collines reculées se trouve un lycée pour jeunes filles de la haute société, principalement Tutsis, ethnie dominante à ce moment, mais avec quelques jeunes filles hutus accueillies et tolérées.

Les tensions entre elles sont palpables.

Je me suis malheureusement ennuyée pendant toute la lecture, car j'ai trouvé la narration peu accrocheuse, manquant de liens et sans véritable intrigue. L'écriture ne m'a pas plu davantage. J'ai régulièrement envie d'abandonner, mais étonnamment les pages s'enchaînaient assez facilement J'ai donc poursuivi, mais sans enthousiasme et sans véritable intérêt malheureusement. Je ne comprends pas l'enthousiasme pour ce roman.
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Sister Deborah

Le Rwanda, le pays des esprits des morts qui hantent la brousse et les songes des humains, des pouvoirs des guérisseuses, le pays de la sorcellerie, des fétiches et des amulettes. Le pays où les légendes sont vraies

Les missionnaires noirs venus d’Amérique, leur Prêtresse se nomme Sister Deborah l’esprit habite ses mains qui guérissent tous ceux qu’elles touchent. Elle annonce la venue prochaine d’un sauveur un Jésus venu d’Amérique qui pourrait ne pas être un homme blanc mais une femme noire qui répandra sur le pays une graine merveilleuse qui donnera d’abondantes récoltes et ainsi cesserait la servitude des femmes courbées dans les champs.

Scholastique Mukasonga est une admirable conteuse. Mais pour profiter savourer pleinement son talent il faut accepter d’entrer dans le monde de la magie et des rites africains. Dans ce roman la romancière oppose les pères blancs catholiques aux évangélisateurs noirs mais nous sommes au Rwanda le pays où l’on chante et on danse et où les croyances ont la vie dure. C’est à travers une petite Rwandaise maladive que Sister Deborah a autrefois guérie que l’auteure nous raconte l’histoire de cette prophétesse aux seins nus qui du haut de sa termitière annonce l’avènement des femmes. Un récit coloré et drôle, porté comme toujours par des femmes fortes.



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Kibogo est monté au ciel

Scholastique Mukasonga nous livre un récit très intéressant, un peu comme un conte, sur l'évangélisation du Rwanda par les colons.

Lors des veillées, on raconte l'histoire de Kibogo, fils du roi Ndahiro. Alors qu'une grande sécheresse sévissait sur le Rwanda, Kibogo est allé sur la montagne proche de son village, le mont Runani, pour invoquer la pluie. Sous les yeux de trois enfants, Kibogo a été foudroyé, c'est ainsi que selon la légende, il est monté au ciel.

A leur arrivée, les prêtres blancs interdisent cette montagne, symbole des rites païens.

Akayézu, choisi par les missionnaires, entre au séminaire où il apprend la bible.

Revenu dans son village, il prêche en se ré appropriant celle-ci, persuadé qu'il y est raconté l'histoire des rwandais et non celle de Jésus.

Puis arrive un professeur, ethnologue blanc, qui s'intéresse aux traditions rwandaises et qui se fait raconter les témoignages des survivants de l'époque de Kibogo. Ces derniers apportent des ajouts et des embellissements à leurs récits qu'ils livrent contre la promesse d'avoir leur nom inscrit dans un livre.

Avec humour, l'auteure nous montre les conséquences de la colonisation et de l'évangélisation sur la culture d'un pays.

A travers l'histoire de quelques personnages, Scholastique Mukasonga nous parle du mélange des deux cultures où fort heureusement l'influence des blancs n'a pas anéanti toutes les croyances qui font ce pays.

Un roman très agréable à lire pour une belle découverte du Rwanda !
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Notre-Dame du Nil

Perché dans les nuages, à 2493 mètres, tout près de la source du Nil, le lycée Notre-Dame du Nil accueille la future élite féminine de la nation rwandaise. Les chastes jeunes filles, issues des meilleures familles, viennent y décrocher un diplôme qui plus sûrement qu'un travail, leur permettra de trouver un mari dans les hautes sphères de la société. Soeurs catholiques, professeurs belges et coopérants français leur inculquent les valeurs démocratiques et chrétiennes qui conviennent dans un pays qui a mené à bien sa révolution sociale. Harmonieuse en apparence, l'ambiance est pourtant délétère. La société rwandaise est divisé entre Hutus et Tutsis et ce clivage a pénétré cet antre du savoir. Les élèves hutus y sont largement majoritaires et n'hésitent pas à humilier les jeunes filles tutsis qui ne sont là que par la grâce d'un quota imposé par l'état. La plus virulente est Gloriosa qui rêve d'une carrière politique au sein du Parti du peuple majoritaire et aime à rappeler à Virginia et Véronica qu'elles ne sont que des cafards qui n'ont rien à faire à Notre-Dame du Nil. Autour d'elle, une cour s'empresse même si Immaculée ne partage pas ses positions et que Modesta est tiraillée par ses origines métisses.

Plus proche voisin du lycée, Monsieur de Fontenaille, un vieil original, est bien le seul à regretter le temps où les Tutsis étaient les maîtres du pays. Persuadés qu'ils sont venus d'Egypte et descendent des pharaons, il cherche son Isis dans le visage des élèves tutsis. Déesses pour les blancs, parasites pour les Hutus, les Tutsis du lycée essaient d'obtenir leur diplôme sans faire de vague pour qu'un jour elles ne soient plus ni hutus ni tutsis mais simplement des "évoluées".





Situé après l'indépendance du Rwanda et avant le génocide de 1994, le roman de Scholastique MUKASONGA dépeint les prémisses d'une haine larvée qui deviendra une guerre.

Cela commence comme une chronique bon enfant qui décrit la vie dans un lycée de jeunes filles catholique : l'arrivée en grande pompe des élèves le jour de la rentrée, le pèlerinage annuel à la Vierge du Nil, les amitiés, les cours, les professeurs...Mais très vite, on perçoit un malaise. Gloriosa, élève crainte et respectée, leader politique en devenir, cristallise les travers d'un pays qui se veut indépendant et démocratique mais favorise les Hutus, le "peuple majoritaire". On ressent l'opposition, la rivalité, la haine même que les Hutus portent aux Tutsis et qui va aller en grandissant tout au long de l'année scolaire. Les petites remarques acerbes deviendront des insultes plus crûes et dégénéreront en haine raciale, appel à la violence, voire au meurtre. Pendant que les élèves hutus appellent à l'épuration ethnique, rameutent leurs troupes et organisent le massacre, les blancs ferment pudiquement les yeux sur un conflit dont ils ont pourtant été les instigateurs, ayant bouleversé le système clanique traditionnel en place à l'époque de la colonisation et favorisé à tour de rôle un camp au détriment de l'autre, au gré d'obscures alliances politiques.

Roman fort, beau et puissant, Notre-Dame du Nil n'est malheureusement pas issu de la seule imagination de son auteure. Scholastique MUKASONGA s'est inspirée de de l'histoire de sa famille pour décrire un pays qui se déchire toujours. Et pourtant, on sent tout l'amour pour le Rwanda dans ce livre avec ses rites, ses traditions, ses croyances, ses paysages, ses gorilles...Un pays magnifique qui a connu l'horreur et qui mériterait une paix solide et durable.
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La femme aux pieds nus

Prix Seligmann 2008 «  contre le racisme, l’injustice et l’intolérance »

Prix Simone de Beauvoir 2021 pour la liberté des femmes pour l’ensemble de son travail. 



Scholastique Mukasonga dédie son deuxième roman aux femmes et en particulier à Stefania, « La femme aux pieds nus ».

«  The barfoot woman » pour la traduction anglaise, récit récemment mis à l’honneur, à Dublin en mai 2022, dans le cadre du festival international de littérature .



Dans le chapitre d’ouverture, l’écrivaine rwandaise-française rappelle en un paragraphe le destin tragique de tous les Tutsi victimes du génocide, d’exactions.

( sanglantes représailles en 1963, les viols en 1994.)

Les Tutsi de Nyamata ont été déplacés. On a brûlé leurs vaches, saccagé leurs biens.

Ils sont insultés par les militaires, qui les traitent de cafards. Un passé douloureux.

Cette période de violence, de terreur, est gravée à jamais dans la mémoire.





D’autre part, la narratrice exprime ses regrets de ne pas avoir pu honorer la demande de sa mère : à sa mort, «  recouvrir son corps de son pagne ».





En dix chapitres, elle brosse le portrait d’une femme courageuse, soucieuse de sauver ses enfants. Stefania leur a appris à se cacher dès que le danger menace, leur a inculqué des réflexes de survie, un baluchon est prêt, « le viatique pour l’exil » vers le Burundi.





Elle retrace sa propre enfance au Rwanda, énumère les tâches quotidiennes de sa maman :balayer la cour, écosser, retourner la terre, défricher, semer, sarcler, récolter, éplucher les bananes. Une femme dont « les mains ne peuvent rester inactives ». Stefania endosse aussi le rôle de « gardienne de feu ». C’est d’ailleurs autour du feu qu’elle lit les contes, commençant toujours par une chanson de bergère, en souvenir de l’époque où « elle gardait le troupeau au bord de la Rukarara ». N’est-ce pas ce qui a généré chez l’auteure un évident talent de conteuse ?



L’architecture de la maison, l’inzu, est détaillée ainsi que l’aménagement intérieur où une longue étagère, «  l’uruhimbi »,contient « les objets précieux ».

Un espace est exclusivement réservé aux femmes, l’ikigo » où elles tiennent des réunions. La fréquentation des voisins et voisines reste un commerce courant.

Les valeurs qui les unissent sont mises en exergue : « la considération, l’amitié, la solidarité ». La politesse exige de raccompagner sa visiteuse, moment où les secrets sont chuchotés à l’oreille. Cette pratique est limitée car on redoute les mauvaises rencontres. Le véritable objet fédérateur, «  c’était la pipe ». Fumer « était le privilège des femmes mariées ».



La culture du sorgho , le roi des champs, est primordiale, sacrée. Elle assure contre la famine et les calamités. Au moment de la moisson, on fête « l’umuganura » en famille, on déguste la pâte de sorgo et on partage la bière de sorgho, «  base de la convivialité ». Comme c’est la période des vacances scolaires, les jeunes , pleins d’ardeur, attendent la récompense : «  les imisigati ». Tout le monde «  mastique ce suc délicieux, ce jus sucré, plus doux que le miel » caché dans certaines tiges de sorgho. Saison de jeux aussi dans le champ laissé en jachère.





La romancière revient sur sa scolarité et celles de sa fratrie d’intellectuels.

Au lycée de Kigali, le port du sous-vêtement, l’«  ikaliso », est obligatoire, une innovation que Stefania, elle aussi, adopte immédiatement.

Le dimanche les filles, en uniformes, sortent escortées par les religieuses.

Les voilà aussi «  promues missionnaires du caleçon » !

A l’école d’assistante sociale à Butare, la mode est au défrisage de « la brousse sauvage des cheveux crépus ». Mais pas facile de se procurer le peigne miracle !



Leur exil les a jetés dans le malheur ( troupeau décimé par les ennemis) et la misère. Le repas du soir est rapide, « il n’y avait pas grand-chose à manger ».





La famille de Stefania baigne dans de nombreuses croyances et rituels.

Stefania invoque souvent Ryangombe, «  le grand maître des esprits », «  le diable » pour d’autres. D’autres convoquent « Imana, le Dieu des Rwandais ». Elle interprète les signes dans le ciel, croit aux présages. Les corbeaux ne seraient-ils pas envoyés par les «  abazimu », les Esprits des morts ? L’eau de Lourdes sert à raviver le rameau béni, protecteur de la maison. Le plus terrifiant, ce sont les larmes de la lune.

A la messe, les femmes portent « l’urugori », signe de la souveraineté maternelle, diadème confectionné à partir «  d’une tige sèche de sorgho aux beaux reflets dorés. »



Pour soigner, on recourt aux plantes médicinales. Stefania possède une pharmacopée et de nombreuses recettes pour soigner les blessures. Les pieds souffrent de marcher sans sandales (souvent en sang, ongles cassés, orteils écorchés). Car en plus des trajets à l’école, il faut aller chercher de l’eau, du bois sec.



Faute de médecin, on fait confiance au vétérinaire qui soigne les vaches.

Toutefois un dispensaire s’est établi dans « une vieille bâtisse délabrée » , tenue par un « infirmier tutsi de Butare », Bitega, qui les a précédés dans l’exil.



Les démarches pour demander la main d’une jeune fille sont détaillées, d’autant que Stefania est « une marieuse » réputée. Si la dot dans certains pays d’Afrique est un chameau, au Rwanda c’est «  le don d’une vache qui valide un mariage ». Ce qui signifie de nombreux sacrifices. Le père passe ses journées sur le marché à bestiaux pour trouver une vache dont la beauté soit digne de celle de la jeune fille.

D’une bonne épouse, «  ce que l’on attendait, c’était sa force de travail. »

On suit toutes les observations qu’elle collecte au sujet de la belle Mukasine , qui lui semble un bon parti pour son fils Antoine. L’affaire se conclura-t-elle ?



Le récit nous immerge dans un lexique dépaysant avec tous ces termes locaux, en « kinyarwanda », toutefois bien traduits au fur et à mesure.

On note l’emploi récurrent du terme «  Les Blancs ». Ils emploient des autochtones. On occulte les histoires que racontent les Blancs, «  porteuses de haine, de mort ».

Les Blancs sont fustigés car « ils prétendaient savoir mieux qu’eux qui ils étaient, d’où ils venaient ». Stefania ignore leurs ustensiles pour confectionner la pâte de sorgho, renonce à utiliser des allumettes, vilipende « les cadeaux des Blancs » !



Parmi les denrées essentielles qui leur manquent :

- le pain ( que le père va chercher à Kigali – quatre jours de trajet) avant qu’une boutique ouvre à Nyamata. La boule de pain est la récompense du premier de la classe !

-le lait, «  ameta », « suprême richesse de l’éleveur » et pour la mère, une «  source de vie », qui immunise contre les maladies, protège du malheur ».

-le beurre de vache, « l’ikirumi », produit universel pour les soins de beauté.



La narratrice rend compte des progrès, « amajyambere » , des nouveautés qui arrivent jusqu’à sa famille, par l’intermédiaire de voisins. C’est ainsi qu’elle remarque une petite maisonnette, où un jour elle avise Félicité sur une banquette en bois. La nouvelle se répand : il s’agit de latrines, bien plus commodes que «  la grande fosse au fond de la bananeraie » utilisée par les autres familles.



Pas de coiffeur à Gitagata ni à Nyamata, il faut compter sur ses proches pour façonner « l’amasunzu », «  touffes géométriques en forme de croissant », porté par les jeunes filles vers 18, 20 ans, en âge de se marier.

Stefania découvre ainsi la poudre noire qui teinte les cheveux et souhaite tester ce produit, appelé «Kanta ».



Si la figure centrale de ce roman est «  La femme aux pieds nus », rappelons que la romancière a aussi dédié un livre à son père dans « Un si beau diplôme ».



Par ce tombeau de papier, l’écrivaine franco-rwandaise rend un vibrant hommage à cette mère sacrificielle, puissante, dont elle n’a pas pu exaucer l’ultime injonction.

Scholastique Mukasonga signe un récit mémoriel et d’amour filial, non dénué d’humour, d’autodérision. Un témoignage nécessaire relatant « le destin implacable » auquel on avait voué les Tutsi. C’est la gorge serrée que l’on referme le livre.
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